La Disparition doit sa notoriété au défi qu'il relève : écrire plus de trois cents pages sans utiliser la lettre la plus fréquente de l'alphabet, le e. S'il est indéniable d'y voir un exploit formel, le roman ne peut cependant y être réduit. [M.D. et Y.M.]
Se replonger dans une lecture signifiante par le truchement et l'interprétation d'autres lecteurs, c'est ce que m'a fait vivre cet agréable moment où j'étais totalement absorbé par les regards portés sur les méandres de l'œuvre lipogrammatique par excellence que représente La Disparition de Georges Perec. J'ai revécu cette expérience étonnante de lire page après page un texte sans e qui nous transporte et nous enivre d'un contexte policier entrant manifestement en résonance avec la forte contrainte choisie. Ce numéro des Cahiers Georges Perec s'ouvre sur 50 souvenirs de La Disparition, la mémoire d'actuels oulipiens à propos de leurs contacts respectifs avec l'œuvre en question.
Je me souviens que chaque traduction de La Disparition a été une aventure et chacun de ses traducteurs une sorte de héros. [Eduardo Berti]
Je me souviens avoir pensé, en lisant La Disparition pour la première fois, que ce n'était pas si compliqué, puis d'avoir essayé de « faire pareil » et commencé par constater qu'on ne pouvait écrire ni « faire », ni « pareil ». [Hervé Le Tellier]
J'aurai appris au travers les textes suivants à quel point Perec avait joué de la réécriture intertextuelle pour construire son tour de force. Comment il avait réécrit en langage lipogrammatique de larges passages de Raymond Roussel, un oulipien par anticipation, comment il avait emprunté des phrases réaménagées d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, comment il pastiche de nombreux auteurs comme Borges, Baudelaire, Rimbaud ou Victor Hugo.
Certaines thèses avancent sur un terrain moins stable en accordant à la contrainte utilisée une signification politique sinon psychanalytique en évoquant les questions existentielles qui traversent l'œuvre de Perec. Ce n'est pas l'aspect qui m'aura le plus séduit.
Je demeure avec l'idée que La Disparition mérite le plus d'angles d'approche que possible, qu'il y a plus que l'exercice de style dans ce roman, que l'intertextualité manifeste engage vers une nouvelle lecture, que Perec ne cessera de me surprendre et de m'éblouir, et enfin, que la littérature serait bien différente sans ses écrits.
[...] sortir du parcours rassurant du mot trop subit, trop confiant, trop commun, n'offrir au signifiant qu'un goulot, qu'un boyau, qu'un chas, si aminci, si fin, si aigu qu'on y voit aussitôt sa justification. [G.P.]
Il y avait un manquant. Il y avait un oubli, un blanc, un trou qu’aucun n’avait vu, n’avait su, n’avait pu, n’avait voulu voir. [G.P.]
Pour Georges Perec, l’écriture est bien le lieu où se rencontrent la lecture, les souvenirs et l’imaginaire, ces trois concepts se retrouvant toujours entremêlés dans chacun de ses écrits, la contrainte permettant au texte de naître. [Éric Lavallade, Le roman (policier) dans le roman, dans Cahiers Georges Perec 13]
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