mercredi 29 décembre 2021

Chroniques de jeunesse - Guy Delisle

À 16 ans, c'est le premier entretien que je passe pour décrocher un travail d'été. [G.D.]

La Coleco, rue St-Ambroise à Montréal
Guy Delisle  nous entraîne encore ici dans une oeuvre personnelle, mais qui, cette fois, est plus tournée vers ses racines que vers sa découverte du monde. C'est son expérience d'emploi étudiant dans une usine de pâtes et papier à Québec qu'il nous relate. Bien que cela se veuille très personnel, nous sommes probablement plusieurs à reconnaître dans ce choc de culture des éléments qui rappellent notre propre parcours. C'est en cela que ces chroniques réussissent à raconter quelque chose d'intime tout en ayant une résonance plus universelle. Pour ma part, en me plongeant dans cette lecture, c'était les décors de la Coleco, une usine de jouets du quartier Saint-Henri dans le Sud-Ouest de Montréal qui s'étalaient devant moi. J'y ai passé quelques mois à l'été 1972, je crois. Mon objectif était de me payer ma première flûte traversière. Comme Delisle le fera un peu plus tard et comme il le décrit si bien dans ses chroniques, je découvrais le monde du travail et le choc éprouvé en se rendant compte que, pour certains, ce cadre de travail dans la chaleur et dans le bruit, c'était le cadre d'une bonne partie de leur vie. Delisle fait revivre ces moments en finesse et en toute simplicité. Voilà tout l'impact de ce récit illustré.

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31/03/2015

mercredi 22 décembre 2021

Marcher, une philosophie - Frédéric Gros

Marcher n'est pas un sport.  [F.G.]

La marche sous différents angles, la marche sous le regard de quelques penseurs, la marche comme moment de réflexion, la marche comme regard sur soi, comme contact avec la nature, avec le monde, la marche considérée comme une promenade, comme un pèlerinage, comme une fuite, comme une errance, comme une flânerie, c'est tout cela et plein d'autres éléments savoureux qu'on retrouve dans ce remarquable petit essai. Que ce soit la marche régulière et quotidienne de Kant, la marche mystique et politique de Gandhi ou la marche réflexive et productive de Nietzsche, Frédéric Gros révèle tout l'intérêt intellectuel de ce geste répété d'avancer un pied devant l'autre. 

Les chapitres peuvent se lire de façon indépendante les uns des autres, mais ils n'ont pas tous la même pertinence. L'angle est parfois parcouru très rapidement et on demeure déçu. Alors qu'en d'autres occasions, la discussion mène loin et contribue à nos réflexions. Dans l'ensemble, j'ai bien apprécié cette lecture que j'aurais aimé me faire lire en déambulant tranquillement dans mon quartier.

mercredi 15 décembre 2021

Offrandes musicales - Michel Tremblay

À mon retour de Floride, je me suis enfermé chez moi pendant quatorze jours. [M.T.] 

Michel Tremblay, à la manière qu'il a utilisée dans Les vues animées, Douze coups de théâtre, ou Un ange cornu avec des ailes de tôle, où il relatait sa relation avec le cinéma, le théâtre ou les livres, nous offre ici de courts moments où la musique, toute sorte de musique, s'inscrit dans sa mémoire et dans son expérience. On a donc droit à des souvenirs d'opéras, de comédies musicales, de pop ou de variété. Chaque fois, ce qui prime c'est ce qu'a ressenti Tremblay dans ces expériences variées, ce sont les évocations, les réminiscences de tout ce qui entourait ces moments particuliers. C'est aussi le réconfort qu'il trouve dans l'écoute du Trio en la mineur de Tchaïkovski au moment où il perdait son jeune frère. Les Offrandes musicales ce sont donc une douzaine de récits écrits de sa plume toute personnelle, émouvante, sans être nostalgique. C'est également, en coda, deux courts textes où il met en scène son personnage emblématique, Édouard ou la duchesse de Langeais. Tremblay le fait assister à un concert d'Édith Piaf et à une représentation du Boléro de Ravel. C'est la simplicité de l'écriture qui contribue à rendre tout cela aussi émouvant et inspirant.

Quand il était petit, sa mère, Victoire, lui disait : «La nuit, la neige est bleue parce qu’elle aussi elle a frette. » [M.T.] 

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08/02/2014

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Vingt-trois secrets bien gardés

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mercredi 8 décembre 2021

La déesse des petites victoires - Yannick Grannec

À l'exacte frontière du couloir et de la chambre, Anna attendait que l'infirmière plaide sa cause. [Y.G.]

Début des années 80, Anna Roth travaille comme documentaliste à l'Institute for Advanced Study de Princeton.  Elle a notamment pour mandat de convaincre Adèle Gödel de céder à l'institut les dernières archives de son mari, l'un des mathématiciens et logiciens les plus importants du XXe siècle, Kurt Gödel, décédé en 1978. Le roman, car c'en est un et l'auteure ne prétend pas établir ici une thèse historique, repose sur cet argument pour revisiter de belle façon le parcours de Kurt Gödel et de son épouse Adèle depuis leur rencontre à Vienne en 1926. L'auteure affirmera même : «Cette histoire est une vérité parmi d’autres : un tricotage de faits objectifs et de probabilités subjectives.» 

C'est ainsi qu'on suivra les déboires des premiers moments, la fuite vers l'Amérique en passant par la Russie et le Japon, l'installation à Princeton, les échanges avec les collègues de Kurt Gödel, dont Robert Oppenheimer, Oskar Morgenstern et même un certain Albert Einstein. L'amitié qui unissait Albert Einstein à Kurt Gödel est probablement ce qui aura contribué à maintenir ce dernier en action dans les domaines mathématiques et philosophiques à Princeton. Cela est bien rendu.

Le parcours qui nous est proposé, c'est par les yeux d'Adèle qu'on le suit. Il est donc teinté du regard qu'elle porte sur les talents de mathématicien de Kurt, mais aussi sur son inaptitude sociale, son hypocondrie ainsi que sa paranoïa (l'épisode du maccarthysme n'a de toute évidence rien aidé). Les petites victoires, ce sont celles qu'elle gagna sur la fatalité et le mal de vivre de son logicien de mari.

J'ai adoré ce roman à saveur historique qui permet de se replonger dans cette atmosphère un peu étrange qui entourait le Projet Manhattan et ses suites, les discussions de Gödel sur la logique, en particulier sur l'incomplétude et l'existence sous certaines conditions d'énoncés mathématiques indécidables, sur les questionnements philosophiques qui en découlent, sur la vie hors norme qui se déroulait à Princeton dans les années 50. Voilà un roman passionnant qui narre une partie de l'histoire sur la base d'un amour qui aura duré, lui, plus de cinquante ans.

- Je m'appelle Kurt Gödel. Et vous, mademoiselle Adèle. C'est correct? - Presque correct, mais vous ne pouvez pas tout savoir! - Cela reste à démontrer. [Y.G.]

« Si les gens ne croient pas que les mathématiques sont simples, c'est uniquement parce qu'ils ne réalisent pas à quel point la vie est compliquée. » [John von Neumann, cité par Y.G.]

Image même de sa chère récursivité, il ne rendait des comptes qu'à lui-même. [Y.G.]

- L'infini existait pourtant avant que l'homme invente les mathématiques ! [Y.G.]

La soif de sens, présente chez tous les êtres humains, fait de certains des proies faciles. Le pas est trop aisé entre synchronicité, hasard sensé et prémonitions, médiums... [Y.G.]

- [...] Vous aimez trop les mots pour un mathématicien. [Y.G.]  


mercredi 1 décembre 2021

Un père étranger - Eduardo Berti

Quelques heures avant l’enterrement de ma mère, l’après-midi où on la veillait, et alors que l’usage aurait voulu qu’on expose son cadavre, mon père donna l’ordre de laisser le cercueil fermé. [E.B.] 
Voilà un livre mystérieux, un roman en partie autobiographique qui navigue entre les concepts d'identité, d'altérité, de migration, de paternité et d'écriture. Eduardo Berti constate à la mort de son père, un Roumain réfugié en Argentine, que celui-ci tentait d'écrire en espagnol un roman à propos d'ouvriers roumains. Le fait ainsi d'écrire dans la langue de son pays d'accueil l'amène à tracer un parallèle avec un de ses projets, celui de tracer le parcours de l'auteur polonais et britannique Joseph Conrad (Józef Konrad) qui écrivait pour sa part en anglais. Voilà autant d'occasions, en parlant de son père, de Conrad ou du livre qu'il est en train d'écrire, de s'exprimer sur la langue, sur la littérature, sur le statut d'écrivain et sur le fait d'être étranger en son monde tout en portant en soi toute une bibliothèque. Voilà un auteur, membre récent de l'Oulipo, dont j'ai bon espoir de croiser encore l'œuvre sous peu.

À l’époque, j’aimais bien la notion selon laquelle la « patrie » d’un écrivain est sa langue natale. Aujourd’hui, avec plus d’ancienneté comme étranger, je préfère l’idée que son véritable pays se trouve dans ses livres : ceux qu’il a lus ou désire lire (sa bibliothèque), ceux qu’il a écrits ou rêve d’écrire (certains appellent cela une « œuvre »).  [E.B.]

Les lecteurs cherchent et voient les ressemblances entre les livres, nombreux ou non, d’un écrivain ; l’écrivain, de son côté, voit surtout leurs différences. [E.B.]

Je n’ai pas lu Jouhandeau : il fait partie de la longue liste d’écrivains que, je suppose – sauf miracle ou cas de force majeure – je ne lirai jamais ; c’est impossible, il faudrait vivre mille ans ou, plutôt, ne pas vivre et ne faire que lire, lire et lire. Lire qui, d’accord, est aussi vivre. Mais qui ne l’est pas si on ne fait que ça.  [E.B.]

 

mercredi 24 novembre 2021

Une autre vie est possible - Olga Duhamel-Noyer

Les semaines de canicule, rien n'est pareil. [O.D.-N.]

Ce roman est l'oeuvre d'une auteure québécoise que je ne connaissais pas. Olga Duhamel-Noyer a pourtant publié quatre autres romans et elle est la directrice littéraire de la maison d'édition Héliotrope. À la lecture d'Une autre vie est possible, je me suis replongé dans une époque, fin des années '70, début des années '80, où le rêve d'un monde meilleur faisait vibrer le coeur des militantes et militants d'une foison d'organisations, de groupes, de partis, de collectifs, de ligues et de phalanges. Du socialisme ouvrier au marxisme stalinien, du maoïsme prolétarien à l'anarchosyndicalisme, la mouvance révolutionnaire avait, dans son monde parallèle et en ces temps-là, une activité de tous les instants. Olga Duhamel-Noyer nous ouvre une porte dans l'intimité d'une militante qui organise les réunions du Parti dans son appartement de la rue Bloomfield. Le quotidien côtoie le rêve, elle élève seule son fils Valéry qui espère la révolution et elle est chef de cellule dans l'organisation. Un drame insidieux se profile pourtant dans cet univers de tracts, de fêtes ouvrières, de mobilisations, de manifestations et de solidarités internationales. L'élan révolutionnaire se transmute en une peur  dissimulée; une rupture qui n'a pas été acceptée vient faire basculer la vie de la militante et la violence s'insinue. 

Dans l'ensemble, voilà un portrait qui décrit, il me semble, assez bien l'univers de nombre de partisanes et de partisans de la venue du grand soir. Le style va à l'essentiel, phrases courtes et brèves descriptions. Mais, je ne sais si cela relève de mon état ou du moment de ma lecture, j'ai ressenti une certaine froideur, une certaine distance entre l'auteure et ses personnages. Cela ne m'a pas empêché d'apprécier cette incursion dans un passé qui aurait voulu faire histoire.

Tout s'affronte, tout se contredit, se brise, tout s'enclenche, tout s'enchaîne. [O.D.-N.]

Ils se sont plutôt amusés à évoquer pour tant de choses les vertus merveilleuses de la poubelle de l'Histoire.  [O.D.-N.]

 

mercredi 17 novembre 2021

Le désordre azerty - Éric Chevillard

ASPE, l'ennui, c'est que ne connais pas la signification du mot aspe ni davantage celle du ASPLE que l'on peut écrire aussi, indifféremment, pour désigner la même chose [...] [É.C.]

Chevillard se livre, se dévoile et se raconte au rythme des touches d'un clavier français dans un abécédaire désordonné. C'est l'auteur qui se commet dans cet exercice de style au genre soutenu, à la plume vive. C'est l'auteur qui se met lui-même en marge des catégories et qui a de la littérature une vision éclatée. Cet autoportrait, car on peut bien le qualifier ainsi, est teinté du rapport qu'entretient Chevillard avec l'écriture, du rapport qu'il entretient avec le livre et la société sur laquelle il repose. Cela donne un fouillis, mais un gai fouillis où partout se glisse l'auteur, où partout s'étonne le lecteur. Si, dans son blogue L'autoficifChevillard se permet quotidiennement des fragments de littérature sur 2 à 5 lignes, Le désordre Azerty peut bien en être le prolongement, l'excroissance sinon la proéminence. C'est une suite anarchique d'aphorismes jubilatoires. On en redemande.

Longtemps, les îles furent les bagnes où l’on reléguait les criminels et les indésirables. Elles sont aujourd’hui des villégiatures prisées où l’on s’offre un bref séjour avec l’argent gagné en cassant des pierres sur le continent. [É.C.] 

Une phrase ramassée comme celle de Ramón Gómez de la Serna – par exemple La main est une pieuvre qui cherche un trésor au fond des mers – se déploie dans les têtes pensives, invite au songe mieux que les mille pages où tout est dit, confisqué, verrouillé comme le monde même, sans issue. [É.C.]

Et vous, donc, pourquoi n’écrivez-vous pas ? Vous l’êtes-vous parfois demandé ? Qu’est-ce qui vous retient d’écrire ? Comment justifiez-vous ce refus, ce renoncement, cet évitement, cette dérobade ? Savez-vous ce qui est réellement à l’œuvre là-dessous ? À quelles forces obéissez-vous ? Quelles sont vos raisons ? Quel est le secret honteux que vous gardez enfoui dans ce silence ? Dites-moi ce qui, chaque jour à la même heure, devant la table et la feuille, vous empêche de vous asseoir pour écrire. [É.C.] 

Ce jour-là, d’automne pluvieux, quand la cloche sonna les cinq coups du signal, la marquise ne sortit pas. [É.C.] 

Autre expression très usitée par mes professeurs successifs : le domaine de définition. Ce pourrait être un titre pour Francis Ponge. Le nom de la propriété provinciale d’Émile Littré. Franchement, quoi d’autre ? [É.C.] 

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La nébuleuse du crabe

18/03/2019


 

vendredi 12 novembre 2021

Tout est ori - Paul Serge Forest

C’était entre la Pentecôte et la Trinité, entre la rivière Pentecôte et la rivière de la Trinité. [P.S.F.]

J’ai lu cet été, quelque part en juillet, les pieds dans le lac Saint-Jean, ce roman surprenant par le mélange de genres, par la trame à la limite du fantastique, mais ancrée dans une réalité nord-côtière tournée vers la pêche aux crustacés. J’ai embarqué, pour l'occasion, sur ce crevettier improvisé des environs de Baie-Trinité affrété par la famille Lelarge et je me suis laissé emporter dans ce délire qui est parfois déroutant sur le plan du style. Je me suis laissé envouté par cet intrigant japonais « envoyé commercial du Conglomérat des teintes, couleurs, pigments, mollusques et crustacés d’Isumi ». J'en ai appris plus d'un chapitre à propos des mollusques et des crustacés. Enfin, bout pour bout, je me suis plongé allègrement dans une lecture plaisante faite de surprises insolites, parties intégrantes d'un conte fait d'odeurs et de textures raconté dans un style qui ne laisse d'aucune façon croire que cela puisse être un premier roman. J’ai bien aimé l’univers créé par Forest.

On ne choisit pas ses souvenirs. La plupart des images et des sons incrustés dans notre mémoire étaient destinés à l’oubli. Ce sont de très petites choses qui les ont sauvés. [P.S.F.]
La vague est un phénomène nombreux, comme une volée d’outardes ou les rides sur un visage. Pour remarquer la ride qui n’en est pas une, mais plutôt la cicatrice d’une vieille blessure, ou pour remarquer l’outarde fatiguée qui sera laissée derrière, Il faut s’arrêter et observer. [P.S.F.]
Il mangeait beaucoup d’oursins, avec Laurie et du citron, ou seul, nature. [P.S.F.]
Les couteaux rompent la continuité. Ce que l’intermède fait dans le temps, ils le font dans la matière. [P.S.F.]
Alors, ce couteau dans le tiroir du bureau de Robert Lelarge était-il une arme ou un fruit de mer? [P.S.F.]

dimanche 7 novembre 2021

Le mode avion - Laurent Nunez

J'ai ma petite théorie sur les statues. Plus elles sont imposantes et moins elles en imposent. Plus leur volume est remarquable et moins on les remarque. [L.N.]

Laurent Nunez nous offre un amusant roman, un mémorable voyage dans l'univers linguistique de deux jeunes bonshommes qui nous rappellent en nous faisant sourire les Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Ici, on est à la fin des années '30 et on trouvera Choulier et Meinhof, ils ne sont pas copistes, mais linguistes enseignant la grammaire à la Sorbonne. Ils ne se sont pas reconnu par leurs noms inscrits dans leurs chapeaux respectifs, mais parce que, tous deux voyaient le langage et voulaient trouver.  Ces deux-là se concevaient comme des aventuriers modernes, comme de grands explorateurs.

Devant les découvertes de l'époque, ils ne rêvaient que d'ajouter leurs pierres, d'inscrire leurs noms à la liste des savants qui ont contribué à l'avancement de la connaissance. Ils se réfugient à Fontan, dans les Alpes-Maritimes («[...] c'était plutôt une ancienne ferme grise et sale, faite à la hâte et à la chaux.»), un lieu qui vaut bien la ferme à Chavignolles dans le Calvados de Bouvard et Pécuchet.  Ils y sont en mode avion, à l'abri de la réalité, à l'écart du monde, dans un interstice de l'univers qui permettra selon eux d'établir leurs grandes théories, celles mêmes qui révolutionneront la société linguistique. Ce sera « la théorie chrono-linguistique » et, plus tard, « l'appel d'air linguistico-sexuel ». 

Voilà l'histoire d'une amitié linguistique et littéraire mise à mal par la pression d'éventuelles publications, le monde de la recherche comme on ne l'a jamais vu, un délice de lecture.

Le jeune linguiste connaissait ces vers par coeur, depuis des années, mais il éprouvait le besoin de les voir imprimés sur du papier, inscrits sur une page qu'il pouvait caresser longuement, enfermés dans un beau volume à l'abri du temps. [L.N.]

Et pourquoi tout attaché s'écrit-il séparément, alors que séparément s'écrit tout attaché? Qui est bête ici : moi ou le langage ? [L.N.]

Il y a un mot bizarre mais que j'aime bien : pronoïa. C'est le contraire de la paranoïa. C'est croire que l'univers entier conspire en votre faveur. [L.N.]

Songez aux religieux byzantins, occupés à discuter du sexe des anges lorsque les troupes turques assiégeaient Constantinople ! Songez à Archimède perdu dans ses calculs, et incapable d'entendre autour de lui la chute de Syracuse ! Songez à Kafka, qui avait écrit dans son journal, un jour de 1914 où l'Allemagne avait déclaré la guerre à la Russie : « Après-midi piscine. » [L.N.]

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L’énigme des premières phrases

23/02/2020


mercredi 3 novembre 2021

L'inexistence - David Turgeon

Sur la photo, quatre jeunes gens assis côte à côte sur une banquette. [D.T.]

La porte d'entrée de ce roman n'est rien d'autre que cette photo prise devant le Café Ludwig. Trois hommes et une femme. On sait que la photo a été découpée dans un journal, probablement Le Mercure de Privine. Interroger les photos, les questionner, en extraire l’anecdote ou l’aventure, voilà le travail qu'effectue l'historienne Sabine Oloron. Ses enquêtes et quelques hypothèses permettent d'identifier les personnages apparaissant sur cet extrait de journal, notamment Carel Ender qui serait en toute apparence « fonctionnaire de l'Empire ». Ce sera la figure centrale du roman que déploie David Turgeon, une tranche de vie de ce Carel d'origine kadienne dans un Empire construit sur la disparition de ses ascendances dans un monde inventé qui, parfois, partage certaines caractéristiques avec une quelconque réalité. 

Entre un mal-être existentiel, une militance artistique et politique éclatée et des réflexions essentielles, l’auteur campe, au travers le groupe d’amis de ce Carel et à l’aide de son écriture stylée et recherchée, diverses situations qui résonnent avec du connu, avec des problématiques qui s’inscrivent subrepticement dans le manifeste, tout en laissant avec la fin de l’épisode, avec la fin de cet univers imaginaire, quelques questions en suspens.

J’ai adoré ce voyage littéraire en forme de puzzle qui se situe à la fois hors et dans le temps, cette fable moderne totalement inscrite à l'intérieur d'une simple photo.

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David

À propos du style de Genette

11/09/2019

Turgeon

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La raison vient à Carolus

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Turgeon

David

La revanche de l’écrivaine fantôme

03/04/2019

Turgeon

David

Les bases secrètes

26/05/2021

Turgeon

David

Simone au travail

17/11/2017

dimanche 31 octobre 2021

De racines et de mots, Persistance des langues en Amérique du Nord - Sous la direction d'Émilie Guilbeault-Cayer et de Richard Migneault

La langue constitue l'une des racines culturelles d'un peuple, et les mots, eux en sont les témoins.
Richard Migneault est amoureux du genre littéraire que constitue la nouvelle et il en fait la promotion de diverses façons. S'il a, plus d'une fois, croisé le polar avec la nouvelle en regroupant des auteurs autour de divers thèmes (Crimes à la bibliothèque, Crimes à la librairie, Crimes au musée), cette fois, c'est autour de l'histoire et de la langue que se construira ce recueil né d'une rencontre avec l'historienne Émilie Guilbeault-Cayer.  

Le projet, magnifiquement réalisé, regroupe des historiennes et historiens, géographes, ethnologues, romancières et romanciers lancés dans cette entreprise d'illustrer au moyen de nouvelles la notion de persistance des langues en Amérique du Nord. La plupart de ces nouvelles se situent sur une mince frontière entre récit historique et fiction documentée. On ne reconnait pas systématiquement ce qui relève des faits ou ce qui est dû à l'imagination de l'auteur, mais cela ne constitue en rien un obstacle au plaisir de lire et de s'insérer par là dans l'histoire d'un territoire et des langues qui l'ont raconté. De la survivance du français de la Nouvelle-France via des missives recréées à la langue de l'exode et des départs, de la rencontre des langues autochtones d'hier à la résurgence des langues retrouvées, littérature et histoire font bon ménage dans ce recueil de douze nouvelles multiformes qui nous transportent dans l'univers des mots et des langues qu'il ne faut pas oublier. J'y ai puisé un véritable plaisir de lecture.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions du Septentrion pour l'envoi de ce recueil dans le cadre d'une opération "Masse Critique 100 % québécoise".

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Migneault

Richard (sous la supervision de)

Crimes à la librairie

29/07/2015


mercredi 27 octobre 2021

Le meilleur dernier roman - Claude La Charité

À 19 h 30, Henri Vernal n’était toujours pas arrivé.  [C.L.C]  

Quelle merveilleuse idée que ce « Prix Anthume du meilleur dernier roman » ! C'est une idée qui a germé chez l'un des membres du département d'études littéraires de l'Université du Québec maritime pour contrer une chute dramatique des nouveaux inscrits aux programmes offerts en littérature. Dans une autre institution que j'ai fréquentée, ces programmes de lettres auraient été inscrits sur la liste orange, dénommée ainsi en raison de la disponibilité fortuite des rames de papier lors de la première impression. 

L'essentiel du roman qu'on pourrait peut-être qualifier d'autofiction (on découvrira que le narrateur se nomme Claude) se déroule lors de réunions de l'assemblée départementale. L'auteur et son double portent là un regard cynique sur l'institution universitaire comme sur le milieu littéraire. Voilà une description pleine d'ironie et de dérision qui est plaisante à lire et on se réjouit de l'oeil désabusé et rieur qui est porté sur l'absurdité relative de certains mécanismes ostentatoires du milieu. J'ai souri et j'ai ri à plus d'un moment tout en appréciant la qualité de la plume de l'auteur.

J'attendais que l'on cite la maxime d'Henri Queuille : «Il n'est aucun problème qu'une absence prolongée de solution ne puisse résoudre.» Mais personne ne connaissait ce président du Conseil de la IVe République française. [C.L.C.]

Faisons preuve d'interdisciplinarité, voire d'intersectorialité! C'est le maître mot de la recherche universitaire de nos jours. Il était évident que désormais notre discussion allait prendre une dimension plus technique, même si certains dénoncèrent l'illusion de scientificité et d'autres, l'imposture de l'interdisciplinarité comme un arbre destiné à cacher le grand n'importe quoi de la recherche actuelle. [C.L.C.]

Après tout, la littérature n'est pas grand-chose d'autre qu'une vue de l'esprit. [C.L.C.]

Il n'est pas exagéré de dire que l'Académie Anthume valait bien l'Académie Goncourt. Même propension à parler de livres qu'on n'a pas lus ou alors pas entièrement ou trop vite, même impression exagérée d'appartenir à l'histoire, même conviction de fabriquer la postérité par l'onction d'un prix dont les voies, comme celles du Seigneur, sont impénétrables. [C.L.C.]

 

vendredi 22 octobre 2021

Le murmure des hakapiks - Roxanne Bouchard

La lame tranche la chair en lanières fine, puis en petits morceaux. [R.B.]

J'ai littéralement été happé par cette lecture policière et madelinienne qui se déroule en grande partie dans le froid du nordet des Îles-de-la-Madeleine. Ce polar québécois constitue la troisième intervention de l'enquêteur d'origine mexicaine Joaquin Moralès admirablement créé par Roxanne Bouchard. L'histoire, en deux volets, fait intervenir l'agente de Pêches et Océans Canada Simone Lord rencontrée dans La mariée de corail. Elle doit monter à bord du Jean-Mathieu qui, en partance de Cap-aux-Meules, se dirige vers une chasse au loup marin du côté de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard avec un inquiétant équipage. Simone doit, à titre d'observatrice, valider les pratiques de chasse alors que le mauvais temps monte. Parallèlement, Moralès, qui vient de retirer son alliance, prend quelques jours pour une expédition de ski de fond longeant le Saint-Laurent. Ces deux personnages, réunis en pensée, vont être précipités dans une aventure pleine de tension et d'angoisse et on vivra la chasse aux phoques d'une particulière façon. Roxanne Bouchard nous fait humer l'air du large comme le huis-clos du chalutier. J'ai adoré cette inquiétante aventure. 

Il fait si froid que tout est immobile : la glace a coincé son petit bout de plage depuis un moment et la marée, apparemment au jusant, fait ressortir  les pointes dures des blocs bleutés. Le ciel est transparent. [R.B.] 

Le vent, aux Îles-de-la-Madeleine, ne se heurte à rien. Il glisse contre les dunes, traverse les lagunes et enveloppe les gens, puis emporte avec lui le superflu du bavardage vers le large. [R.B.] 

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Bouchard

Roxanne

La mariée de corail

12/10/2020


 

mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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Calvino

Italo

La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

Calvino

Italo

Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016

 

mercredi 13 octobre 2021

La grande vie - Jean-Pierre Martinet

Et Madame C. se tournait alors vers moi, elle me disait qu’elle avait peur de mourir étouffée ici, dans cette loge minuscule, qui lui laissait juste la place de respirer, entre ses plantes vertes et les photos en couleur de Luis Mariano […] [J.P.M.]

La lecture de Martinet m'a été suggérée par une lectrice de la famille, lectrice que je remercie ici. J'accueille évidemment les suggestions avec bonheur même si, à cet égard, il peut m'arriver d'entretenir une attitude proche de celle qu'énonce Denis Lavant en préface de La grande vie : « Car si j’aime toujours recevoir un ouvrage inconnu, je rechigne parfois à être orienté trop ouvertement dans le choix de mes lectures. Préférant par habitude m’en remettre au hasard ou au seul ricochet poétique qui fait qu’un ouvrage en répercute d’autres et ainsi de suite comme une chambre d’écho ou un jeu de miroir, à l’infini… ».

J'avais été avisé, Martinet a une plume magnifique, mais une plume noire, une plume qui chamboule, une plume qui tourmente. Dans cette grande nouvelle, Adolphe, employé des pompes funèbres, un nain à la vie misérable, à la sexualité qui l'est tout autant, au passé familial trouble, fantasme sur les visiteuses du cimetière qu'il observe depuis son appartement. Il subit les avances de l'énorme Madame C., concierge à la sexualité insatiable qui le domine. C'est cet univers glauque que Martinet évoque en nous transposant dans la tête du narrateur, cet Adolphe qui peine à se relever et qui chemine sa vie à la limite du burlesque.

Voilà une étonnante lecture et je me promets bien d'explorer davantage l'oeuvre qui m'apparaît noire et pessimiste de Martinet.

Ma règle de conduite était simple : vivre le moins possible pour souffrir le moins possible. Pas très exaltant, peut-être, comme précepte, mais très efficace. Essayez, vous verrez. [J.P.M.] 

La vie ne m’avait jamais paru aussi lente et atroce. Terrifiante. Le ciel prenait une vilaine couleur de foie de veau avarié. [J.P.M.] 

dimanche 10 octobre 2021

Le Scribe - Célia Houdart

Les yeux du douanier restèrent un moment fixés sur les lignes du passeport qui n'étaient pas écrites en anglais. [C.H.]

À ma première visite à Paris, je déambulais dans les rues du centre de la ville impressionné par la présence de nombreuses artères portant des noms à la mémoire de mathématiciens, il semble qu'il y a près de cent voies de Paris ainsi nommées. Bien que mon voyage n'avait rien de mathématique, j'avais l'impression d'être au coeur d'une partie importante de l'histoire de la recherche en ce domaine. Peut-être que Chandra, le jeune mathématicien indien qui est le protagoniste de ce roman, se sentait-il ainsi en abordant l'Institut-Henri-Poincaré, cet antre de la recherche mathématique sur la montagne Sainte-Geneviève ?

Dans le même voyage, je ne pouvais passer outre Le Musée du Louvre. Attiré particulièrement par les antiquités égyptiennes, j'avais hâte d'être devant Le Scribe accroupi  dans lequel je me reconnaissais quelque peu en raison de mes compétences mathématiques comme mon statut de fonctionnaire ou mon intérêt pour l'histoire... J'aurais aimé l'observer autant qu'a pu le faire Chandra.

Ce roman est construit sur deux sphères, celle de Chandra à Paris qui tourne autour de l'IHP et de la Sorbonne, une sphère qu'on pourrait apparenter à un roman initiatique, celle qui fait référence parfois au monde de la recherche mathématique (et à l'incomparable collection de modèles mathématiques de l'Institut) ; et puis celle de l'univers que Chandra a quitté, à Calcutta, ses soeurs, sa famille, une usine de traitement de l'eau où son père travaille et la situation environnementale.

Au coeur du roman, dans cette tranche de vie de ce jeune mathématicien, on trouve l'écrit, le message, la trace laissée pour les générations qui viennent. J'ai aimé même si je m'attendais à un roman où l'univers mathématique serait plus présent.

- Combien de lignes de définition faut-il pour écrire la démonstration de l'intégrale de Riemann ? Il y eut un silence. Dans les premiers rangs, un étudiant répondit : 42. [C.H.]  

Chandra regardait le long des berges les canards qui dormaient au soleil. Leur tête vert émeraude ou beige tacheté de brun était enfuie dans leur plumage soyeux. Ils formaient des virgules au bord de l'eau. [C.H.]

vendredi 8 octobre 2021

Spinoza encule Hegel - Jean-Bernard Pouy

Le cadavre est au bord de la route, une de ses mains est prise dans le bitume gluant.  [J.B.P.]

Un polar déjanté où des factions philosophico-idéologiques s'affrontent dans un décor post-apocalyptique, voilà ce que nous trace Jean-Bernard Pouy, et cela de magnifique façon. Nous sommes ainsi plongés dans un univers étrange, une Phrance éclatée qui exhume les groupuscules politiques de mai 68 pour les transcender en une version à la fois punk et philosophique. On y verra la Fraction Armée Spinoziste s'en prendre aux Jeunes Hegeliens et c'est au moyen d'une improbable émission radiophonique que les défis sont lancés. C'est Julius Puesh, alias Spinoza, qui est le moteur central, le protagoniste, de cette invraisemblable fable. C'est chaussé de ses bottes de lézard mauve qu'il déambule à travers ses amours maladroites et les combats inachevés dans cette sphère où l'ordinaire est une denrée rare et la révolution permanente.  La langue de Pouy est tout à fait celle qu'il fallait pour décrire ce constant marasme éthique.

Je décidai d’attendre un peu ; regardant, vide, le paysage qui l’était aussi. [J.B.P.] 

Sur la chaussée, le va-nu-pieds me dit : — La poésie est la plus grande des stratégies !  [J.B.P.] 

Gloire à ceux qui perpétuent le degré zéro de la mythologie moderniste ! [J.B.P.] 

C’était la phase finale. Ultime. Merveilleuse. Blanche et étincelante comme le chapitre final de Gordon Pym.  [J.B.P.]

Ce n’est pas l’idéologie signifiée qui nous pousse au meurtre organisé, mais plutôt l’idéologie signifiante. Pour certains, cela dévalorise nos luttes, pour nous, c’est la seule justification. [J.B.P.]

Le grand merdier avait produit des mutations imprévisibles. [J.B.P.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi  :

Pouy

Jean-Bernard

La petite écuyère a cafté 

17/04/2015

Pouy

Jean-Bernard

Spinoza encule Hegel 

29/11/2015



mercredi 6 octobre 2021

Les buveurs de lait sont des mutants et autres révélations étonnantes de la biologie - Guy Drouin

Pendant des millénaires, les êtres humains ont eu recours aux mythes pour expliquer le monde qui les entourait. [G.D.]

Cet été, j'ai été confronté à cette lecture biologique, un ouvrage de vulgarisation sur l’évolution, la génétique et leurs effets parfois surprenants. J'ai lu Les buveurs de lait sont des mutants et autres révélations étonnantes de la biologie de Guy Drouin. J'y ai pris beaucoup de plaisir, un plaisir lié à la découverte, à l'apprentissage de nouvelles connaissances. C'est un ouvrage présenté comme un texte de vulgarisation teinté d'humour. Disons que l'humour est assez secondaire, mais cela n'en constitue pas l'objectif. En ce qui concerne la vulgarisation, il m'a semblé que l'auteur était parfois avare d'images pour bien faire passer ses idées et les concepts qu'il nous présente. Je suis assuré n'avoir pas été le seul à être largué dans quelques passages. Puis, bizarrement, alors que c'est un ouvrage qui porte principalement sur l'évolution et que l'auteur nous invite plus d'une fois à considérer l'aspect fondamentalement aléatoire de ce processus d'évolution, il se laisse aller dans quelques phrases, dans quelques paragraphes, à donner à l'évolution un pouvoir de décision ou un sens allant vers une fin, vers un objectif.

[L’évolution] doit procéder en modifiant ce qui existe tout en s’assurant que les changements apportés ne sont pas délétères. [G.D.]
Étant donné que cette mutation s’est produite il y a environ 30 000 ans et que le climat en Asie de l’Est était chaud et humide à cette période, il est possible qu’elle ait été sélectionnée pour mieux résister à la chaleur. [G.D.]

J'avoue que cela m'a troublé, même s'il ne s'agissait probablement que de simple abus de langage. Un texte de cette nature devrait, selon moi, faire bien attention à ne pas suggérer ce type d'idées et en revenir systématiquement au hasard et à la nécessité.

Le temps est donc venu de reléguer les réponses de nos diverses religions au statut de curiosités historiques et politiques. Ce sont des hypothèses qui ne sont pas testables, ni nécessaires. [G.D.]

vendredi 1 octobre 2021

Nueva Königsberg - Paul Vacca


Alors que les bombes soviétiques éventraient Königsberg, ils surent qu’il fallait partir. [P.V.]

Si Frédéric Pagès et l'Association des amis de Jean-Baptiste Botul nous ont fait découvrir la traduction des causeries de cet édifiant philosophe, notamment dans La vie sexuelle d'Emmanuel Kant, Paul Vacca, quant à lui, narre dans le détail cet épisode de l'histoire de la philosophie. 

Jean-Baptiste Botul, alors en France, reçoit d'un ennemi de toujours une invitation à se rendre à Nueva Königsberg, une commune paraguayenne fondée par celles et ceux qui quittèrent en 1944 la ville où Emmanuel Kant passa l'essentiel sinon la totalité de sa vie. C'est dans ce nouveau monde qu'ils instaurèrent un mode de vie inspiré ou même calqué sur l'existence de celui qui nous a livré les trois Critiques, promenades quotidiennes comprises. Si les habitudes de Kant pouvaient ici se transposer, une question demeurait, celle de la sexualité, car, à cet égard, Kant a été relativement discret. Interpelé, Botul s’engage et y entraîne un jeune zazou qui se cherche. C’est cet étonnant voyage que nous relate Vacca dans une fable philosophico-humoristique où l’œuvre et les idées d’Emmanuel Kant sont mises de l’avant pour en déceler les pensées sous-jacentes à l’égard du sujet qui intéresse les citoyennes et citoyens de Nueva Königsberg, la sexualité. Au détour, on abordera non sans verve l'éthique, la morale, le bonheur et l'amour.

Chacun gagna sa chambre aux murs safran et à la sobriété monacale : un lit, une table de chevet – avec La Critique de la raison pure dans le tiroir (et dans le texte) – et un pot de chambre en faïence.  [P.V.]

Botul est venu pour parler de la vie sexuelle d’Immanuel Kant et résoudre le problème de la communauté. En fait, les exilés ne savent pas ce qu’il faut faire sur ce plan-là. Visiblement, pour l’instant, c’est abstinence ; ce qui les rend un peu à cran.  [P.V.] 
Rompant le silence, le philosophe expliqua que ce rituel était l’exacte réplique de la fameuse promenade de Kant, celle que le philosophe exécuta chaque jour de sa vie, empruntant le même trajet. Précise au point que les habitants de Königsberg n’avaient pas besoin d’horloge lorsqu’ils le voyaient passer.  [P.V.] 

Botul saisit un bout de papier et un crayon de bois, griffonna prestement un croquis et lui tendit la feuille. On y voyait les deux îles de Königsberg – par conséquent celles de Nueva Königsberg également – reliées par les sept ponts qu’il avait pris soin de numéroter. – Voilà. L’énigme est la suivante : « Peut-on faire une promenade en parcourant chaque pont une fois et une seule ? » [P.V.]

Nous ne subissons pas la réalité, c’est nous qui la produisons.  [P.V.]

Mon nom est Botul, Jean-Baptiste Botul. [P.V.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Botul

Jean-Baptiste

La métaphysique du mou

16/02/2022

Botul

Jean-Baptiste

La vie sexuelle d’Emmanuel Kant

29/09/2021