J'ai résolu d'appeler cet endroit la Pensée Sauvage, bien sûr. [M.É.]
En effet, comme Lévi-Strauss, David Mazon, le personnage principal de ce roman, part à la découverte ethnologique d'une civilisation qu'il ne connait pas, d'où le nom donné à son refuge au cœur de cette campagne qu'il cherche à cerner. Le jeune thésard parisien tâche d'étudier les mœurs des habitants d'un petit village des Deux-Sèvres. Il note assidument ses faits et gestes, ses observations, ses analyses ainsi que ses constats dans un journal de terrain. Il fera des rencontres au Café-Épicerie-Pêche, un maire fossoyeur, un artiste peintre, un couple de fermiers, une militante pour l'environnement, tout cela à l'intérieur d'un périmètre bien délimité.
Je leur ai souri, et même je leur ai demandé à quel jeu ils jouaient, histoire d’avoir l’air de m’intéresser à eux, peine perdue, la question leur a fait ouvrir de grands yeux, beh, à la coinchée, ça m’apprendra. Je viens de regarder dans le Robert, coinchée : régional, Ouest (jusqu’ici ça va), jeu de cartes, variété de belote avec enchères, voilà qui n’éclaire pas vraiment ma lanterne. [M.É.]
Elle m’a offert tout un cageot de légumes, je n’ai pas osé lui avouer que j’ignorais quoi en faire (c’est dingue, soi-disant expert ès campagnes et je ne sais pas faire une soupe, mais ils nous apprennent quoi en séminaire de doctorat ? Est-ce qu’il y a des pages sur la soupe dans Bourdieu ? Chez Jean-Pierre Le Goff ? Peut-être. [M.É.]
Si le territoire étudié est clos, la dimension temps de ce roman, pour sa part, prend plus de liberté. On est littéralement transporté dans les univers du passé de ce lieu à travers les vies antérieures des protagonistes et les formes mouvantes des époques. Si cela peut paraître déstabilisant, la plume et le style d'Énard nous rappellent toujours ce qu'on apprécie de son écriture et on est ramené à l'essentiel.
C'est dans un élan littéraire inspiré que l'auteur nous fait participer à une rencontre improbable, celle du banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, une orgie gargantuesque, une ripaille rabelaisienne où le verbe est mis à l'honneur, où défilent autant les plats montés que les discours, où la verve est truculente, grivoise et philosophique. Voilà un petit bijou au cœur du roman.
Et après tout, ici c’est un peu l’Angleterre, lança un rien hasardeusement Kate. Ces terres étaient anglaises jusqu’à la fin du XVe siècle, renchérit James, c’est peut-être pour ça qu’on s’y sent bien. L’Angleterre avec des vignes, autant dire le paradis, ajouta-t-il. [M.É.]
[...] j'ai [...] rincé, épluché, pelé, coupé, émincé, paré, blanchi, sauté (la cuisine c’est comme la navigation à voile : c’est surtout une question de vocabulaire) [...] [M.É.]
Après Ce qu'ici-bas nous sommes de Jean-Marie Blas de Roblès, voici donc une nouvelle lecture faisant appel nommément à l'ethnologie, l'étude comparative et explicative de l'ensemble des caractères sociaux et culturels de groupes humains. Mais, la littérature ne peut-elle pas être considérée à part entière comme une branche de l'ethnographie? Lire un roman, lire une fiction, n'est-ce pas porter un regard sur une autre société, sur un univers qui n'est pas le mien pour le mieux comprendre, pour s'en inspirer, pour rêver au-delà des frontières de mon quotidien?
Appréciation : 4/5
____________
Sur Rives et dérives, on trouve aussi :
Énard | Mathias | Boussole | |
Énard | Mathias | Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants |
Aucun commentaire:
Publier un commentaire