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dimanche 19 novembre 2023

Paris, mille vies - Laurent Gaudé

Je ne sais pas depuis combien de temps cette nuit m’attendait. [L.G.]

C'est le premier écrit de Laurent Gaudé que je me permets de lire. J'ai plongé dans ces pages sans attente particulière et j'ai été charmé. J'ai suivi comme le narrateur à sa sortie de la gare Montparnasse cette ombre qui nous faisait parcourir, hors du temps, les lieux et les moments d'un Paris nocturne et plein de mystères. J'ai marché dans les pas de Villon et de ses comparses, et au tournant d'une ruelle, ce sont les communards qui surgissaient dans les pages de cette déambulation fantasmagorique, pour ensuite voir Victor Hugo à la tête d'un cortège vers le cimetière où sera inhumé son fils Charles. Laurent Gaudé a aménagé des passerelles temporelles au cœur de l'histoire de Paris et il nous mène, sous le couvert d'une ombre furtive, dans quelques venelles où l'Histoire a pu laisser quelques marques, quelques vestiges renaissants. Voilà donc une errance poétique dans une ville qui tente de se souvenir et qui exhale des moments de mémoire lors d'une nuit hallucinée. Convaincu, je l'ai été.

“Frères humains qui après nous vivez…” Pourquoi est-ce que je pense à lui ? Est-ce parce que j’en suis un, cinq siècles plus tard, de ces frères humains qui après lui vit, qui après lui arpente ces mêmes rues ? Ou simplement parce que je connais ses mots et que cela crée un lien entre nous ? Comme il est doux de l’entendre, de pouvoir prononcer ses vers. [L.G.]

Où nous mène cette nuit ? À l’épuisement de tout ? Les ombres du passé ont pris possession des rues. [L.G.]

Alors cette ville est mienne, oui, parce qu’elle m’a été donnée. Et tout ce qui bruisse en elle, la clameur du passé, le fracas, les révoltes, les foules pressées, le pas hésitant des poètes, les solitudes côte à côte et les grands espoirs de foules, sont miens. Je prends tout. Je retrouve Paris. [L.G.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]

dimanche 13 mars 2022

Angélus des ogres - Laurent Pépin

J'habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. [L.P.]

Nouvelle, conte, roman court ? Peu importe !  L'Angélus des ogres de Laurent Pépin se présente comme une extension onirique de Monstrueuse féerie. Le parcours du protagoniste se poursuit. Son statut d'intervenant transite de plus en plus vers celui de bénéficiaire des services du centre psychiatrique anonyme et quasi fantasmé qu'il habite maintenant.  Des monstres le hantent toujours, mais une porte s'ouvre avec Lucy, ses vibrations et ses reflets, cette thanatopractrice qui présente des crises de désespoir nocturne qui prennent des allures de banquets prodigieux autant qu'inquiétants.  L'écriture poétique de Pépin ne se dément pas et il poursuit avec ce nouveau conte une exploration mythifiée et revendicatrice du monde psychiatrique. Son langage évocateur tonne subtilement.

Parmi les sanctions thérapeutiques que l’administration avait mises au point, celles que redoutaient le plus les Monuments, c’étaient les séances de cinémastoche : la thérapeute calculait la quantité de stimulations imaginaires douloureuses à leur adresser afin de corriger leurs erreurs comportementales, suivant des algorithmes impartiaux, puis façonnait des images mentales de supplice qui s’appuyaient sur les subtilités de la décompensation poétique de chacun d’eux. [L.P.]

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Monstrueuse féerie

04/08/2021


 

mercredi 19 janvier 2022

Monsieur Calvino et la promenade - Gonçalo M. Tavares

Du haut de plus de trente étages, quelqu'un lance par la fenêtre les chaussures de Calvino et sa cravate. Calvino n'a pas le temps de tergiverser, il est en retard : il se jette par la fenêtre, comme à leur poursuite. [G.M.T.]

Monsieur Calvino habite la partie ouest du « Bairro », il est, à n'en pas douter, un drôle de personnage. Le Bairro ou « le quartier » est un espace d'imagination et de papier créé par l'auteur portugais Gonçalo M. Tavares. Il y a déjà logé divers messieurs, Valéry, Brecht, Kraus, Breton, des écrivains, des dramaturges, des poètes et des scientifiques, chacun avec sa vision du monde, son angle particulier, sa perception et l'oeil que porte Tavares sur lui. On entre, semble-t-il, dans ce quartier invité par un personnage qui nous interpelle. Moi, ce fut Italo Calvino, je ne crois pas que cela soit surprenant.

Monsieur Calvino et la promenade est un hommage. La forme adoptée par Tavares, les contes courts, les rêves et la distance entre le narrateur et son objet d'observation sont tout à fait dans l'esprit de Calvino lorsqu'il relate les tranches de vie et les expériences que Monsieur Palomar entretient avec l'univers qui l'entoure. J'ai été séduit. Voilà un petit bijou littéraire dont la lecture a provoqué chez moi un sourire complice chaque fois que je retrouvais une façon de faire, une tournure calvinesque. Il est déjà entendu que je m'aventurerai à nouveau dans ce Bairro surréel pour rencontrer quelques voisins de Monsieur Calvino.

[...] il observe les gens qui se précipitent dans toutes les directions. Les rares personnes à ne pas se presser, celles qui s'arrêtent et discutent entre elles, parlent aussi de pourcentages : 30, non 37 ! Non, non, 32 ! Tout le monde se querelle et lui-même ne peut s'empêcher de se répéter : 43 %, au moins 43 % ! [G.M.T.]
La mémoire n'était pas un banal entrepôt bourré de vieilleries dont il aurait eu la clé. [G.M.T.]

Calvino, d'une certaine manière, ne se rappelait pas la nouveauté du lendemain - et cela le stimulait. Il oubliait ce qui allait survenir le jour suivant, et cet oubli - que l'on appelle vulgairement incapacité à prévoir l'avenir - constituait pour lui une sorte de référence existentielle. [G.M.T.]

Un jour, Italo Calvino, a rencontré son DOUBLE, dont le nom fut Palomar. [Jacques Roubaud en postface]
 

 


mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

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Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016

 

vendredi 10 septembre 2021

Le deuxième mari - Larry Tremblay


Un mois avant la date fixée pour son mariage, Samuel ne sait rien de la femme avec qui il va s’unir pour la vie.
 [L.T.]

Larry Tremblay nous offre ici une inversion des rôles qui porte à réfléchir sur ce que l’on considère être de l’ordre culturel et appris dans le milieu, sur ce que l’on admet trop facilement pour être inamovible et de la nature des choses. Le procédé peut paraître simpliste, mais il est bien mené de la première ligne à la toute fin et le choc se répartit sur l’ensemble de la lecture de ce court conte. Samuel vit dans un univers où les femmes dominent. Il devient le deuxième mari d’une femme beaucoup plus âgée que lui. Il devra abandonner ses désirs d’études et de carrière. Il n’est pas question de religion, bien que celle-ci puisse être le support de tels comportements de la société fictive que Larry Tremblay décrit. Il met en scène les mécanismes qui permettent la domination d’un sexe sur l’autre. Voilà une fable simple, mais efficace. 

Un enfant paralysé par la peur vient de s’emparer de l’homme adulte qu’il est. [L.T.]


mercredi 4 août 2021

Monstrueuse féérie - Laurent Pépin

Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. [L.P.]

L’auteur, Laurent Pépin, m’a offert de faire la lecture de son conte. Je l’en remercie. Je m’attendais à une oeuvre du domaine du fantastique, mais c’est à un tout autre univers dans lequel j’ai été immergé. Et puis, dès les premières pages, je n’ai pu empêcher que des souvenirs datant de près de 50 ans remontent en moi et viennent interférer ou se surimposer au texte. En effet, alors étudiant, j’ai travaillé pendant cinq années dans un hôpital psychiatrique. Cette lecture a ainsi fait renaître des images de longs corridors grisâtres, d’âmes en peine circulant en longeant les murs, de poètes déclamant des textes incompréhensibles, mais on ne peut plus ressentis lors de décompensation. Les Monuments dont parle l’auteur, je les ai côtoyés et la lecture de Monstrueuses fééries a réveillé cette vive expérience.

C'est dans un style déroutant, mais efficace que Laurent Pépin nous offre ce portrait poétique d'un monde schizophrène qui bascule entre réalité, rêve et hallucinations, un monde qui cherche à engloutir celles et ceux qui s'y frottent, un monde qui se propulse au-delà de ses limites.  Voilà une nouvelle en forme de conte qui se lit comme une expérience esthétique et émotionnelle. 

J’avais été embauché en tant que psychologue dans le service pour malades volubiles du Centre psychiatrique, et mon travail de recherche, au- delà des interventions à but thérapeutique, consistait pour l’essentiel à établir des ponts entre la poésie classique ou contemporaine et le contenu délirant des décompensations poétiques des patients du Centre. [L.P.]

Les saisons avaient été remplacées par l’automne. Je ne travaillais plus. Le soleil se levait à n’importe quelle heure, quand il se levait. [L.P.] 

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Angélus des ogres

13/03/2022


mercredi 16 juin 2021

Zadig ou la destinée, histoire orientale - Voltaire

 

Du temps du roi Moabdar, il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. [Voltaire]

On dit de Zadig ou la destinée qu'il s'agit d'un conte philosophique. Eh bien ! N'y a-t-il pas dans chaque roman, dans chaque nouvelle, un certain regard sur le monde, un point de vue sur la société, quelque chose comme une critique transmise sous le couvert d'une oeuvre fictive ? Peut-être qu'ici comme dans Le petit prince, par exemple, l'intention est plus manifeste. Voltaire, habile, a transposé son analyse et sa perception sur une société autre et distante. L'orientalisme était alors en vogue. Mais ne nous y trompons pas, les travers de la société de Babylone qui font l'objet de sa satire sont bien sûr ceux de son monde et de son époque : l'injustice politique et sociale, l'absolutisme du pouvoir, le dogmatisme, le fanatisme religieux et les superstitions, l'apparente absurdité de la destinée. Comme remparts à ces déformations et pour mener l'humanité vers le bonheur, Voltaire avance la raison et la connaissance. C'est par l'expérience que Zadig pourra développer ses qualités et en faire profiter sa société. 

Voilà donc une oeuvre agréable, simple, écrite de belle façon. Voltaire a pu, dans cet univers moyen-oriental, exercer sa verve satirique sans craindre les foudres du pouvoir. Il me fallait bien ajouter cette lecture à ma culture littéraire.  

mardi 13 avril 2021

Le chasseur d'histoires - Eduardo Galeano

Le vent efface les traces des mouettes. Les pluies effacent les traces de pas des hommes. Le soleil efface les traces du temps. [E.G.]
Il est difficile de décrire cet objet livre, car il ne répond à aucun classement. À moins qu'on ne le catégorise comme un recueil de poèmes, la catégorie poésie étant, selon moi, moins empreinte de normes, plus libre et plus ouverte à l'expérimentation. Voici donc un opuscule regroupant des pensées, des avis sur de petites tranches d'histoires, une mosaïque de regards sur le monde, des opinions politiques, sociales, un ensemble de récits, d’anecdotes, de légendes où mémoire, morale et sens de la vie s’inscrivent dans de courts textes souvent sud-américains, mais pas uniquement. On peut l'ouvrir sur n'importe quelle page pour entrebâiller une nouvelle fenêtre et recevoir un vent frais chargé d'idées.

C'était ma première lecture de cet auteur uruguayen. J'ai hâte de me replonger dans son univers multiple et d'en découvrir d'autres aspects.

L'entraide et la conscience communautaire ne sont peut-être pas des inventions humaines. Les coopératives de logements, par exemple, ont peut-être été inspirées par les oiseaux. [E.G.]

À Kashi, ville saine des Tamouls de l'Inde, vivait et jouait le flûtiste qui jouait le plus faux au monde. On le payait très bien, pour qu'il joue très mal. Au service des dieux, sa flûte torturait les démons. [E.G.]

Un jour de l'an 1911, La Joconde disparut du Musée du Louvre. Quand la disparue reparut, après deux ans de recherches, on constata que le vol n'avait pas effacé le sourire le plus mystérieux du monde : il avait multiplié son prestige. [E.G.] 

Pour vaincre sa peur, un des enfants, le plus savant, expliqua ce qu'était la mer : - C'est une rivière avec une seule rive. [E.G.] 

Appréciation : 4,5/5 

dimanche 16 juin 2019

L'oeuvre du Grand Lièvre filou - Serge Bouchard



À l'origine des temps, le Lièvre Filou a créé la Terre en courant un peu partout sur une île minuscule perdue à la surface de l'océan universel.
[S.B.]
L'anthropologue, commentateur de la société, chroniqueur du monde, instigateur de réflexions, conteur, chercheur de sens, inspirateur, observateur, guide dans les méandres de l'histoire de l'américanité et de la nordicité, Serge Bouchard, de sa plume aiguisée comme de sa singulière verve, a regroupé ici un ensemble de chroniques parues dans le magazine Québec Science. Voilà d'admirables commentaires qui constituent le résultat de cinquante années de voyages sur les chemins de terre comme ceux d'asphalte au travers l'étendue qui paraît sans limites du territoire créé par le Grand Lièvre filou. Architecture, développement de territoire, toponymie, histoire et géographie, critique, nature, cours d'eau et espace, Serge Bouchard s'intéresse à notre façon d'habiter le monde et met simplement de l'avant le respect et la mémoire qu'on doit à la nature et à l'environnement. Voilà un ensemble de textes qui suscite de façon remarquable la curiosité et la réflexion.

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Serge

Elles ont fait l’Amérique. De remarquables oubliés, tome 1 

30/06/2016

Bouchard

Serge

Un café avec Marie

30/12/2022


dimanche 21 avril 2019

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants - Mathias Énard

La nuit ne communique pas avec le jour. [M.É.]
S'insérer dans ce poème historique, c'est accepter de s'engager dans un flux de mots, dans une série de vagues sur le Bosphore qu'on voudrait ne pas se terminer, dans une profusion d'images tirées du début du XVIe siècle et d'un contact particulier que Michel-Ange entretint avec la Sublime Porte. Mathias Énard, dont j'avais apprécié la verve et la plume dans Boussole, ne me déçoit pas ici, tout au contraire. J'ai totalement adhéré à cette narration d'une incursion de l'auteur du David en territoire byzantin pour y concevoir un pont sur la Corne D'Or et ainsi répondre à une invitation du sultan de Constantinople, le Grand Turc. Cet épisode historique a-t-il réellement pris cette tournure ou celle-ci n'est-elle pas issue de l'imagination de l'auteur imprégnée de l'atmosphère des Contes des Mille et Une Nuits? La véracité de l'événement importe peu quand on lit les promenades quotidiennes de Michel-Ange avec le secrétaire poète Mesihi de Pristina, quand on sent les carnets dans lesquels Michel-Ange trace des chevaux, des hommes, des éléphants ou la courbe d'une dague, quand on vit avec Michel-Ange l'étrangeté curieuse des sentiments en lieux inconnus. C'est l'atmosphère, c'est le recouvrement de l'éther, c'est le fluide subtil qui se dégage de ce roman qui, par-dessus tout, m'a séduit.

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Énard

Mathias

Boussole

05/05/2017

Énard

Mathias

Le Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs

28/03/2021


lundi 18 mars 2019

La nébuleuse du crabe - Éric Chevillard

Crab, s'il avait à choisir entre la surdité et la cécité, n'hésiterait pas une seconde et deviendrait sourd sur-le-champ. [É.C.]
Écrit inclassable. Celui qui nous offre quotidiennement depuis 2007 trois petits billets, trois fragments, dans le cadre du blogue L'autofictif est un véritable spécialiste de la forme courte, du petit papier, de l'anecdote hors contexte. En 1993, Éric Chevillard sévissait déjà avec La nébuleuse du crabe. Je me suis donc plongé dans cette lecture qui, après quelques pages, m'a ramené aux belles heures de découverte de Palomar où Calvino nous offre par la pensée de monsieur Palomar quelques observations philosophiques. Mais, à bien y penser, Crab, le personnage de La nébuleuse du crabe, par son caractère flou, indéfini, multiforme, ressemble aussi à un personnage que je découvrais récemment, Plume de Michaud qui est plongé dans des aventures surréalistes, ou encore à Qfwfq des Cosmicomics toujours d'Italo Calvino, qui nous fait découvrir l'évolution de l'univers depuis le big bang par les aventures rocambolesques d'un être aussi protéiforme que Crab.

Je me suis particulièrement amusé en me perdant dans les divers petits chapitres de cette lecture.

Puis il faudra songer à revernir les baleines. [É.C.]
Crab était aussi un médiocre flûtiste. [É.C.]
Il n'y a pas deux manières d'être heureux sur cette terre. Crab en prit soudain conscience. Il faut être trompettiste de jazz. [É.C.]
Crab disposait là d'une matière fabuleuse puisque tous les livres passés et à venir s'y trouvaient fondus [...] [É.C.]
Combien de fois devra-t-il plier le ciel pour le faire tenir dans sa poche? [É.C.]

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Chevillard

Éric

Le désordre azerty

17/11/2021


vendredi 7 septembre 2018

Les Yeux bleus de Mistassini - Jacques Poulin

Ce matin-là, des nappes de brume avaient envahi la rue Saint-Jean. [J.P.] 
L'univers de Jacques Poulin est un univers fait de tendresse, de petits moments, de découvertes, de parcours initiatiques, de sagesse transmise, d'amour des livres et de la littérature. Jack Waterman (c'est un nom de plume) est un auteur qui fait aussi traducteur. Il tient dans le Vieux-Québec une librairie particulière où les clients et les itinérants viennent se réchauffer autour d'un feu, où les jeunes lecteurs sans le sou se voient offrir des livres à dérober, où les recueils de poésie récitent leurs vers ça et là dans les rayons. Jimmy, un étudiant en lettres, attiré par un livre en vitrine, se liera avec le vieux Jack. Sa soeur Mistassini et lui deviendront en quelque sorte les dépositaires des projets de Jack. C'est Jimmy qui est le narrateur attentionné de ce magnifique conte de Jacques Poulin. Je reste toujours séduit par le style dépouillé, la scène des rues de Québec, les personnages récurrents et l'amour que témoigne Poulin à l'égard des livres. 
Le rêve est très utile, c’est même la meilleure façon d’apprivoiser la réalité. [J.P.]
... il échafaudait lui-même une théorie suivant laquelle les œuvres littéraires étaient, contrairement aux apparences, le fruit d’un travail collectif. [J.P.]
Et pour ma part, toute cette beauté qui se déployait à perte de vue me donnait le sentiment que, dans l’ordre des choses du cœur, le Québec était mon pays. [J.P.]
Elle avait fait une vitrine d’été dont elle était assez contente. Avec l’accord de Jack, elle avait mis en montre non pas les livres pratiques et les romans légers que les journalistes conseillaient de «glisser dans les sacs de plage», mais plutôt des livres de philo, des études sérieuses et des romans difficiles, estimant que, pendant leurs vacances, enfin libérés des contraintes du travail et de l’abrutissement de la télé, les gens étaient mieux préparés à lire les ouvrages importants qu’ils avaient laissés de côté pendant l’année. [J.P.]
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Poulin
Jacques
L’anglais n’est pas une langue magique
Poulin
Jacques
L’homme de la Saskatchewan 
Poulin
Jacques
La traduction est une histoire d’amour
Poulin
Jacques
Un jukebox dans la tête