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mercredi 11 janvier 2023

Le théorème de Kropst - Emmanuel Arnaud

Laurent Kropst avale son bol de lait, glisse sur la rampe de l'escalier tournant de son foyer de pierres et s'imprègne de l'humidité des pavés du dehors, tout juste lavés par les services municipaux de propreté. [E.A.]

Mon expérience d'études universitaires en mathématiques se situe dans un autre lieu, dans une atmosphère très différente, avec une approche bien distincte en ce qui regarde la compétition et la hiérarchie. Le contexte était tout autre, mais, tout de même, la lecture de ce premier roman d'Emmanuel Arnaud m'a replongé dans cette époque où je partageais avec mes collègues le bonheur d'une résolution accomplie, le ravissement devant une démonstration bien ficelée, le plaisir esthétique ressenti face à l'élégance mathématique, l'étincelle de joie lorsque l'intuition était fructueuse. Cela m'a rappelé les différences dans les approches qu'on pouvait avoir devant un problème à résoudre. Certains se lançaient selon le premier angle perçu dans des calculs à ne plus finir, ils utilisaient une force brute pour attaquer le problème jusqu'à ce qu'une solution se présente, quelle qu'en soit l'allure. D'autres méditaient devant le problème, cherchaient l'interstice par lequel se faufiler, tentaient de voir plus grand que le contexte du problème, cherchaient la belle solution, celle devant laquelle on ne pouvait que s'exclamer. Parfois, l'éclair ne venait pas, mais lorsqu'elle se présentait, cela devenait l'évidence, une évidence raffinée, et on se demandait comment il était possible d'être passé à côté tant de fois sans la voir. 

Pour en revenir au roman d'Emmanuel Arnaud, on accompagne Laurent Kropst dans sa formation de maths-sup à Louis-le-Grand. Il est confronté à la compétition en vue d'atteindre les grandes écoles. Le roman porte plus sur l'environnement brut des élèves que sur l'expérience d'études des mathématiques bien qu'on trouve de belles descriptions de l'intuition et des divers fonctionnements face à un examen. Kropst sera séduit par une autre version du monde, celle des filles des classes littéraires. Il trouvera peut-être là une solution à son problème de notes. Voilà donc un roman agréable qui décrit une expérience de découverte et d'initiation.

[...] il est sur le point de tousser lorsque brusquement, comme par magie, il reçoit cette offre de la pensée aléatoire qu’on appelle parfois une “illumination”. Il regarde les équations gigantesques inscrites sur ses feuilles volantes, l’“ENTROPIE”, la “THERMODYNAMIQUE”, le “SECOND PRINCIPE”, les sommes infinies, les alignements grecs. Il vient de songer une seconde, une seconde seulement, de façon détachée à son “intuition”. Il a été extérieur à lui-même pendant un laps de temps infime, mais cela a suffi. [E.A.]
Je ne suis pas Cédric Villani. Je suis un simple sup à Louis-le-Grand, c’est-à-dire une grosse branche informe. Mais une branche également infiniment maligne… [E.A.]

Tous ces romans que lisent les khâgneux ne sont pas seulement des histoires, ce sont des modes d’apprentissage du monde. Ce ne sont pas seulement des plaisirs, ce sont des exemples. Les livres sont les modes d’apprentissage des voies de traverse de la vie, voilà pourquoi elle me les fait lire…  [E.A.]

Est-ce que les mathématiques n’auraient donc toujours été pour lui qu’un simple vecteur de “rébellion” ? [E.A.]

jeudi 22 décembre 2022

L'art de philosopher - Bertrand Russell

Commençons par dire quelques mots de ce qu'est la philosophie. [B.R.]

Bertrand Russell, ce mathématicien, logicien et philosophe, l'un des grands du XXe siècle, nous offre ici trois courts textes qui résument dans un langage simple et abordable quelques idées sur le métier de philosophe et les outils qu'il faut détenir pour l'accomplir. C'est au début des années 1940 qu'il s'adresse ainsi à des étudiants, apprentis philosophes. Le premier essai pose les bases de ce qui est nécessaire pour s'initier à la pensée critique, l'art de la conjecture rationnelle. Cela passe notamment par l'histoire des sciences et la distinction entre savoir et croyance. Le deuxième texte porte sur la logique et l'art de l'inférence. Enfin, le dernier, l'art du calcul, porte sur l'outil mathématique. J'ai aimé y trouver des illustrations et des analogies que j'avais autrefois utilisées dans mon enseignement des mathématiques. 

L'art de philosopher veut faire saisir l'esprit de la démarche philosophique à tout un chacun. Même si l'âge du texte transparait plus d'une fois, on doit convenir que la proposition est une réussite.  

Celui qui veut devenir philosophe trouvera profit à s’intéresser à l’histoire de la science, et tout particulièrement à la lutte qui l’a opposée à la théologie. [B.R.]

Sommes-nous en mesure de connaître quoi que ce soit de ce qu’est le monde, par opposition à ce qu’il semble être ? Voilà ce que le philosophe veut savoir, et c’est dans ce but qu’il lui faut faire un aussi long apprentissage de l’impartialité.  [B.R.]

Cependant, si les mathématiques étaient bien enseignées, il y aurait bien moins de gens pour les détester qu’il n’y en a actuellement.  [B.R.]

C’est dire que les mathématiques fournissent les meilleures hypothèses de travail pour comprendre le monde. [B.R.]

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Le monde qui pourrait être 

30/12/2014

mercredi 2 mars 2022

La machine de Pascal - Laurent Lemire

Rouen, automne 1642. La lumière pénètre peu dans cette petite chambre. Cela suffit à celui qui travaille. Dans ce clair-obscur il est à son aise. [L.L.]

À 19 ans seulement, Blaise Pascal conçoit un objet mécanique dédié au calcul arithmétique. Alors que les opérations se computaient à l'aide de jetons ou encore à la plume, Pascal, soucieux de libérer l'homme de cette tâche harassante, a inventé et fait fabriquer des machines capables d'additionner, de soustraire, de multiplier et de diviser des quantités. Voilà l'histoire que nous raconte Laurent Lemire. À travers elle, c'est Pascal qui nous est raconté. Ce sont ses réflexions théoriques pour mettre en œuvre dans une machine une traduction mécanique de la pensée. Mais, de la théorie à l'implémentation, de l'idée à la machine, du croquis à l'objet réalisé, plusieurs étapes se sont imposées, notamment celle de convaincre. 

Laurent Lemire nous offre donc un court et intéressant roman ou essai historique et biographique chargé de citations d'époque et de textes de Pascal dont ce précieux Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir. Voilà une épopée palpitante, mais qui m'apparaît quelque peu réductrice de l'œuvre scientifique de Pascal en la confinant autour de cette machine, quelque magnifique qu'elle soit. 

Le pari, c'est ce moment de basculement d'un homme qui comprend qu'il ne comprendra jamais, mais qui ne renonce pas pour autant à savoir davantage. [L.L.]

[...] j'expose au public une petite machine de mon invention, par le moyen de laquelle seul tu pourras, sans peine quelconque, faire toutes les opérations de l'arithmétique, et te soulager du travail qui t'a souvent fatigué l'esprit, lorsque tu as opéré par le jeton ou la plume. [Blaise Pascal dans Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir

Il ne reste au monde aujourd'hui que neuf exemplaires de cette admirable machine, l'une d'elles était vendue comme une boîte à musique chez un antiquaire.



mercredi 12 janvier 2022

Algèbre, Éléments de la vie d'Alexandre Grothendieck - Yan Pradeau

Il n'a pas lu le tract qu'il tient à la main et ne le lira pas. Pourtant son nom y figure. [Y.P.]

C'est en quelques jours que j'ai parcouru avidement cette biographie romancée. Est-ce toutefois le bon terme pour parler de ce livre ? J'aurais plutôt tendance à utiliser "récit biographique". Quoiqu'il en soit, j'ai été happé par cette lecture qui me transportait dans la vie exceptionnelle d'un mathématicien français hors-norme, celle d'Alexandre Grothendieck. Son nom résonne peut-être un peu moins au Québec qu'en France, mais, dans le milieu mathématique, son apport à la science comme ses opinions extrêmes sont grandement réputés. Étudiant universitaire en mathématiques fondamentales dans les années 70, j'ai évidemment été marqué par l'influence du groupe Bourbaki, et donc par Grothendieck, la topologie algébrique, la théorie des catégories et toutes ces sortes de choses. Son refus d'aller recevoir en URSS la médaille Fields qui lui avait été décerné, ses positions politiques, notamment quant au financement militaire de la recherche mathématique ou physique ou son parti pris pour l'environnement, m'avaient alors impressionné. J'étais heureux de le croiser à nouveau et d'en apprendre plus sur son parcours grâce à ce court récit que nous offre l'auteur et enseignant en mathématique Yan Pradeau. Celui-ci réussit à présenter au monde les interstices d'un théoricien d'une intuition phénoménale, un penseur radical dans le domaine mathématique comme dans le domaine social et politique. Un immense travail de recherche et une écriture remarquable ont permis à Pradeau de dresser un portrait significatif du génie mathématique que demeurera Grothendieck. 

Khéops n'a bâti aucune pyramide de ses mains. [Y.P.]

La même année, à Besse-et-Saint-Anastaise, en Auvergne, naît un petit Nicolas qui deviendra, lui aussi, un grand mathématicien. De ses parents on ne sait rien, sauf qu'ils venaient d'une région oubliée du Caucase, la Poldévie. Bientôt sa route croisera celle d'Alexandre. Il s'agit de Nicolas Bourbaki. [Y.P.]

Un jour, Alexandre invoque un nombre premier pour les besoins d'une démonstration. "Lequel?" dit un auditeur. "Prenons le nombre 57 par exemple", lui répond Alexandre, et de continuer son exposé, comme si de rien n'était, en oubliant que 57 n'est pas un nombre premier. Cette anecdote porte la griffe du talent d'Alexandre, ses raisonnements ne s'appuient jamais sur des exemples. Depuis, 57 s'appelle "nombre premier de Grothendieck". [Y.P.]

"La société industrielle et la cellule cancéreuse partagent une même philosophie, celle de la croissance illimitée." [Alexandre Grothendieck] 

dimanche 10 octobre 2021

Le Scribe - Célia Houdart

Les yeux du douanier restèrent un moment fixés sur les lignes du passeport qui n'étaient pas écrites en anglais. [C.H.]

À ma première visite à Paris, je déambulais dans les rues du centre de la ville impressionné par la présence de nombreuses artères portant des noms à la mémoire de mathématiciens, il semble qu'il y a près de cent voies de Paris ainsi nommées. Bien que mon voyage n'avait rien de mathématique, j'avais l'impression d'être au coeur d'une partie importante de l'histoire de la recherche en ce domaine. Peut-être que Chandra, le jeune mathématicien indien qui est le protagoniste de ce roman, se sentait-il ainsi en abordant l'Institut-Henri-Poincaré, cet antre de la recherche mathématique sur la montagne Sainte-Geneviève ?

Dans le même voyage, je ne pouvais passer outre Le Musée du Louvre. Attiré particulièrement par les antiquités égyptiennes, j'avais hâte d'être devant Le Scribe accroupi  dans lequel je me reconnaissais quelque peu en raison de mes compétences mathématiques comme mon statut de fonctionnaire ou mon intérêt pour l'histoire... J'aurais aimé l'observer autant qu'a pu le faire Chandra.

Ce roman est construit sur deux sphères, celle de Chandra à Paris qui tourne autour de l'IHP et de la Sorbonne, une sphère qu'on pourrait apparenter à un roman initiatique, celle qui fait référence parfois au monde de la recherche mathématique (et à l'incomparable collection de modèles mathématiques de l'Institut) ; et puis celle de l'univers que Chandra a quitté, à Calcutta, ses soeurs, sa famille, une usine de traitement de l'eau où son père travaille et la situation environnementale.

Au coeur du roman, dans cette tranche de vie de ce jeune mathématicien, on trouve l'écrit, le message, la trace laissée pour les générations qui viennent. J'ai aimé même si je m'attendais à un roman où l'univers mathématique serait plus présent.

- Combien de lignes de définition faut-il pour écrire la démonstration de l'intégrale de Riemann ? Il y eut un silence. Dans les premiers rangs, un étudiant répondit : 42. [C.H.]  

Chandra regardait le long des berges les canards qui dormaient au soleil. Leur tête vert émeraude ou beige tacheté de brun était enfuie dans leur plumage soyeux. Ils formaient des virgules au bord de l'eau. [C.H.]

samedi 30 mai 2020

Des mots et des maths - Gérald Tenenbaum

« La nature est un livre écrit en langage mathématique », proclamait Galilée, exprimant ainsi la conviction que seules les mathématiques permettront à l’homme de comprendre le monde qui l’entoure. Pour autant, le langage mathématique demeure très mystérieux, voire anxiogène, au commun des mortels. [G.T.]
Gérald Tenenbaum, mathématicien et écrivain, à moins que ce ne soit l'inverse, explore pour nous une partie du vocabulaire mathématique en s'attardant sur des mots qui appartiennent au langage courant. Il cherche, si c'est le cas, à mettre en lumière les rapports cachés entre les divers sens communs du mot utilisé et les caractéristiques mathématiques d'un objet souvent abstrait appartenant au monde des idées et de la pensée mathématique. On dégage parfois dans ce lien ténu une fenêtre, étroite, mais réelle, qui ouvre le rationnel sur le sensible et l'émotif, qui révèle une partie des sentiments que les mathématiciens éprouvent envers la structure qu'ils dénomment. La terminologie mathématique prend ainsi en la plongeant dans un champ lexical plus large une couleur qu'on ne lui attribuait pas d'office.

Il m'a été impossible de parcourir cet ouvrage sans me replonger dans mes expériences d'enseignement. J'y ai revu les trucs et astuces qu'il faut mettre en branle pour faire saisir toutes les nuances qu'un mot désignant un objet mathématique peut receler surtout s'il appartient aussi au lexique courant. J'avais été sensibilisé à la difficulté langagière que peuvent éprouver certains étudiants au contact de mots du lexique mathématique qui sont chargés de leur sens usuel. En effet, un rapport de recherche intitulé Mathématiques et langages  (Margot de Serres et Jean-Denis Groleau, Collège Jean-de-Brébeuf, 1997) abordait entre autres cet aspect en considérant les problèmes d'incompréhension ou d'ambiguïté que des lacunes sémantiques ou syntaxiques peuvent induire. Des mots et des maths m'aura permis un joyeux retour sur mon passé d'enseignant.
... dis-moi comment tu varies, je te dirai qui tu es. [G.T.]
Au chapitre de la création terminologique, il faut distinguer entre les néologismes de forme, correspondant à la fabrication d’un mot nouveau par dérivation, composition ou analogie, et les néologismes de sens, par lesquels un mot existant reçoit une acception nouvelle. Lorsque les mathématiques empruntent un terme au langage courant, il s’agit évidemment de la deuxième éventualité, même si le nouveau sens n’est destiné qu’à une sphère d’usage restreint. [G.T.]
Bien que, comme l’affirmait Hilbert, il soit possible, sans dommage pour la rigueur, de remplacer dans l’axiomatique de la géométrie les mots « point », « droite » et « plan » par « chaise », « table » et « chope de bière », il est probable qu’une telle terminologie handicaperait significativement le développement ultérieur de la théorie. Si l’on peut concevoir une mathématique indifférente aux connotations de ses termes, il y a fort à parier que les mathématiciens y demeureront sensibles longtemps encore. [G.T.]
« Jusqu’à combien sais-tu compter ? » demandent les enfants avant d’apprendre, presque déçus, qu’il n’y a aucune limite. Au début, ils n’y croient pas tout à fait. Ensuite, ils continuent à se méfier. Peut-être toute leur vie. [G.T.]

Appréciation : 4/5 

dimanche 24 mai 2020

Le théorème du parapluie ou L'art d'observer le monde dans le bon sens- Mickaël Launay

Les voyages en mathématiques commencent parfois dans les endroits les plus anodins. [M.L.]

Le mathématicien et « montreur de mathématiques » comme il aime se dénommer (le site Micmaths et la chaîne Youtube correspondante en témoignent)  nous fait voyager par cet ouvrage dans un monde que certains pourraient croire n'être pas à leur portée. L'extraordinaire vulgarisateur qu'est Launay saura les dédire. Il nous entraîne dans des lieux mathématiques à la limite de la physique qui sont moins fréquentés. Il nous fait réfléchir le fait que le monde semble plus multiplicatif qu'additif. Il joue avec l'infini. Il nous fait suivre les méandres des côtes et des frontières. Il nous initie à des géométries hors de l'ordinaire et nous fait voyager à la vitesse de la lumière. C'est la représentation mathématique qui nous sert de parapluie dans ce périple qui est loin d'être anodin.
Aucune théorie sur le monde n’est définitive. [M.L.]  
Le chemin vers notre connaissance du monde est si beau qu’on voudrait qu’il ne s’arrête jamais. [M.L.] 
Appréciation : 4,5/5
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Launay
Mickaël
Le grand roman des maths

mardi 22 octobre 2019

La joie discrète d'Alan Turing - Jacques Marchand

Le port de Southampton, mai 1926. Pour permettre aux passagers de débarquer, des matelots viennent d'immobiliser une longue passerelle de bois entre le ferry et le quatrième quai du port. [J.M.] 
Jacques Marchand nous livre ici un roman biographique dont le thème est l'existence d'un mathématicien hors norme qui a, d'une certaine façon, contribué à changer nos vies, l'insaisissable Alan Turing. L'auteur, en faisant de Turing le personnage d'un roman, se permet ainsi d'aller au-delà de ce que l'on connaît de ce personnage secret, d'imaginer ses pensées, ses réflexions ou ses tourments au regard de sa vie ou des êtres qu'il côtoie. Il peut écrire ce pan non connu de l'existence d'Alan Turing comme une extrapolation imaginée résultant d'une enquête que le narrateur a menée sur les traces de son sujet de recherche, enquête qui, elle-même, est l'objet de chapitres en alternance avec le vécu trouble d'Alan. Mais, comme le précise l'auteur : « Comme tout roman portant sur des événements réels, celui-ci entremêle par moments l'objectivité factuelle et la rêverie. ». En ce sens, Jacques Marchand aura, à l'égard d'Alan Turing, appliqué un mode d'écriture semblable à celui que François-Henri Désérable s'était permis dans la production de son Évariste dont le thème était la courte vie du plus romantique des mathématiciens, Évariste Galois. C'est dans un univers totalement différent (celui, britannique, des années 1930 à 1950) qu'Alan Turing a développé ses recherches, mais Jacques Marchand nous fait bien sentir tout le poids de ce contexte et l'ensemble de contraintes que cela imposait à un être aussi différent que ce créateur mathématicien. À mon regard, Marchand a bien relevé le défi qu'il s'était lancé.
Rien n'oblige un mathématicien à n'être qu'un cerveau purement rationnel. Il arrive fréquemment qu'un souci esthétique plus ou moins conscient agisse sur sa manière d'envisager un problème. [J.M.]
Pour Alan, le raisonnement mathématique s'appuie alors sur deux facultés de l'esprit qui se complètent l'une l'autre, l'intuition et l'inventivité. L'intuition émet des jugements spontanés, des jugements qui ne résultent aucunement d'un enchaînement délibéré de réflexions. Après coup seulement, la raison consciente se penche sur ces jugements spontanés pour vérifier leur justesse. Cette méthode de travail s'apparente, même si le texte ne le précise pas en toutes lettres, à celle des artistes et des écrivains. On effleure ici une idée très ancienne, reprise d'un siècle à l'autre, voulant que l'imagination poétique et la rêverie mathématique se déploient dans les mêmes aires de la pensée. [J.M.]
Rien ne lui plaît davantage que de prêter attention au réel tel qu'il se présente, avant que les mots et la pensée se mettent à l'altérer. [J.M.] 
Ses nouvelles recherches le réchauffent, il est content surtout de renouer avec la beauté et la logique formelles à l'oeuvre dans les manifestations les plus humbles du vivant. Comme toujours, les mathématiques l'apaisent quand elles lui permettent de s'approcher du mécanisme secret des choses. [J.M.] 

dimanche 29 avril 2018

Oncle Petros et la conjecture de Goldbach - Apostolos Doxiadis

[Archives - Mai 2001]
Toute famille possède sa brebis galeuse. [AD.]
Voilà un roman où se profile l'aventure d'un mathématicien dans sa recherche éperdue de la démonstration d'une conjecture, celle de Goldbach qui affirme que «tout nombre entier pair supérieur à 3 peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers». Derrière ce simple énoncé, qu'on peut facilement vérifier pour de petits nombres, se profile l'un des plus vieux problèmes non résolus de la théorie des nombres. 

Voilà un roman sur l'aventure du neveu du premier qui tente de comprendre la démarche de cet oncle un peu fou. C'est également un roman où se mêlent allègrement fiction et réalité, humour et satire, théorie des nombres, quête et enquête, curiosité et obsession, énigme et émerveillement, un roman où Hardy, Littlewood, Ramanujan et Gödel croisent l'oncle Petros dans son parcours à l'intérieur de l'univers mathématique. Bien écrit, il s'agit là d'un livre pour celles et ceux que la recherche mathématique intrigue, un roman pour appréhender cet état d'esprit un peu particulier qui motive celui ou celle qui s'adonne à la recherche mathématique.


Datant de 1742, la conjecture de Goldbach reste encore aujourd'hui à démontrer.


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Du même auteur, sur Rives et dérives, on trouve :

Doxiadis
Apostolos
Logicomix 

lundi 26 février 2018

Le grand roman des maths - Mickaël Launay

"- Oh, moi, j'ai toujours été nulle en maths!" Je suis un peu blasé. Cela doit bien faire la dixième fois que j'entends cette phrase aujourd'hui. [M.L.]
Cette phrase, je l'entends moi aussi souvent lorsque je mentionne au détour d'une discussion que j'ai enseigné les mathématiques pendant trente ans. Mickaël Launay est un joyeux vulgarisateur. Sa chaîne Youtube Micmaths et son site du même nom sont merveilleux d'inventivité. On a là un bric-à-brac mathématique qui permet à tout un chacun d'apprécier et vivre quelques découvertes mathématiques. Le grand roman des maths procède de la même énergie. Il s'aventure à l'intérieur de la trame historique des mathématiques et en fait ressortir, sur une dizaine de chapitres, des moments forts, de l'invention des nombres, de la géométrie, des symboles ou de la logique au concept d'infini en illustrant ce parcours d'anecdotes, d'histoires et de personnages intéressants.

Un très bon livre à suggérer à quelqu'un qui se demanderait pour quelle raison on peut s'intéresser aux mathématiques et à leur histoire.
Une belle théorie est une théorie économe, sans déchets, sans exceptions arbitraires ni distinctions inutiles. C'est une théorie qui dit beaucoup en peu, qui fixe l'essentiel en quelques mots, qui va droit à l'impeccable. [M.L.]
Quand le cube et les choses se trouvent égalés au nombre.
Trouves-en deux autres qui diffèrent de celui-ci.
Ensuite comme il est habituel
Que leur produit soit égal
Au cube du tiers de la chose.
Puis dans le résultat général.
De leurs racines cubiques bien soustraites.
Tu obtiendras ta chose principale.
[Tartaglia cité par M.L.] 
En 1960, le physicien Eugene Wigner parlera quant à lui de la «déraisonnable efficacité des mathématiques». [M.L.]
Le scientifique recherche la vérité et, parfois, y trouve par hasard la beauté. L'artiste recherche la beauté et, parfois, y trouve par hasard la vérité. Le mathématicien, de son côté, semble oublier par moments qu'il existe une différence entre les deux. Il cherche simultanément l'une et l'autre. Trouve indifféremment l'autre et l'une. Il mélange le vrai et le beau, l'utile et le superflu, l'ordinaire et l'invraisemblable comme autant de couleurs qui se mêlent sur sa toile infinie. [M.L.]
Il y a dans les mathématiques, même simples, une source inépuisable d'étonnement et d'émerveillement. [M.L.] 
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Launay
Mickaël
Le théorème du parapluie ou L’art d’observer le monde dans le bon sens

lundi 12 février 2018

L'éternité dans une heure, la poésie des nombres - Daniel Tammet

Dans une petite ville de la banlieue de Londres où il ne se passait jamais grand-chose, ma famille était peu à peu devenue un grand sujet d’étonnement. [D.T.]
Daniel Tammet, cet écrivain autiste Asperger dont j'avais lu avec intérêt, il y a quelques années Je suis né un jour bleu, nous livre ici un ouvrage d'une autre teneur. Il s'intéresse, de chapitre en chapitre, à diverses façons d'aborder les chiffres, les nombres, les mathématiques et leurs structures, mais son approche des concepts se fait à travers son expérience personnelle, ici par une anecdote, ici par une découverte, mais toujours par un levier issu de sa vie. Cela a l'intérêt d'accorder une touche d'humanité à un sujet que d'aucuns considèrent comme froid et même ennuyeux. Il explore les liens entre mathématiques et imagination, entre mathématiques et littérature. D'entrée de jeu, il cite Ricardo Nemirovsky et Francesca Ferrara, des spécialistes de l'étude de la cognition mathématique pour affirmer sans ambages que « comme la fiction littéraire, l’imagination mathématique se nourrit de possibilités pures ». Il réussit, je crois, à accomplir son mandat et à entraîner plusieurs de ses lecteurs dans le plaisir des nombres.
Si on sait les regarder, les nombres font de nous des humains meilleurs. [D.T.]
Chaque flocon, aussi unique que chaque nombre, nous apprend quelque chose sur la complexité. Voilà peut-être pourquoi nous ne nous lasserons jamais de les admirer. [D.T.]
Gagner aux échecs, c’est simple : la victoire appartient à celui qui commet l’avant-dernière erreur. [D.T.]
Je sais que la nuit est favorable à l’imagination; à cette heure, dans toute la ville, des artistes taillent leurs crayons, mouillent leurs pinceaux et accordent leurs guitares. D'autres, avec leurs théorèmes et leurs équations, s'adonnent de la même façon aux possibilités du monde. [D.T.]

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Tammet
Daniel
Je suis né un jour bleu