mercredi 29 décembre 2021

Chroniques de jeunesse - Guy Delisle

À 16 ans, c'est le premier entretien que je passe pour décrocher un travail d'été. [G.D.]

La Coleco, rue St-Ambroise à Montréal
Guy Delisle  nous entraîne encore ici dans une oeuvre personnelle, mais qui, cette fois, est plus tournée vers ses racines que vers sa découverte du monde. C'est son expérience d'emploi étudiant dans une usine de pâtes et papier à Québec qu'il nous relate. Bien que cela se veuille très personnel, nous sommes probablement plusieurs à reconnaître dans ce choc de culture des éléments qui rappellent notre propre parcours. C'est en cela que ces chroniques réussissent à raconter quelque chose d'intime tout en ayant une résonance plus universelle. Pour ma part, en me plongeant dans cette lecture, c'était les décors de la Coleco, une usine de jouets du quartier Saint-Henri dans le Sud-Ouest de Montréal qui s'étalaient devant moi. J'y ai passé quelques mois à l'été 1972, je crois. Mon objectif était de me payer ma première flûte traversière. Comme Delisle le fera un peu plus tard et comme il le décrit si bien dans ses chroniques, je découvrais le monde du travail et le choc éprouvé en se rendant compte que, pour certains, ce cadre de travail dans la chaleur et dans le bruit, c'était le cadre d'une bonne partie de leur vie. Delisle fait revivre ces moments en finesse et en toute simplicité. Voilà tout l'impact de ce récit illustré.

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31/03/2015

mercredi 22 décembre 2021

Marcher, une philosophie - Frédéric Gros

Marcher n'est pas un sport.  [F.G.]

La marche sous différents angles, la marche sous le regard de quelques penseurs, la marche comme moment de réflexion, la marche comme regard sur soi, comme contact avec la nature, avec le monde, la marche considérée comme une promenade, comme un pèlerinage, comme une fuite, comme une errance, comme une flânerie, c'est tout cela et plein d'autres éléments savoureux qu'on retrouve dans ce remarquable petit essai. Que ce soit la marche régulière et quotidienne de Kant, la marche mystique et politique de Gandhi ou la marche réflexive et productive de Nietzsche, Frédéric Gros révèle tout l'intérêt intellectuel de ce geste répété d'avancer un pied devant l'autre. 

Les chapitres peuvent se lire de façon indépendante les uns des autres, mais ils n'ont pas tous la même pertinence. L'angle est parfois parcouru très rapidement et on demeure déçu. Alors qu'en d'autres occasions, la discussion mène loin et contribue à nos réflexions. Dans l'ensemble, j'ai bien apprécié cette lecture que j'aurais aimé me faire lire en déambulant tranquillement dans mon quartier.

mercredi 15 décembre 2021

Offrandes musicales - Michel Tremblay

À mon retour de Floride, je me suis enfermé chez moi pendant quatorze jours. [M.T.] 

Michel Tremblay, à la manière qu'il a utilisée dans Les vues animées, Douze coups de théâtre, ou Un ange cornu avec des ailes de tôle, où il relatait sa relation avec le cinéma, le théâtre ou les livres, nous offre ici de courts moments où la musique, toute sorte de musique, s'inscrit dans sa mémoire et dans son expérience. On a donc droit à des souvenirs d'opéras, de comédies musicales, de pop ou de variété. Chaque fois, ce qui prime c'est ce qu'a ressenti Tremblay dans ces expériences variées, ce sont les évocations, les réminiscences de tout ce qui entourait ces moments particuliers. C'est aussi le réconfort qu'il trouve dans l'écoute du Trio en la mineur de Tchaïkovski au moment où il perdait son jeune frère. Les Offrandes musicales ce sont donc une douzaine de récits écrits de sa plume toute personnelle, émouvante, sans être nostalgique. C'est également, en coda, deux courts textes où il met en scène son personnage emblématique, Édouard ou la duchesse de Langeais. Tremblay le fait assister à un concert d'Édith Piaf et à une représentation du Boléro de Ravel. C'est la simplicité de l'écriture qui contribue à rendre tout cela aussi émouvant et inspirant.

Quand il était petit, sa mère, Victoire, lui disait : «La nuit, la neige est bleue parce qu’elle aussi elle a frette. » [M.T.] 

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Les vues animées 

08/02/2014

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Vingt-trois secrets bien gardés

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mercredi 8 décembre 2021

La déesse des petites victoires - Yannick Grannec

À l'exacte frontière du couloir et de la chambre, Anna attendait que l'infirmière plaide sa cause. [Y.G.]

Début des années 80, Anna Roth travaille comme documentaliste à l'Institute for Advanced Study de Princeton.  Elle a notamment pour mandat de convaincre Adèle Gödel de céder à l'institut les dernières archives de son mari, l'un des mathématiciens et logiciens les plus importants du XXe siècle, Kurt Gödel, décédé en 1978. Le roman, car c'en est un et l'auteure ne prétend pas établir ici une thèse historique, repose sur cet argument pour revisiter de belle façon le parcours de Kurt Gödel et de son épouse Adèle depuis leur rencontre à Vienne en 1926. L'auteure affirmera même : «Cette histoire est une vérité parmi d’autres : un tricotage de faits objectifs et de probabilités subjectives.» 

C'est ainsi qu'on suivra les déboires des premiers moments, la fuite vers l'Amérique en passant par la Russie et le Japon, l'installation à Princeton, les échanges avec les collègues de Kurt Gödel, dont Robert Oppenheimer, Oskar Morgenstern et même un certain Albert Einstein. L'amitié qui unissait Albert Einstein à Kurt Gödel est probablement ce qui aura contribué à maintenir ce dernier en action dans les domaines mathématiques et philosophiques à Princeton. Cela est bien rendu.

Le parcours qui nous est proposé, c'est par les yeux d'Adèle qu'on le suit. Il est donc teinté du regard qu'elle porte sur les talents de mathématicien de Kurt, mais aussi sur son inaptitude sociale, son hypocondrie ainsi que sa paranoïa (l'épisode du maccarthysme n'a de toute évidence rien aidé). Les petites victoires, ce sont celles qu'elle gagna sur la fatalité et le mal de vivre de son logicien de mari.

J'ai adoré ce roman à saveur historique qui permet de se replonger dans cette atmosphère un peu étrange qui entourait le Projet Manhattan et ses suites, les discussions de Gödel sur la logique, en particulier sur l'incomplétude et l'existence sous certaines conditions d'énoncés mathématiques indécidables, sur les questionnements philosophiques qui en découlent, sur la vie hors norme qui se déroulait à Princeton dans les années 50. Voilà un roman passionnant qui narre une partie de l'histoire sur la base d'un amour qui aura duré, lui, plus de cinquante ans.

- Je m'appelle Kurt Gödel. Et vous, mademoiselle Adèle. C'est correct? - Presque correct, mais vous ne pouvez pas tout savoir! - Cela reste à démontrer. [Y.G.]

« Si les gens ne croient pas que les mathématiques sont simples, c'est uniquement parce qu'ils ne réalisent pas à quel point la vie est compliquée. » [John von Neumann, cité par Y.G.]

Image même de sa chère récursivité, il ne rendait des comptes qu'à lui-même. [Y.G.]

- L'infini existait pourtant avant que l'homme invente les mathématiques ! [Y.G.]

La soif de sens, présente chez tous les êtres humains, fait de certains des proies faciles. Le pas est trop aisé entre synchronicité, hasard sensé et prémonitions, médiums... [Y.G.]

- [...] Vous aimez trop les mots pour un mathématicien. [Y.G.]  


mercredi 1 décembre 2021

Un père étranger - Eduardo Berti

Quelques heures avant l’enterrement de ma mère, l’après-midi où on la veillait, et alors que l’usage aurait voulu qu’on expose son cadavre, mon père donna l’ordre de laisser le cercueil fermé. [E.B.] 
Voilà un livre mystérieux, un roman en partie autobiographique qui navigue entre les concepts d'identité, d'altérité, de migration, de paternité et d'écriture. Eduardo Berti constate à la mort de son père, un Roumain réfugié en Argentine, que celui-ci tentait d'écrire en espagnol un roman à propos d'ouvriers roumains. Le fait ainsi d'écrire dans la langue de son pays d'accueil l'amène à tracer un parallèle avec un de ses projets, celui de tracer le parcours de l'auteur polonais et britannique Joseph Conrad (Józef Konrad) qui écrivait pour sa part en anglais. Voilà autant d'occasions, en parlant de son père, de Conrad ou du livre qu'il est en train d'écrire, de s'exprimer sur la langue, sur la littérature, sur le statut d'écrivain et sur le fait d'être étranger en son monde tout en portant en soi toute une bibliothèque. Voilà un auteur, membre récent de l'Oulipo, dont j'ai bon espoir de croiser encore l'œuvre sous peu.

À l’époque, j’aimais bien la notion selon laquelle la « patrie » d’un écrivain est sa langue natale. Aujourd’hui, avec plus d’ancienneté comme étranger, je préfère l’idée que son véritable pays se trouve dans ses livres : ceux qu’il a lus ou désire lire (sa bibliothèque), ceux qu’il a écrits ou rêve d’écrire (certains appellent cela une « œuvre »).  [E.B.]

Les lecteurs cherchent et voient les ressemblances entre les livres, nombreux ou non, d’un écrivain ; l’écrivain, de son côté, voit surtout leurs différences. [E.B.]

Je n’ai pas lu Jouhandeau : il fait partie de la longue liste d’écrivains que, je suppose – sauf miracle ou cas de force majeure – je ne lirai jamais ; c’est impossible, il faudrait vivre mille ans ou, plutôt, ne pas vivre et ne faire que lire, lire et lire. Lire qui, d’accord, est aussi vivre. Mais qui ne l’est pas si on ne fait que ça.  [E.B.]