lundi 21 décembre 2020

Le goût du vrai - Étienne Klein

Le contexte a fait en sorte que des discours scientifiques et anti-scientifiques se présentent à nous presque quotidiennement. S'entremêlent alors des faits vérifiés et des pseudo-vérités, des canulars et des interprétations excessives, des idées et des opinions dans un univers médiatique où le relativisme semble avoir gagné du terrain.
Aujourd’hui, la tendance à avoir un avis non éclairé sur tout, et à le répandre largement, me semble gagner en puissance. Dans son sillage, elle distille l’idée que la science, surtout lorsqu’elle devient dérangeante, ne relève que d’une croyance parmi d’autres. [E.K.]
C'est dans ce magma de couverture diverse que la parole d'Étienne Klein s'est présentée avec cette plaquette où rationalité, connaissances et vérités scientifiques sont interpellées alors que les circonstances, trop souvent, les bafouent. J'ai donc lu avec beaucoup d'intérêt Le goût du vrai de cet auteur, animateur, physicien, vulgarisateur et philosophe des sciences que j'aime à écouter dans La conversation scientifique sur France-Culture. J'ai retrouvé là des idées pertinentes sur la perception et la place que la société accorde à la science, sur les relations entre science, réalité et vérité scientifique. L'auteur conclue qu'il n'est pas souhaitable de renouer avec le scientisme, mais, dans la situation actuelle où la nature se rappelle à nous avec force, il propose plutôt de faire appel à nouveau à la rationalité tout en la refondant et en remettant en question le relativisme ambiant. 

Voilà donc un essai qui, bien que court, est tout à fait percutant.
La science prend souvent l’intuition à contre-pied, contredit presque toujours le bon sens et n’a que faire de la bureaucratie des apparences. [E.K.]
Quiconque a fréquenté d’un peu près les questions scientifiques le sait: il y a un « érotisme des problèmes ». [E.K.]
[...] comme me le dit un jour Jean-Marc Lévy-Leblond, fort des observations astronomiques qu’il réalise chaque été avec ses petits-enfants, voir les satellites de Jupiter où les anneaux de Saturne grâce à un petit télescope est autrement plus excitant que d’en apprendre l’existence dans un manuel, même illustré de beaux clichés. Car c’est alors un écho de l’émerveillement de Galilée que l’on sent pénétrer en soi, comme une intraveineuse. [E.K.]

Appréciation : 5/5 

dimanche 6 décembre 2020

Toutes les histoires d'amour ont été racontées, sauf une - Tonino Benacquista

Depuis sa disparition, Léo me manque. [T.B.]

Benacquista nous surprend toujours par la diversité de ses écrits. Cette fois-ci, il nous ouvre simultanément les portes de plusieurs univers, des univers que découvre Léo qui, en mal de vivre, s'est cloitré pour s'offrir des séries télé en mode rafale. Ce roman, c'est donc l'histoire de Léo et celle du narrateur qui a constaté sa disparition. Ce sont également les histoires des séries à l'intérieur de l'histoire, c'est l'histoire d'Harold à qui on a donné le défi d'écrire la plus belle histoire d'amour, c'est aussi l'histoire d'une multitude de personnages qu'on découvre l'un après l'autre à chaque fois par un épisode d'une série dont on ne verra jamais l'entièreté. On se laisse envahir dans le creux de ces aventures en ne sachant plus toujours ce qui relève de la réalité et de la fiction, ou plutôt en ne sachant plus à quel niveau de fiction nous nous sommes engagés. Évidemment, cette lecture d'une réalité trouble rappelle par quelques éléments le mémorable Saga et on ne s'en plaint pas. Cela aura été une agréable expérience que de se perdre dans toutes ces aventures. Je crois qu'il faut accepter de s'abandonner à l'auteur et affirmer comme Lena à Harold :

Parce que celui qui consent à s'embarquer dans ton récit, Harold, voyage en confiance. Il s'est débarrassé de ses bagages, ses références, ses croyances, ses idéaux, il est prêt à bouleverser ses certitudes en attendant que soit tenue la promesse que tu lui as faite de paysages inédits et de destinations secrètes. [T.B.]

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[...] il se contente d'appuyer une seule fois sur le déclencheur, ou pas du tout, car selon lui il y a bien plus de raisons de ne pas prendre une photo que de la prendre. [T.B.]

La comédie humaine est une farce bouleversante qui se renouvelle chaque jour. [T.B.]
Car que nous reste-t-il dans l'arsenal de la raison pour repousser l'épouvantable spectre du mauvais hasard sinon l'idée de destin? [T.B.]

Appréciation : 3,5/5
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Benacquista

Tonino

Homo erectus 

05/09/2011

Benacquista

Tonino

Romanesque

31/01/2017




mercredi 25 novembre 2020

Un dimanche à ma fenêtre - Christian Vézina

Si j'avais écrit ce livre, il eût été bien différent. Bien sûr, je suis l'auteur de ces textes, mais je les ai écrits pour les dire, sans autre but que de les lire à la radio le dimanche matin... [C.V.]

Que de beaux souvenirs surgissent à la lecture de ces chroniques, je les entends encore dans le cadre de l'émission Dessine-moi un dimanche diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Plus d'une fois, j'ai été tenté de les réécouter, plus d'une fois, je me suis dit que j'aimerais bien relire ces textes inspirés, ces billets jouant avec la langue, la poésie et l'humour sur des thèmes aussi variés que l'imagination sans retenue de leur auteur. Les intitulés de ces chroniques font foi de l'éclectisme de la démarche, en voici quelques-uns : Et que dire de ce fromage?, Un pluriel singulier, Le mépris, Les mots, Art ne prend pas d'accent circonflexe, Déménager, Nostalgie, Y réfléchir et l'imaginer, ...

Pertinence de l’impertinence, le rebelle est insupportablement nécessaire. [C.V.]

Comprends-tu, chose, la nostalgie c'est comme l'eau : si on n'y reste pas trop longtemps c'est une cure de jouvence! Autrement on en sort tout plissé! [C.V.]
J'ai lu ce recueil loin de chez moi, j'y ai trouvé le réconfort des bons mots chuchotés à mon oreille avec le désir de se laisser porter par la parole, les idées, les tournures et un verbe sans prétention.

Appréciation : 3,5/5

dimanche 22 novembre 2020

Ornithologie - Mathieu K. Blais

Un jour, un oiseau est venu mourir sur ma galerie. [M.K.B.]

J'ai été attiré par le titre et le concept tel que je l'avais compris. J'aimais l'idée de retrouver dans le comportement des oiseaux des réflexions sur la vie, sur ma vie, d'y trouver une symbolique qui se détache du commun, une métaphore sociétale ancrée dans le personnel qui s'amuse sur les ailes des mots. J'ai peut-être réussi à y voir un peu de cela, mais malheureusement de façon éparse dans les quelques pages du recueil. Est-ce que ma disposition à lire de la poésie n'était pas entière? Mes attentes et mes désirs ne relevaient-ils pas plus de l'imaginaire et du rêve face à un auteur que je ne connaissais pas? J'ai, en partie, vécu une légère déception, mais, parfois, au croisement de deux phrases, sur le seuil d'une envolée, en tournant une page, j'ai sympathisé avec une tournure et j'ai repris ma marche dans l'expectative d'une nouvelle rencontre. 
J’habite une ville d’oiseaux fantôme. [M.K.B.]
Je ne suis nulle part. C’est une destination de rêve où il n’y a rien à faire ni à voir. [M.K.B.]
Le bleu du ciel n’est pas une couleur.
Le bleu du ciel est un symptôme. [M.K.B.]
On est à peine un bruit de fond. Le monde une faute de frappe. [M.K.B.]

J’emprunte toujours les mêmes raccourcis. C’est un labyrinthe rudimentaire. Je ne marche pas dans la ville, je marche dans ma mémoire comme dans la vallée de l’ombre. [M.K.B.]

Appréciation : 3/5 

samedi 7 novembre 2020

L'anomalie - Hervé Le Tellier

Tuer quelqu’un, ça compte pour rien. Faut observer, surveiller, réfléchir, beaucoup, et au moment où, creuser le vide. [H.L.T.]

Hervé Le Tellier, le quatrième président de l'Ouvroir de littérature potentielle, nous entraîne dans une œuvre qu'on pourrait tenter de classifier telle un thriller scientifique, ou encore un polar politique. Ne serait-ce pas plutôt un roman psychologique ou une fantaisie science-fictionnelle? Enfin, l'objet étrange duquel on ne peut que difficilement se soustraire est surtout un bon roman dont on parcourt les chapitres en espérant qu'il n'y aura pas d'interruption. L'anomalie présente, comme on peut le constater à notre difficulté de placer ce roman à l'intérieur d'une catégorie, de multiples facettes. Était-ce là une contrainte? L'auteur, comme tous les oulipiens, prône à qui veut bien l'entendre que de la contrainte nait l'invention. Invention il y aura bien dans ce roman à tiroirs. 

Un vol Paris-New York, qui en est à quelques minutes de son arrivée, fonce sur un mur de cumulonimbus fait d'eau et de glace. Il se sort miraculeusement de cette tempête hors-norme après des turbulences difficilement maîtrisées. Un problème surgit toutefois : les tours de contrôle reconnaissent en ce vol, un appareil qui s'est posé à New York trois mois plus tôt ayant à son bord le même équipage et les mêmes 243 passagers. Il y a là une anomalie. Que faire? Après le 11 septembre 2001, deux jeunes mathématiciens probabilistes avaient modélisé toutes les variables et tous les événements qui pourraient affecter le trafic aérien et ils avaient déterminé une série de protocoles à mettre en place selon les circonstances. Leur rapport secret-défense s'intitule Trafic aérien civil : diagnostics de crise, optimisation de la chaîne de décision et protocoles de riposte/sécurité. Absolument tout est prévu et, dans le cas tout-à-fait improbable où une circonstance non étudiée se présentait, il y avait le protocole 42. C'est celui-là même qui se met en branle lors du dédoublement du vol Paris-New York.

Les différents genres exploités par Le Tellier, s'incarneront dans un échantillon non aléatoire de personnages dont les multiples destinées ont l'incompréhensible particularité de s'exprimer par deux fois en près de trois mois d'intervalle. On trouvera même parmi les passagers un double de l'auteur, Victor Miesel, dont on a récemment publié une œuvre posthume, L'anomalie. Une mise en abyme particulièrement réussie.

Voilà un magnifique voyage que nous offre l'auteur de ce vol vers l'inconnu. 

Je n’ai jamais su en quoi le monde serait différent si je n’avais pas existé, ni vers quels rivages je l’aurais déplacé si j’avais existé plus intensément, et je ne vois pas en quoi ma disparition altérera son mouvement. [H.L.T.]

Pour un probabiliste, c’est un rêveur, il a des yeux verts qui le feraient prendre pour un théoricien des nombres, même s’il porte les cheveux aussi longs qu’un théoricien des jeux, de petites lunettes d’acier trotskisantes de logicien et de vieux T-shirts troués d’algébristes - celui qu’il arbore en cet instant est particulièrement avachi... [H.L.T.]

L’existence précède l’essence, et de pas mal en plus. L’anomalie de Victor Miesel [H.L.T.]

- Ce phénomène est prodigieux, monsieur le président, commence Adrian en se raclant la gorge, mais comme le disait Arthur C. Clarke, toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. [H.L.T.]

Il a sorti son carnet, un stylo, il tente de s’abstraire des cris, du bruit, il prend des notes : Épuisement d’un lieu improbable. Mais non. Pourquoi marcher à l’ombre de Perec ? Pourquoi ne s’affranchit-il jamais des influences, des figures tutélaires ? [H.L.T.]

Aucun auteur n’écrit le livre du lecteur, aucun lecteur ne lit le livre de l’auteur. Le point final, à la limite, peut leur être commun. L’anomalie. Victor Miesel [H.L.T.]

- Toujours se méfier des gens qui nous demandent de nous méfier, [...] [H.L.T.]

Malgré tout, je n’aime pas trop ce mot de « destin ». Ce n’est qu’une cible qu’on dessine après coup à l’endroit où s’est fichée la flèche. [H.L.T.]

 Appréciation : 4,5/5

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Le Tellier

Hervé

La disparition de Perek

06/07/2022