dimanche 14 mai 2023

Fuir - Jean-Philippe Toussaint

Serait-ce jamais fini avec Marie?  [J.-P.T.]

Des mystères, des hasards, quelques circonstances et coïncidences, et l'étrange sensation que le monde se déroule en dehors de nous, voilà ce qu'on peut ressentir devant cette nébuleuse mission professionnelle réalisée pour Marie, la femme avec qui le protagoniste dépassé du roman vient de rompre, lui qui est entraîné dans un tourbillon incontrôlable et l'étrangeté d'un parcours de train entre Shanghai et Pékin, en passager sur une moto endiablée près de la Cité interdite, puis sur l'île d'Elbe pour accompagner le deuil de Marie. Ce court roman est magnifiquement écrit d'une plume qui assume totalement son décalage. J'ai aimé me laisser guider par ce narrateur qui ne semble pas comprendre plus que moi et qui transmet son désarroi dans cette fuite en écriture.

Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée). [J.-P.T.]
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31/07/2023




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