mercredi 31 mai 2023

Qui de nous deux ? - Gilles Archambault

Écrire ne m’a jamais consolé de quelque peine. [G.A.]
L'écriture de Gilles Archambault émeut toujours, mais jamais autant que lorsqu'il s'insinue dans le genre autobiographique, lorsque, comme ici, son discours intimiste relate un couple, le sien, qui se voit démembrer par l'arrêt de la vie. L'écriture de cette chronique, ce journal, est la voie qu'Archambault a trouvée pour faire face à la mort de sa conjointe des cinquante dernières années. Évocation de moments heureux, tendresse partagée, amours ordinaires, sincères et durables. Archambault relate les douleurs des derniers instants, la peine et le désarroi devant l'inévitable, mais aussi les souvenirs agréables d'un parcours de vie à deux. 
Je suis essentiellement un nostalgique. [G.A.]
Voilà donc un récit d'une tranquille délicatesse où l'auteur, bien qu'il se livre à cœur ouvert, fait discrètement intervenir ses amis de toujours les livres qui l'ont touché, les écrivains qui l'ont accompagné et des souvenirs de lecture. La littérature tout entière n'est-elle pas un effort pour rendre la vie bien réelle, tel que l'affirmait Fernando Pessoa ? 
« C’est chose tendre que la vie, et aisée à troubler », écrit Montaigne. La tendresse ne nous avait pas quittés. La vie nous menaçait. [G.A.]

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Archambault

Gilles

À peine un petit air de jazz

05/02/2018

Archambault

Gilles

En toute reconnaissance, Carnet de citations plutôt littéraires

14/04/2019

Archambault

Gilles

L’ombre légère 

29/01/2012


samedi 27 mai 2023

Les crépuscules de la Yellowstone - Louis Hamelin

Ce livre raconte la remontée d’un fleuve. [L.H.]

Que voilà un parcours intéressant, le périple de John James (Jean-Jacques) Audubon, l'auteur des magnifiques planches des Oiseaux d'Amérique, sur le Missouri et le Yellowstone, en territoire indien, en dessinant tout du long des espèces sauvages. Audubon, vieillissant, s'aventure en 1843, dans cette contrée mythique, accompagné du trappeur Étienne Provost dans l'espoir de garnir ses cahiers de dessins de quadrupèdes particuliers et d'oiseaux remarquables. Cela se fait dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. S'ils traversent des territoires indiens peu explorés, Audubon, son équipe, Provost et les chasseurs métis qui les accompagnent sont à l'affut des troupeaux de bisons. Les règles respectées dans une expédition naturaliste de l'époque sont à des années-lumière de celles d'aujourd'hui. Le contexte est plutôt celui d'un prédateur en chasse, ce qui anticipe le massacre qui suivra. Beau paradoxe. Mais, cela est magnifiquement raconté par un auteur qui, lui-même ornithologue, manifeste du respect devant le chant d'un oiseau et les lithographies réalisées par Audubon. 

D'ailleurs, on accompagne également le narrateur dans sa démarche, ses souvenirs et sa visite des mêmes terres maintenant parsemées de puits de pétrole, la destruction se poursuit. Les crépuscules de la Yellowstone est un roman à nul autre pareil. L'auteur le qualifie de western écologique, c'est aussi un regard sur l'histoire du fait français en Amérique.

Je feuillette lentement les reproductions des lithographies originales, avec le mélange de studieux respect et de dévotion admirative qui convient à la lecture d’un livre sacré. Ces oiseaux qu’il massacrait pour mieux les peindre, personne, avant lui, ne les avait rendus aussi vivants. [L.H.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]

dimanche 14 mai 2023

Fuir - Jean-Philippe Toussaint

Serait-ce jamais fini avec Marie?  [J.-P.T.]

Des mystères, des hasards, quelques circonstances et coïncidences, et l'étrange sensation que le monde se déroule en dehors de nous, voilà ce qu'on peut ressentir devant cette nébuleuse mission professionnelle réalisée pour Marie, la femme avec qui le protagoniste dépassé du roman vient de rompre, lui qui est entraîné dans un tourbillon incontrôlable et l'étrangeté d'un parcours de train entre Shanghai et Pékin, en passager sur une moto endiablée près de la Cité interdite, puis sur l'île d'Elbe pour accompagner le deuil de Marie. Ce court roman est magnifiquement écrit d'une plume qui assume totalement son décalage. J'ai aimé me laisser guider par ce narrateur qui ne semble pas comprendre plus que moi et qui transmet son désarroi dans cette fuite en écriture.

Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée). [J.-P.T.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Toussaint

Jean-Philippe

La salle de bain

31/07/2023