dimanche 27 juin 2021

La raison vient à Carolus - David Turgeon

L’eau montait dans la cave, et en attendant le plombier j’avais remonté à l’étage quelques boîtes de carton vulnérables, qui avaient été autrefois empilées à même le sol. [D. T.]

C’est, en partie, à haute voix que j’ai lu La raison vient à Carolus. Il me semble que cela m’a permis d’apprécier de façon encore plus significative la magnifique écriture de Turgeon. Le narrateur, au hasard d’un dégât d’eau, découvre, redécouvre et explore un ensemble de boîtes qui lui viennent directement de l’enfance, de la mémoire et d’un ami aujourd’hui disparu, Carolus. Mais, ce mystérieux et solitaire ami, ne serait-ce pas une part de lui-même, une zone de son enfance qu’il aurait voulu remiser dans quelques interstices à l’abri du souvenir. Ce Carolus, double de lui-même, a laissé des traces écrites à la manière d’un journal multiforme et ce sont ces pistes que suit le narrateur dans le dédale de ses remembrances, qui lui font revivre des épisodes de vie à la manière des madeleines d'un certain Proust. 

[…] jouer était, semble-t-il, notre occupation principale, ou plutôt non, pas forcément notre occupation principale, mais notre façon maîtresse d’appréhender le monde, notre premier point d’ancrage dans la réalité. [D.T.]
Carolus et moi, nous tenions têtes aux assauts du monde. Nous refusions que la cruauté et l’abjection dictassent le cours des choses. Nous bâtissions contre leur joug des abris faits de mots et de dessins […]. [D.T.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Turgeon

David

À propos du style de Genette

11/09/2019

Turgeon

David

La revanche de l’écrivaine fantôme

03/04/2019

Turgeon

David

Les bases secrètes

26/05/2021

Turgeon

David

L’inexistence

03/11/2021

Turgeon

David

Simone au travail

17/11/2017


 

mercredi 23 juin 2021

Les 101 mots de la pataphysique - Collège de 'Pataphysique

Le présent ouvrage a été rédigé sous la surveillance de la Sous-Commission du Grand
extérieur, par Paul Gayot et Thieri Foulc.
[C.P.]
Quel plaisir de retrouver l'univers de Jarry, du docteur Faustroll et de la 'Pataphysique, cette « science des solutions imaginaires qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité », quelle joie de parcourir ces magnifiques expressions de l'absurdité, ces rituels amalgamés d'extravagance, de bouffonnerie et de titres à rallonge issus de l'humour potache. En quelques entrées de ce dictionnaire hors-norme, j'étais projeté dans mon adolescence au moment où je découvrais, éberlué, le monde du père Ubu, de sa suite et des diverses réincarnations dont il a pu faire l'objet.   

Du calendrier pataphysique au grand singe papion Bosse-de-nage (lequel ne savait de parole humaine que «Ha Ha»), du maître des phynances à la chandelle verte, je me suis laissé entraîner par la suggestion dans cette folie littéraire, dans ce délire créatif et je n'ai pas boudé mon plaisir. Longue vie au Collège, longue vie à sa sous-commission qu'est l'Ouvroir de littérature potentielle, longue vie à la 'Pataphysique et merdre.
L'idée de « vérité » est la plus imaginaire de toutes les solutions. [C.P.]
«En clinamen, garde ta laine ; en palotin, fais comme il te vient». [C.P.]
La 'Pataphysique n'est pas un humanisme. [C.P.]
Les uns croient qu'on ne meurt pas. C'est évidemment trop naïf. Les autres croient que mourir n'est rien vu qu'avant on vit et qu'après on n'y pense plus. C'est - non moins évidemment - trop bien raisonné [...] la mort est ironique. [C.P.]
La Potentialité [...] est une « gerbe de solutions imaginaires » et elle est potentiellement présente dans la définition de la Pataphysique par Alfred Jarry, pour qui celle-ci « accorde aux linéaments les propriétés des objets décrits par leurs virtualités ». [C.P.]
Le Collège de 'Pataphysique se définit comme « une société de recherches savantes et inutiles ». Il a entrepris des campagnes pour se faire « reconnaître d'inutilité publique ». [C.P.] 

mercredi 16 juin 2021

Zadig ou la destinée, histoire orientale - Voltaire

 

Du temps du roi Moabdar, il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. [Voltaire]

On dit de Zadig ou la destinée qu'il s'agit d'un conte philosophique. Eh bien ! N'y a-t-il pas dans chaque roman, dans chaque nouvelle, un certain regard sur le monde, un point de vue sur la société, quelque chose comme une critique transmise sous le couvert d'une oeuvre fictive ? Peut-être qu'ici comme dans Le petit prince, par exemple, l'intention est plus manifeste. Voltaire, habile, a transposé son analyse et sa perception sur une société autre et distante. L'orientalisme était alors en vogue. Mais ne nous y trompons pas, les travers de la société de Babylone qui font l'objet de sa satire sont bien sûr ceux de son monde et de son époque : l'injustice politique et sociale, l'absolutisme du pouvoir, le dogmatisme, le fanatisme religieux et les superstitions, l'apparente absurdité de la destinée. Comme remparts à ces déformations et pour mener l'humanité vers le bonheur, Voltaire avance la raison et la connaissance. C'est par l'expérience que Zadig pourra développer ses qualités et en faire profiter sa société. 

Voilà donc une oeuvre agréable, simple, écrite de belle façon. Voltaire a pu, dans cet univers moyen-oriental, exercer sa verve satirique sans craindre les foudres du pouvoir. Il me fallait bien ajouter cette lecture à ma culture littéraire.  

vendredi 11 juin 2021

Cahiers Georges Perec, no 13, La Disparition, 1969-2019 : un demi-siècle de lectures - dir. Maxime Decout


La Disparition doit sa notoriété au défi qu'il relève : écrire plus de trois cents pages sans utiliser la lettre la plus fréquente de l'alphabet, le e. S'il est indéniable d'y voir un exploit formel, le roman ne peut cependant y être réduit. [M.D. et Y.M.]

Se replonger dans une lecture signifiante par le truchement et l'interprétation d'autres lecteurs, c'est ce que m'a fait vivre cet agréable moment où j'étais totalement absorbé par les regards portés sur les méandres de l'œuvre lipogrammatique par excellence que représente La Disparition de Georges Perec. J'ai revécu cette expérience étonnante de lire page après page un texte sans e qui nous transporte et nous enivre d'un contexte policier entrant manifestement en résonance avec la forte contrainte choisie. Ce numéro des Cahiers Georges Perec s'ouvre sur 50 souvenirs de La Disparition, la mémoire d'actuels oulipiens à propos de leurs contacts respectifs avec l'œuvre en question. 

Je me souviens que chaque traduction de La Disparition a été une aventure et chacun de ses traducteurs une sorte de héros. [Eduardo Berti]

Je me souviens avoir pensé, en lisant La Disparition pour la première fois, que ce n'était pas si compliqué, puis d'avoir essayé de « faire pareil » et commencé par constater qu'on ne pouvait écrire ni « faire », ni « pareil ». [Hervé Le Tellier] 

J'aurai appris au travers les textes suivants à quel point Perec avait joué de la réécriture intertextuelle pour construire son tour de force. Comment il avait réécrit en langage lipogrammatique de larges passages de Raymond Roussel, un oulipien par anticipation, comment il avait emprunté des phrases réaménagées d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, comment il pastiche de nombreux auteurs comme Borges, Baudelaire, Rimbaud ou Victor Hugo.

Certaines thèses avancent sur un terrain moins stable en accordant à la contrainte utilisée une signification politique sinon psychanalytique en évoquant les questions existentielles qui traversent l'œuvre de Perec. Ce n'est pas l'aspect qui m'aura le plus séduit. 

Je demeure avec l'idée que La Disparition mérite le plus d'angles d'approche que possible, qu'il y a plus que l'exercice de style dans ce roman, que l'intertextualité manifeste engage vers une nouvelle lecture, que Perec ne cessera de me surprendre et de m'éblouir, et enfin, que la littérature serait bien différente sans ses écrits.   

[...] sortir du parcours rassurant du mot trop subit, trop confiant, trop commun, n'offrir au signifiant qu'un goulot, qu'un boyau, qu'un chas, si aminci, si fin, si aigu qu'on y voit aussitôt sa justification. [G.P.]

Il y avait un manquant. Il y avait un oubli, un blanc, un trou qu’aucun n’avait vu, n’avait su, n’avait pu, n’avait voulu voir. [G.P.]

Pour Georges Perec, l’écriture est bien le lieu où se rencontrent la lecture, les souvenirs et l’imaginaire, ces trois concepts se retrouvant toujours entremêlés dans chacun de ses écrits, la contrainte permettant au texte de naître. [Éric Lavallade, Le roman (policier) dans le roman, dans Cahiers Georges Perec 13] 

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Autour de Georges Perec, sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Burgelin

Claude

Album Georges Perec

20/04/2022

Évrard

Franck

Georges Perec ou la littérature au singulier pluriel 

06/01/2015

Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

Perec

Georges

Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

Perec

Georges

Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016





dimanche 6 juin 2021

Le roi n'avait pas ri - Guillaume Meurice

La salle d'apparat aux épais murs de pierres résonnait à présent d'un calme terrifiant. [G.M.]

C'est Triboulet lui-même qui s'adresse à nous dans ce roman à saveur historique qui a avec le présent de magnifiques résonnances. Triboulet, c'est un bouffon, un fou du roi, le plus célèbre d'entre eux. Il a œuvré auprès de Louis XII et de François Ier.  Il aura inspiré plusieurs auteurs, dont Rabelais et Hugo. Son histoire, il nous la raconte ici de façon simple. Meurice n'a pas, je crois, la prétention de nous livrer une thèse sur Triboulet, c'est plutôt une joyeuse évocation historique qui s'offre une caricature du pouvoir dans un style allègre fait de phrases courtes qui ne ménagent pas les chutes. Voilà une lecture agréable, une occasion de s'interroger sur la frontière entre le rire et l'offense. Jusqu'où la caricature peut-elle s'aventurer ? À quel point peut-elle malmener les bases de l'autorité ?

Et si telle était ma fonction ? Divertir sans glisser. Chercher la limite, le point d'équilibre entre le rire et l'offense. Entre la grâce et l'abîme. [G.M.]

Où s'arrête l'insolence, ou commence l'outrage ? Moi-même, je l'ignorais. Mais, le roi sourit. Et les autres aussi. [G.M.] 

J'ai toujours aimé l'odeur des livres. Ces effluves de fibres et d'encre me remplissent chaque fois d'une joie profonde. Le savoir est physique. L'intellect, intuitif. Je me plongeai dans la lecture.  [G.M.] 

Désormais, les balivernes parcouraient l'Europe, couchées sur du papier. Comment cet outil merveilleux, source de savoir, pouvait être dans le même temps véhicule de tromperies ? Était-ce un poison qui soigne et tue à la fois ? [G.M.]

- Ne t'en fais point ! Si quelqu'un te tuait, je le ferais pendre un quart d'heure après.
- Grand merci, mon roi. Mais je préférerais un quart d'heure avant.
 [G.M.]

La religion goûte peu la plaisanterie. La vérité révélée est pourtant source réjouissante d'absurdité. [G.M.]

Le besoin de brûler, piller, soumettre, tuer, dominer, d'où vient-il ? Est-il enfoui en chacun de nous ? N'attend-il qu'un prétexte pour jaillir ? Peut-être étions-nous tous fous. [G.M.]