vendredi 30 décembre 2022

Un café avec Marie - Serge Bouchard


Nous sommes en après-midi et, déjà, la matinée me manque. [S.B.]

Comment décrire cet ensemble de chroniques de l'anthropologuehomme de radio et chroniqueur, Serge Bouchard sinon qu'il s'agit de se permettre d'entendre sa voix posée nous raconter dans l’oreille les observations qu’il a pu faire ainsi que ses réflexions les plus intuitives sur l’amour, le temps, l'histoire et le monde tel qu'il est, fruit d'un passé trop souvent méconnu. C'est en posant un œil bienveillant sur la société qu'il porte un discours bien personnel qui s'inscrit en une série de microessais d'abord écrits pour la radio. Bien sûr, le deuil de sa compagne Marie vient teinter l'ensemble, mais c'est aussi le bonheur du café partagé avec la même Marie qui en rend la lecture joyeuse. S'il traite de souvenirs personnels, c'est également de la mémoire collective dont il est question. À travers cet ensemble de textes, Bouchard nous livre une part de son humanité et, par là, contribue à nos propres réflexions sur le monde.

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16/06/2019


mercredi 28 décembre 2022

De préférence la nuit - Stanley Péan

Qu'est-ce que cette chose appelée jazz ?   

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment à cette question que répondent ces textes de Stanley Péan, à moins que ce ne soit de façon détournée et peut-être plus parlante, en nous faisant sentir l'époque, la société dans la marge de laquelle fourmillaient des orchestres naissants, des interprètes inspirés et des musiciens enflammés. Stanley Péan adopte un ton personnel pour nous faire vivre des parcours hors du commun, notamment ceux de Clifford Brown­­­, de Art Blakey, de Lee Morgan, ou encore Miles Davis, des parcours qui s'expriment dans un contexte de lutte pour les droits civiques des Afro-américains, des parcours qui se sont inscrits de diverses façons dans l'histoire culturelle, que ce soit au cinéma ou en littérature. Stanley Péan rapporte dans ces quelques récits ces magnifiques croisements et interfaces entre l'histoire du jazz, l'évolution de la société et celle de la culture. Voilà donc une lecture qui s'écoute, même si parfois elle peut paraître réservée aux connaisseurs, il faut se laisser secouer par le hard bop revendicateur qui propulsait une nouvelle voix au devant de la scène.

Et pour citer le pianiste Thelonious Monk, à qui l'on doit une centaine de compositions majeures du répertoire moderne, il faut, au moment d'entamer un chorus, avant de jouer la moindre note, s'assurer que celle-ci est véritablement préférable au silence. [S.P.]

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jeudi 22 décembre 2022

L'art de philosopher - Bertrand Russell

Commençons par dire quelques mots de ce qu'est la philosophie. [B.R.]

Bertrand Russell, ce mathématicien, logicien et philosophe, l'un des grands du XXe siècle, nous offre ici trois courts textes qui résument dans un langage simple et abordable quelques idées sur le métier de philosophe et les outils qu'il faut détenir pour l'accomplir. C'est au début des années 1940 qu'il s'adresse ainsi à des étudiants, apprentis philosophes. Le premier essai pose les bases de ce qui est nécessaire pour s'initier à la pensée critique, l'art de la conjecture rationnelle. Cela passe notamment par l'histoire des sciences et la distinction entre savoir et croyance. Le deuxième texte porte sur la logique et l'art de l'inférence. Enfin, le dernier, l'art du calcul, porte sur l'outil mathématique. J'ai aimé y trouver des illustrations et des analogies que j'avais autrefois utilisées dans mon enseignement des mathématiques. 

L'art de philosopher veut faire saisir l'esprit de la démarche philosophique à tout un chacun. Même si l'âge du texte transparait plus d'une fois, on doit convenir que la proposition est une réussite.  

Celui qui veut devenir philosophe trouvera profit à s’intéresser à l’histoire de la science, et tout particulièrement à la lutte qui l’a opposée à la théologie. [B.R.]

Sommes-nous en mesure de connaître quoi que ce soit de ce qu’est le monde, par opposition à ce qu’il semble être ? Voilà ce que le philosophe veut savoir, et c’est dans ce but qu’il lui faut faire un aussi long apprentissage de l’impartialité.  [B.R.]

Cependant, si les mathématiques étaient bien enseignées, il y aurait bien moins de gens pour les détester qu’il n’y en a actuellement.  [B.R.]

C’est dire que les mathématiques fournissent les meilleures hypothèses de travail pour comprendre le monde. [B.R.]

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Le monde qui pourrait être 

30/12/2014

mercredi 7 décembre 2022

La fin des temps - Haruki Murakami

L’ascenseur continuait à monter avec une extrême lenteur. [H.M.]

Dans ce roman datant de la fin des années 80, Murakami se permet une part d'imaginaire encore plus vive pour intervenir dans la trame narrative reposant sur les deux univers qui se côtoient dans le cerveau d'un informaticien. On pourrait croire que l'un de ces deux mondes est en fait un monde virtuel peuplé d'avatars, mais chacun des deux versants de cette fin des temps recèle sa portion de fantastique, sa portion de décalage avec la réalité, sa portion d'étonnant. Des ténébrides, ces monstres informes qui peuplent les souterrains de Tokyo, aux licornes qui paissent dans les prés et les forêts jouxtant une cité derrière des murs, Murakami nous entraîne dans des réflexions sur la mémoire, sur les capacités de nos cerveaux, sur la recherche et les expériences dont ils peuvent être l'objet. La structure alterne entre deux mondes, entre deux sensibilités, entre roman d'aventures et poésie fabulatrice, entre le narrateur et son ombre, entre pays des merveilles et fin du monde. Le parallélisme entre les deux univers qui s'incarnent dans l'esprit trituré du protagoniste tente lui-même d'inscrire des passerelles pour établir une perméabilité des mondes et, comme les oiseaux, se permettre de franchir la muraille. La virtualité continue à questionner, Murakami n'a pas fini de contribuer à cette interpellation du réel. 

L’acte sexuel est quelque chose d’extrêmement subtil, ce n’est pas la même chose que d’aller acheter une bouteille thermos le dimanche dans un grand magasin. [H.M.]

Ça sonnait comme du turc, mais le problème c’est que je n’avais jamais entendu parler turc de ma vie, par conséquent ce n’était peut-être pas du turc. [H.M.]

Le bon bûcheron, c’est celui qui n’a qu’une cicatrice. [H.M.]

Dans la brasserie était diffusée, on ne sait pourquoi, une symphonie de Bruckner. Je ne savais pas exactement de quel numéro il s’agissait mais, de toute façon personne ne connaît les numéros des symphonies de Bruckner. En tout cas, c’était bien la première fois que j’entendais du Bruckner dans une brasserie. [H.M.]

Après ça, je me rendis dans un magasin de disques, où j’achetai quelques cassettes. Cet assortiment varié comprenait la meilleure sélection de Johnny Mattis, La Nuit transfigurée de Schönberg dirigé par Zubin Mehta, Stormy Sandy de Kenny Burrel, Les Morceaux les plus populaires de Duke Ellington, les Concertos brandebourgeois dirigés par Trevor Pinnock, et une cassette de Bob Dylan avec Like a Rolling Stone. J’étais obligé de faire un choix varié, car je n’avais moi-même aucune idée du genre de musique qu’on avait envie d’écouter dans une Carina 1800 GT Twin Cam Turbot. [H.M.]

Je ne sais pourquoi, ça me faisait bizarre de voir un prunier dans le jardin d’un restaurant italien, mais en fait ce n’était peut-être pas si bizarre que ça. Il y a peut-être des pruniers en Italie. Il y a bien des loutres en France !  [H.M.]

Mourir, c’est laisser derrière soi une bombe de mousse à raser à moitié vide. [H.M.]

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La course au mouton sauvage

28/09/2022

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Le Meurtre du Commandeur

26/05/2019

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Le passage de la nuit

07/02/2017

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L’éléphant s’évapore

27/07/2017

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Les amants du Spoutnik

27/11/2019

Murakami

Haruki

L’étrange bibliothèque

21/10/2016


dimanche 27 novembre 2022

Portrait du baron d'Handrax - Bernard Quiriny

Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960) : peintre mineur, oublié de nos jours. Je m’en suis entiché par hasard, après avoir acheté une toile de lui chez un antiquaire, pour une bouchée de pain. [B.Q.]

Bernard Quiriny nous entraîne ici dans l'univers hétéroclite d'un personnage exceptionnel. Le narrateur était venu, dans un petit musée régional, à la rencontre d'œuvres d'un peintre mineur qu'il apprécie, Henri Mouquin d'Handrax. Voilà l'occasion de faire la connaissance de son petit-neveu Archibald, l'actuel baron d'Handrax, un aristocrate qu'il serait convenu de qualifier de fantasque, fantaisiste, changeant, mais toujours extravagant. L'auteur nous offre comme dans un cabinet de curiosités de petites fenêtres ou de minuscules portes s'ouvrant sur de multiples aspects d'une vie qu'il serait euphémique de dire qu'elle est hors du commun.

On a droit à une visite du manoir, de ses pièces à fonction particulière, comme celle du train électrique ou encore celle qui, plongée dans le noir, nous permet de découvrir de nouvelles sensations tactiles en tâtant de mystérieuses matières. On est instruit des collections du baron. On prend connaissance des deux familles qu'il a fondées en les installant dans des ailes opposées de l'habitation. On aurait aimé assister à l'un des dîners de sosies qu'organise Archibald. Le baron, en effet, invite à des soirées spéciales celles et ceux qu'ils croisent lorsqu'ils paraissent avoir les traits de personnages historiques d'importance (Nietzsche, Mme Récamier, Nikola Tesla, George Sand et Churchill, par exemple, ont ainsi partagé un repas chez d'Handrax).

Voilà une pseudobiographie qui, écrite dans un style tout à fait classique et admirable, nous expulse du quotidien pour nous projeter dans un espace de fiction étrange, burlesque et drolatique. J'en reprendrais assurément.

– Hélas, mon cher. Hélas. – Oui ? – Vous ne ressemblez qu’à vous-même.  [B.Q.]

On s’y sentait délicieusement bien, comme dans le jardin d’un vieux presbytère – le Baron en y pénétrant ne manquait jamais de déclamer les vers célèbres de Gaston Leroux : Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. [B.Q.]

« C’est un art difficile, le livre d’aphorismes. Il faut qu’ils soient bons ; mais en même temps, il faut que certains soient en fait assez plats, pour que les meilleurs prennent du relief par contraste. Alors, paradoxalement, vous aurez dans les mains un meilleur recueil que si tous avaient culminé, car aucun ne serait ressorti, et le livre aurait paru moins bon. »  [B.Q.]

Notre existence terrestre est une lutte quotidienne entre le sommeil et la vie. [B.Q.] 

dimanche 13 novembre 2022

Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline

Ça a débuté comme ça. [C.]

Un choc, que cette lecture !  Je n'avais pas lu ce classique du XXe siècle bien qu'il apparût dans ma liste de livres à lire depuis plusieurs années. Je ne sais ce qui me faisait hésiter. La découverte lors de ma lecture de ce style particulier qui intègre de façon très coulante le langage parlé m'a marqué. Je comprends que cette écriture peut, à l'époque, avoir bouleversé les façons de faire autant chez les lecteurs que chez les écrivains. Céline s'adresse au lecteur comme l'aurait fait le narrateur Ferdinand Bardamu s'il s'était tenu devant nous. Roman autant politique que personnel, il raconte le parcours du narrateur, de son expérience lors de la Première Guerre mondiale à son contact avec le colonialisme en Afrique, sa fuite vers l'Amérique et les machines du capitalisme naissant, puis son retour en France et son expérience de médecin des pauvres en banlieue parisienne. C'est un roman qui a, sans contredit, des saveurs anarchistes, un roman qui conteste, qui s'élève contre l'absurdité du monde, contre la guerre, contre l'exploitation coloniale, contre le colonialisme intérieur qu'est le capitalisme. Voilà un roman qui constate, mais n'avance pas de réponses et, en ce sens, il peut apparaître comme désespéré.

Il contient un nombre incroyable d'extraits que j'aurais aimé placer ici en citations.

[...] l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches. [C.]

Dans ce métier d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge. [C.]

On est retournés dans la guerre. Et puis il s'est passé des choses et encore des choses, qu'il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d'aujourd'hui ne les comprendraient déjà plus. [C.]

Je me postai devant la grande vitre de la génératrice centrale, cette géante multiforme qui rugit en pompant et en refoulant je ne sais d’où, je ne sais quoi, par mille tuyaux luisants, intriqués et vicieux comme des lianes. [C.]

Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin. [C.] 

Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais, de cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie. [C.]

Puisque nous sommes que des enclos de tripes tièdes et mal pourries nous aurons toujours du mal avec le sentiment. [C.] 

La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. [C.] 

« Écoute ! qu’il a commencé.
– Je t’écoute, que j’ai répondu. »
[C.]

 

mardi 8 novembre 2022

Une sorte de renaissance - Anaël Turcotte

Devant la fenêtre, le vieux professeur cherchait dans le chuchotement des feuilles du boisé une manière de rompre le silence. [A.T.]

En prenant connaissance de ce premier roman de l'auteur Anaël Turcotte, Une sorte de renaissance, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, mais le lecteur en moi, toujours à l'affut d'œuvres de fiction, d'histoires imaginées, de contes inventés, a été rassasié par cette chronique d'un temps futur qui débute par le meurtre d'un mouton. Au contact d'une nouvelle lecture, mon réflexe instinctif, comme celui de plusieurs personnes probablement, est de tenter d'y découvrir des rapprochements avec des textes qui prennent place dans ma bibliothèque intérieure, dans mon histoire de lecteur. L'univers dont les contours ne sont pas précisément dessinés, cette enquête autour d'un mouton et la présence centrale d'une adolescente qui questionne la vie ne pouvaient me diriger autre part que vers Murakami. Entendons-nous, Anaël Turcotte n'est peut-être pas un écrivain japonais (comme peut le déclarer Dany Laferrière), mais j'ai retrouvé dans Une sorte de renaissance une atmosphère qui évoquait, et cela est bien personnel, le décalage subtil qu'il peut y avoir avec la réalité dans plusieurs des écrits de Murakami, et, en projetant plus loin ma lecture, quelques éléments du roman d'apprentissage. 

Voilà donc un roman d'anticipation qui se déroule dans un Québec d'après la Grande Explosive, un Québec dont les grandes villes semblent abandonnées, un Québec qui s'est réorganisé en petites communes menées par le Patronat à l'aide d'un système qui s'apparentent aux castes. Dans cet univers inquiétant, la petite communauté de Monojoly est troublée par le meurtre du mouton, par l'enquête qui en découle, par une jeune fille qui refuse l'état de fait et par des ermites philosophes qui fomentent en marge un nouveau printemps. J'ai aimé m'insérer dans cette œuvre d'imagination emportant avec moi, au sortir de ma lecture, des questions et des sujets de réflexions.  

C'est dans le cadre d'une opération Masse Critique au Québec du site Babelio que les Éditions Tryptique m'ont fait parvenir un exemplaire de ce roman de l'auteur Anaël Turcotte. Je les remercie.

Rien ne changeait à Monojoly, sauf les saisons et les raisons de ne rien faire. [A.T.]
Aucune obligation cruciale ne les attendait sauf le prolongement de leur vie. [A.T.]
Ainsi, ils partagèrent tour à tour leurs peurs fondamentales, leurs espoirs vis-à-vis du futur, leurs préférences, leurs joies, leurs tragédies. [A.T.]

dimanche 30 octobre 2022

Voyage sentimental à travers la France et l'Italie - Laurence Sterne

- Ce point, dis-je, est mieux réglé en France - [L.S.]

Voilà une version classique de ce qu'on pourrait appeler une production dérivée ou un spin-off. En effet, le Voyage sentimental en France et en Italie raconte, par sa plume même, le parcours qu'entreprend le révérend Yorick, à n'en pas douter un alter ego de Laurence Sterne, personnage secondaire qui intervenait déjà dans l'incomparable roman La vie et les opinions de Tristram Shandy du même Sterne. La forme en est différente, le propos également, mais on retrouve avec bonheur l'écriture empreinte de digressions et quelque peu satirique de l'auteur. Nous avons donc droit à l'histoire sensible d'un voyage de Calais à Paris en passant par Lyon et d'autres communes françaises, un voyage que certains, à l'époque, surtout de jeunes Anglais bien nés, entreprenaient de façon initiatique (le Grand Tour). Yorick note, tout au long de ses pérégrinations, ses remarques à propos des mœurs déroutantes des Français, quelques points d'étude des comportements, ainsi que des observations à propos de lui-même jusqu'à commenter le battement de son cœur ou la rougeur de ses joues en présence de dames. C'est un livre d'humeur autant que d'humour.  

Comme Tristram Shandy, le Voyage sentimental échappe aux catégories, se situe à la frontière entre les genres, mais échappe à tous. Ni journal de voyage, ni récit autobiographique, ni description de la France, encore moins de l'Italie, ni même peut-être roman sentimental, il s'appuie sur toutes ces formes pour constituer un récit destiné à ébranler les lecteurs dans leurs habitudes de lecture. [extrait de la Préface d'Alexis Tadié]

Le siècle est si plein de lumière, qu'il n'est guère un pays ou un coin de l'Europe dont les rayons ne se croisent et n'échangent avec d'autres. [L.S.] 

Rien n'est plus embarrassant pour moi, dans la vie, que d'avoir à dire à quelqu'un qui je suis - car il n'est presque personne dont je ne puisse mieux rendre compte que de moi-même ; et j'ai souvent souhaité pouvoir le faire d'un seul mot - et en être quitte. [L.S.] 

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mercredi 26 octobre 2022

Moderato cantabile - Marguerite Duras

- Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame.
- Moderato cantabile, dit l'enfant. [M.D.]

Cela se passe dans une petite ville portuaire.  Anne Desbarèdes accompagne son jeune fils à sa leçon de piano. « Dans la rue, en bas de l'immeuble, un cri de femme retentit. ». Voilà le déclencheur d'un roman d'atmosphère qui déstabilise. L'écriture simple et précise de Marguerite Duras semble en contradiction avec l'univers mystérieux, envoutant et sans réponse de cette œuvre que d'aucuns attribuent à la mouvance du nouveau roman. Ce voile de silence se transpose dans les dialogues surréalistes qu'Anne entretient avec Chauvin lors de ces répétitives visites au café où a eu lieu un crime passionnel qui semble l'obséder depuis qu'elle en a été, tout comme Chauvin, le témoin indirect. Au rythme des verres de vin consommés au café, quelques bribes de réalité semblent émerger. Dans cette petite localité de bord de mer,  Anne appartient à une classe autre que celle des ouvriers et débardeurs qui fréquentent en fin de journée le comptoir du bar. Le rythme lent et itératif plonge le lecteur dans un sentiment trouble où il ressent la solitude de même qu'une trace de désir inassouvi. J'ai adoré.  

 

mercredi 19 octobre 2022

Des bises du Bison - Boris Vian

Si la fantaisie et l'humour interviennent si souvent dans l'œuvre multiple et diversifiée de Boris Vian, on s'apercevra ici qu'ils émaillaient tout autant ses interventions intimes. Mais, pouvions-nous en douter ? On imagine Boris Vian si entier, qu'il n'en pouvait être autrement. 

Nicole Bertolt, celle qui veille sur ce que nous a laissé Vian en présidant la Cohérie Boris Vian, a rassemblé ici un ensemble de lettres de Vian, courtes pour la plupart, des lettres adressées à sa mère, à sa première épouse, Michelle Léglise, à ses enfants, à Ursula Kübler, sa deuxième épouse, à ses amis. On retrouve également quelques lettres reçues en retour de ces courriers.  On est heureux de constater la liberté avec laquelle le Bison Ravi s'affranchit des codes de l'écriture. Depuis ses lettres à sa vieille mère Pouche alors qu'il était étudiant jusqu'à ses considérations sur le jazz avec des amis ou des éditeurs ou encore ses échanges remplis de bises et d'amour à son ourson préféré (Ursula), celui qui, adolescent, s'est plu dans l'univers créé par Vian, renouera ici, par cette incursion dans son domaine privé, avec quelques éléments de l'excentricité inventive de l'auteur.

dimanche 9 octobre 2022

Oulipo : L'abécédaire provisoirement définitif - Oulipo

Un Larousse de l'Oulipo, un dictionnaire de l'Ouvroir de littérature potentielle, mais pourquoi donc ? 

Mais, pour se rassasier des contraintes imaginées par ses membres. Pour contempler des exemples de jeux d'écriture. Pour gouter aux joies que procure l'évasion en mots des labyrinthes que les oulipiens ont eux-mêmes construits. Pour lire des textes inventifs, ingénieux, astucieux et souvent fantaisistes. Pour s'imaginer en train d'écrire. Pour apprécier cette improbable interface entre mathématiques et littérature. Pour lire et relire des extraits des œuvres de Perec. Pour découvrir d'autres oulipiens et leurs écrits. Pour se coltailler à de nouvelles contraintes. Pour estimer la complexité du geste d'écrire en respectant des règles imposées. Pour mesurer l'exceptionnelle potentialité créative de la contrainte. Pour s'amuser avec les mots. Pour ne point bouder son plaisir. Pour rire et se casser la tête. Voilà pourquoi, entre autres, un Larousse de l'Oulipo, un Abécédaire même provisoirement définitif s'imposait tout autant que sa lecture.

mercredi 5 octobre 2022

L'inventeur - Miguel Bonnefoy

Son visage n'est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d'histoire. [M.B.]

Je n'avais jamais croisé les ouvrages de Miguel Bonnefoy, mais intrigué par la quatrième de couverture, je me suis lancé dans la lecture de ce roman historique qui, rapidement, m'a captivé. Je tenais à connaître la suite de l'aventure de ce quelconque professeur de mathématiques, Augustin Mouchot, que rien ne destinait à quelque péripétie qui pourrait s'apparenter de près ou de loin avec les tribulations d'un héros ou celles d'un explorateur. Je tenais à savoir comment le parcours de vie de Mouchot aurait pu l'amener à prendre la mesure du potentiel énergétique du soleil, comment, dans un monde où le charbon était roi, il a pu concevoir des machines qui tirent leur force du soleil, comment les aléas de l'histoire ont fait en sorte que, de Mouchot, on ne retienne aujourd'hui presque rien alors que l'énergie de source renouvelable revient au devant de la scène. La plume de Bonnefoy porte bien ce projet et j'ai adoré me laisser mener par son écriture vivante lors de cette périlleuse traversée de la vie d'un inventeur méconnu.

Rien dans son profil ne rappelait la gravité de l'algèbre. Rien de savant, rien de large, rien qui révélait une forêt encore à naître. [M.B.]

[...] il était un homme de l'ombre tourné vers le soleil au milieu d'un siècle lumineux tourné vers le charbon. [M.B.]

Personne ne saisissait exactement ce que cet appareil était censé faire, ni pourquoi ce savant s'agitait avec autant de minutie, mais ils admiraient avec un respect convaincu ce petit scientifique venu de loin, héroïque dans ce rôle césarien, seul devant le soleil, grandiose dans sa tentative, si bien que, chaque fois que la chaudière augmentait sa température, une bruyante ovation éclatait dans le public. [M.B.] 

 

mercredi 28 septembre 2022

La course au mouton sauvage - Haruki Murakami

Un ami qui avait appris sa mort, par hasard, en lisant le journal, m'annonça la nouvelle au téléphone. [H.M.]

Encore une fois, Murakami m'aura fait pénétrer dans un univers qui se situe tout juste et subtilement en marge de la réalité, un monde où les événements prennent un tournant que rien ne présageait, mais un monde qui a toutes les allures du routinier alors que l'écrit est teinté dans sa simplicité d'une touche de poésie.  

Le numéro 2 d'une organisation manifestement criminelle se présente chez le narrateur, le co-responsable d'une petite entreprise publicitaire, pour le questionner au sujet d'une photo utilisée il y a quelque temps pour la promotion d'une compagnie d'assurance, une banale photo de paysage où apparaissent quelques montagnes et plusieurs moutons. L'un de ces moutons semble intéresser particulièrement l'Homme en noir. Notre narrateur sera investi malgré lui d'une mission qu'il ne peut rejeter, une mission qui sera nourrie par sa propre curiosité alors qu'il constate les liens que le décor et le mouton peuvent avoir avec son ami surnommé « le Rat ». Sa quête deviendra le sujet de ce roman. 

On aura droit à des personnages succulents, de savoureux dialogues, des descriptions et des expériences hallucinées. On ne sort pas intact de cette lecture.

Les raisons pour lesquelles un homme se met à boire régulièrement de grandes quantités d'alcool peuvent être très diverses. Le résultat, lui, est généralement le même. [H.M.]

Des souvenirs oppressants s'écroulèrent comme du sable sec. [H.M.]

Je revins m'asseoir dans le canapé, et là, au milieu des ténèbres et du silence, je rassemblai l'un après l'autre les morceaux de mon existence. [H.M.]
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mercredi 14 septembre 2022

L'Étoffe du diable : Une histoire des rayures et des tissus rayés - Michel Pastoureau

« Cet été, osez le chic des rayures. » Dans ce slogan quelque peu tapageur, qu’une campagne publicitaire a largement répandu il y a plusieurs mois sur les murs du métro parisien, tous les mots sont importants.  [M.P.]

Pastoureau est un médiéviste français dont l'œuvre s'intéresse particulièrement aux couleurs, aux symboles, à l'héraldique et aux emblèmes présents au Moyen Âge. Depuis longtemps, j'étais tenté par ses ouvrages. C'est par ce bref essai que je m'ouvre à son univers. J'étais curieux de découvrir cette plongée dans la symbolique médiévale des tissus rayés et l'évolution de leur perception au cours de l'histoire. Je n'aurai pas été déçu même si, plus d'une fois, l'analyse repose sur une lecture hypothétique dont l'interprétation pourrait être contestée. Il faut, je crois, accepter le risque d'une possible dérive dans la thèse avancée à moins de n'en proposer aucune et de se dire incapable de se faire une représentation du cadre emblématique du passé. Je préfère apprécier les conjectures de l'auteur qu'elles soient savantes ou même ludiques et me laisser guider par ses soins de la rayure infamante des exclus à celle hygiénique des pyjamas en passant par sa déclinaison marine, celle qui s'inscrit dans les sports, ainsi que toutes les transgressions qu'elle peut receler.

Nombreux sont dans l’Occident médiéval les individus – réels ou imaginaires – que la société, la littérature ou l’iconographie dotent de vêtements rayés. Ce sont tous, à un titre ou à un autre, des exclus ou des réprouvés, depuis le juif et l’hérétique jusqu’au bouffon ou au jongleur, en passant non seulement par le lépreux, le bourreau ou la prostituée, mais aussi par le chevalier félon des romans de la Table ronde, par l’insensé du livre des Psaumes ou par le personnage de Judas. Tous dérangent ou pervertissent l’ordre établi ; tous ont plus ou moins à voir avec le Diable. [M.P.]
« Peigner la girafe », n'est-ce pas mettre en ordre ses taches, tenter d'en faire un zèbre ? [M.P.]

mercredi 7 septembre 2022

Le hors-sujet, Proust et la digression - Pierre Bayard

Proust est trop long. [P.B.]

C'est par cette phrase volontairement tranchante que Pierre Bayard ouvre sa discussion sur le hors-sujet et la digression. Il prend l'œuvre de Proust, en particulier À la Recherche du temps perdu [la Recherche], comme étalon, pour y repérer les digressions volontaires ou non, annoncées ou non, prévisibles ou non, disruptives ou non, et en discuter la pertinence, la nécessité, l'inexorabilité. Si, par certains aspects, cet essai apparaît d'un sérieux théorique plus soutenu, il avance aussi sur un terrain hors-norme et plus divertissant en se donnant le mandat de réduire Proust, d'y retirer toutes les digressions pour n'en conserver que la substantifique moelle. Bayard cite, à cet égard, Gérard Genette qui faisait de la Recherche un résumé radical : Marcel devient écrivain

C'est donc un essai provocateur que Bayard nous propose, un essai comportant sa part de digressions, sa part de défi, sa part de jeu et peut-être, selon moi, une part trop importante de lecture psychanalytique. Mais, l'un dans l'autre, comme on dit, je me suis régalé dans les pages de cet essai et j'ai aimé y retrouver une référence à Laurence Sterne qui, avec La vie et les opinions de Tristram Shandy, nous offre un roman essentiellement constitué de digressions, de parenthèses et d'écarts.

Tout essai sur la digression a, notons-le, vocation encyclopédique. [P.B.]

Aussi la tentation est-elle grande, pour l'essayiste, d'insérer dans son texte les développements qu'il n'est pas parvenu à placer ailleurs. Nous nous sommes efforcé de ne pas abuser de cette situation, même si nous avons été conduit à avancer quelques réflexions sur La Princesse de Clèves, l’épistémologie de Karl Popper et l’histoire des guerres napoléoniennes : tous sujets qui, ne semblant pas s’imposer dans un essai sur la digression chez Proust avec une absolue nécessité, y trouvent, de ce fait, leur place naturelle.  [P.B.]

[...] une digression utile, voire nécessaire, demeure-t-elle une digression ? [P.B.] 

Ce qui est en jeu ici est ce que l’on appelle en théorie littéraire l’intertextualité. Tout texte entretient avec un certain nombre de textes précédents de la littérature des liens d’influence, volontaires ou involontaires. [P.B.]

Non seulement tout texte emprunte à d’autres et se situe dans un rapport objectif, en soi, avec d’autres textes de la littérature, mais il emprunte, pour le lecteur, à d’autres textes qui ont marqué celui-ci et se trouvent de ce fait, subjectivement parlant, dans une relation de dépendance avec lui. [P.B.]

La comparaison entre Proust et des auteurs « digressionnistes » comme Diderot ou Sterne est instructive. [P.B.] 

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