dimanche 27 novembre 2022

Portrait du baron d'Handrax - Bernard Quiriny

Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960) : peintre mineur, oublié de nos jours. Je m’en suis entiché par hasard, après avoir acheté une toile de lui chez un antiquaire, pour une bouchée de pain. [B.Q.]

Bernard Quiriny nous entraîne ici dans l'univers hétéroclite d'un personnage exceptionnel. Le narrateur était venu, dans un petit musée régional, à la rencontre d'œuvres d'un peintre mineur qu'il apprécie, Henri Mouquin d'Handrax. Voilà l'occasion de faire la connaissance de son petit-neveu Archibald, l'actuel baron d'Handrax, un aristocrate qu'il serait convenu de qualifier de fantasque, fantaisiste, changeant, mais toujours extravagant. L'auteur nous offre comme dans un cabinet de curiosités de petites fenêtres ou de minuscules portes s'ouvrant sur de multiples aspects d'une vie qu'il serait euphémique de dire qu'elle est hors du commun.

On a droit à une visite du manoir, de ses pièces à fonction particulière, comme celle du train électrique ou encore celle qui, plongée dans le noir, nous permet de découvrir de nouvelles sensations tactiles en tâtant de mystérieuses matières. On est instruit des collections du baron. On prend connaissance des deux familles qu'il a fondées en les installant dans des ailes opposées de l'habitation. On aurait aimé assister à l'un des dîners de sosies qu'organise Archibald. Le baron, en effet, invite à des soirées spéciales celles et ceux qu'ils croisent lorsqu'ils paraissent avoir les traits de personnages historiques d'importance (Nietzsche, Mme Récamier, Nikola Tesla, George Sand et Churchill, par exemple, ont ainsi partagé un repas chez d'Handrax).

Voilà une pseudobiographie qui, écrite dans un style tout à fait classique et admirable, nous expulse du quotidien pour nous projeter dans un espace de fiction étrange, burlesque et drolatique. J'en reprendrais assurément.

– Hélas, mon cher. Hélas. – Oui ? – Vous ne ressemblez qu’à vous-même.  [B.Q.]

On s’y sentait délicieusement bien, comme dans le jardin d’un vieux presbytère – le Baron en y pénétrant ne manquait jamais de déclamer les vers célèbres de Gaston Leroux : Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. [B.Q.]

« C’est un art difficile, le livre d’aphorismes. Il faut qu’ils soient bons ; mais en même temps, il faut que certains soient en fait assez plats, pour que les meilleurs prennent du relief par contraste. Alors, paradoxalement, vous aurez dans les mains un meilleur recueil que si tous avaient culminé, car aucun ne serait ressorti, et le livre aurait paru moins bon. »  [B.Q.]

Notre existence terrestre est une lutte quotidienne entre le sommeil et la vie. [B.Q.] 

dimanche 13 novembre 2022

Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline

Ça a débuté comme ça. [C.]

Un choc, que cette lecture !  Je n'avais pas lu ce classique du XXe siècle bien qu'il apparût dans ma liste de livres à lire depuis plusieurs années. Je ne sais ce qui me faisait hésiter. La découverte lors de ma lecture de ce style particulier qui intègre de façon très coulante le langage parlé m'a marqué. Je comprends que cette écriture peut, à l'époque, avoir bouleversé les façons de faire autant chez les lecteurs que chez les écrivains. Céline s'adresse au lecteur comme l'aurait fait le narrateur Ferdinand Bardamu s'il s'était tenu devant nous. Roman autant politique que personnel, il raconte le parcours du narrateur, de son expérience lors de la Première Guerre mondiale à son contact avec le colonialisme en Afrique, sa fuite vers l'Amérique et les machines du capitalisme naissant, puis son retour en France et son expérience de médecin des pauvres en banlieue parisienne. C'est un roman qui a, sans contredit, des saveurs anarchistes, un roman qui conteste, qui s'élève contre l'absurdité du monde, contre la guerre, contre l'exploitation coloniale, contre le colonialisme intérieur qu'est le capitalisme. Voilà un roman qui constate, mais n'avance pas de réponses et, en ce sens, il peut apparaître comme désespéré.

Il contient un nombre incroyable d'extraits que j'aurais aimé placer ici en citations.

[...] l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches. [C.]

Dans ce métier d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge. [C.]

On est retournés dans la guerre. Et puis il s'est passé des choses et encore des choses, qu'il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d'aujourd'hui ne les comprendraient déjà plus. [C.]

Je me postai devant la grande vitre de la génératrice centrale, cette géante multiforme qui rugit en pompant et en refoulant je ne sais d’où, je ne sais quoi, par mille tuyaux luisants, intriqués et vicieux comme des lianes. [C.]

Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin. [C.] 

Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais, de cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie. [C.]

Puisque nous sommes que des enclos de tripes tièdes et mal pourries nous aurons toujours du mal avec le sentiment. [C.] 

La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. [C.] 

« Écoute ! qu’il a commencé.
– Je t’écoute, que j’ai répondu. »
[C.]

 

mardi 8 novembre 2022

Une sorte de renaissance - Anaël Turcotte

Devant la fenêtre, le vieux professeur cherchait dans le chuchotement des feuilles du boisé une manière de rompre le silence. [A.T.]

En prenant connaissance de ce premier roman de l'auteur Anaël Turcotte, Une sorte de renaissance, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, mais le lecteur en moi, toujours à l'affut d'œuvres de fiction, d'histoires imaginées, de contes inventés, a été rassasié par cette chronique d'un temps futur qui débute par le meurtre d'un mouton. Au contact d'une nouvelle lecture, mon réflexe instinctif, comme celui de plusieurs personnes probablement, est de tenter d'y découvrir des rapprochements avec des textes qui prennent place dans ma bibliothèque intérieure, dans mon histoire de lecteur. L'univers dont les contours ne sont pas précisément dessinés, cette enquête autour d'un mouton et la présence centrale d'une adolescente qui questionne la vie ne pouvaient me diriger autre part que vers Murakami. Entendons-nous, Anaël Turcotte n'est peut-être pas un écrivain japonais (comme peut le déclarer Dany Laferrière), mais j'ai retrouvé dans Une sorte de renaissance une atmosphère qui évoquait, et cela est bien personnel, le décalage subtil qu'il peut y avoir avec la réalité dans plusieurs des écrits de Murakami, et, en projetant plus loin ma lecture, quelques éléments du roman d'apprentissage. 

Voilà donc un roman d'anticipation qui se déroule dans un Québec d'après la Grande Explosive, un Québec dont les grandes villes semblent abandonnées, un Québec qui s'est réorganisé en petites communes menées par le Patronat à l'aide d'un système qui s'apparentent aux castes. Dans cet univers inquiétant, la petite communauté de Monojoly est troublée par le meurtre du mouton, par l'enquête qui en découle, par une jeune fille qui refuse l'état de fait et par des ermites philosophes qui fomentent en marge un nouveau printemps. J'ai aimé m'insérer dans cette œuvre d'imagination emportant avec moi, au sortir de ma lecture, des questions et des sujets de réflexions.  

C'est dans le cadre d'une opération Masse Critique au Québec du site Babelio que les Éditions Tryptique m'ont fait parvenir un exemplaire de ce roman de l'auteur Anaël Turcotte. Je les remercie.

Rien ne changeait à Monojoly, sauf les saisons et les raisons de ne rien faire. [A.T.]
Aucune obligation cruciale ne les attendait sauf le prolongement de leur vie. [A.T.]
Ainsi, ils partagèrent tour à tour leurs peurs fondamentales, leurs espoirs vis-à-vis du futur, leurs préférences, leurs joies, leurs tragédies. [A.T.]