vendredi 27 décembre 2019

Il pleuvait des oiseaux - Jocelyne Saucier

J'avais fait des kilomètres et des kilomètres de route sous un ciel orageux en me demandant si j'allais trouver une éclaircie dans la forêt avant la nuit, au moins avant que l'orage n'éclate. [J.S.]
Malgré le fait que ce roman de Jocelyne Saucier faisait partie depuis belle lurette de ma pile de livres à lire, j’ai vu son adaptation cinématographique avant d’en faire la lecture. Ce n’est pas à mon habitude et je craignais que les images du film prennent la place de celles que j’aurais pu me créer au fil des pages. Au fait, ma lecture fut accompagnée d’une forme hybride d’imagerie, une part attribuable au film, c’était inévitable, mais aussi une part construite par la poésie du texte, riche de ses évocations.

Quelle histoire inspirante que celle de ces rescapés de la société vivant en marge et en forêt, au bout de leur âge et faisant se côtoyer dans un univers à la frontière de la beauté et de l’humanité, amitié, nature, arts et amour. C’est avec beaucoup de tendresse que l’auteure, prenant appui sur le dramatique d’un événement passé, nous entraîne dans cette improbable communauté. Elle nous fait sentir toute la bienveillance que suscite ce groupe sur la pseudo-famille qui s’est créée dans son environnement. Un moment de bonheur que cette lecture!

Appréciation : 4,5/5

mardi 17 décembre 2019

Le zéro et l'infini - Arthur Koestler

La porte de la cellule claqua en se refermant sur Roubachof. [A.K]
Arthur Koestler écrit ce magnifique roman en 1938 telle une déclaration où il rompt définitivement avec ce qu'est devenu alors le communisme. Les procès de Moscou viennent d'avoir lieu. Il assiste à la dérive totalitariste de l'État. Le zéro et l'infini deviendra un classique de l'antistalinisme. Même s'il semble qu'il ait été utilisé par une certaine propagande lors de la Guerre froide, le discours qu'il contient est d'un autre ordre. On y trouve le tourment et les réflexions de l'officier Roubachof emprisonné par son propre clan et amené à avouer son intelligence avec l'ennemi du Parti. On y assiste aux interrogatoires menés par un ancien camarade et aux discussions qu'ils ont sur le sens des actions du Parti. Voilà, à n'en point douter, une oeuvre majeure à relire en ces temps obscurs où le totalitarisme, sous des formes nouvelles et inattendues, émerge à nouveau.

jeudi 5 décembre 2019

De synthèse - Karoline Georges

Je suis née entre la publication de L'origine des espèces de Darwin et le moment où Voyager 1 quitte le système solaire, dessinant au passage, dans l'espace-temps, la flèche de l'évolution. [K.G.]
Conte moderne se situant dans un proche demain à la limite du virtuel, dans un espace dont on reconnait presque l'essence et où une intelligence artificielle semble se manifester. À la recherche de soi dans une image parfaite de son propre corps ou de son avatar, la narratrice doit renouer avec un univers familial qu'elle avait enfoui sous des couches de personnages de fiction, d'icônes illusoires et de chimères. Ce conte, c'est, pour moi, le choc entre un virtuel à parfaire indéfiniment et une réalité qui se défait et se détruit sans que l'on puisse intervenir. Cela demeure une oeuvre troublante.
Devant Le radeau de la Méduse de Géricault, oeuvre plus immense que le Louvre entier dans mon souvenir, j'ai eu l'impression d'un grand coup, puis d'un frisson. [...] Je suis restée là, longtemps, à penser aux miens, en contemplant Le radeau de la Méduse. À notre histoire, racontée en une seule image. Celle-là. Ce groupe à la dérive, en décomposition. Mais qui avance, encore. Sans destination. J'ai senti monter les larmes. Je venais d'éprouver mon premier choc esthétique. ou poétique. Ou philosophique, peut-être. [K.G.]

 

mercredi 27 novembre 2019

Les amants du Spoutnik - Haruki Murakami


Au printemps de sa vingt-deuxième année, Sumire tomba amoureuse pour la première fois de sa vie. [H.M.]
On ne se trompe pas en abordant un roman du prolifique Murakami. On reconnait sa touche simple, sa plume limpide, son style fluide ainsi que sa façon bien personnelle de traiter de l'amour, de la transition entre l'adolescence et l'âge adulte et de la quête identitaire que cela génère. K., un jeune enseignant solitaire, est amoureux de son amie Sumire qui, elle, désireuse de devenir romancière, se voit subjuguée par une étrange dame qui l'engage comme secrétaire particulière et l'entraîne dans ses pérégrinations et ses silences. De Tokyo à une petite île grecque, de Rome à la Bourgogne, ce roman d'amoureuses et d'amoureux se teinte d'un mystère paré, comme on s'en doutera, de la touche très légèrement fantastique propre à notre auteur.

Je n'aurai pas été déçu, loin de là.
Il est temps que je parle de moi. Bien sûr, cette histoire est celle de Sumire, pas la mienne. Mais comme je suis le narrateur et que Sumire est vue à travers mon regard, il me paraît nécessaire d’expliquer dans une certaine mesure qui je suis.  [H.M.]

À travers l’écriture, je renouvelle quotidiennement l’affirmation de mon existence. [H.M.] 

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1Q84 

31/07/2015

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26/05/2019

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L’éléphant s’évapore

27/07/2017

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21/10/2016


vendredi 22 novembre 2019

Nous qui n'étions rien - Madeleine Thien

En un an, mon père nous a quittées deux fois. [M.T.]
S'agit-il de synchronicité, de coïncidence ou d'une certaine intertextualité avec l'histoire qui s'écrit ces jours-ci? J'étais plongé dans la lecture de ce magnifique roman influencé par la musique de Bach et un mystérieux assemblage de calepins réunis dans Le Livre des Traces, dans ce récit personnel et familial où une narratrice mathématicienne se met à la recherche de soi et de ses racines prenant pour décor l'aventure chinoise, de la révolution culturelle aux événements de Tiananmen quand les journaux télévisés rapportent de similaires agitations à Hong Kong.

C'est par les yeux de celles et ceux qui le vivaient que nous sont racontés le soulèvement et les manifestations de la place Tiananmen. Cela s'incarne ainsi d'une façon plus intense et il est impossible, ensuite, de porter le même regard sur cet élément d'histoire comme sur l'actualité qui en prend la forme.

C'est la quête de Marie et celle d'Ai-Ming pour reprendre contact avec leur passé qu'on retrouve dans Nous qui n'étions rien, mais c'est également une odyssée chinoise où les malaises, les douleurs et les rêves d'une multitude de personnages attachants, dont plusieurs sont musiciens, nous sont révélés à l'aide d'une plume qui semble s'inspirer de la pensée chinoise comme de la musique. Elle présente une admirable fluidité.
Wen lui avait raconté des histoires sur le désert, sur le camarade Oeil de verre et sur son père, l'Oiseau du silence. Vrille lui parlait de Grande Mère Couteau, de Dame Dostoievski et de Zhuli. [M.T.] 
- Vous seriez surpris du peu de gens qui savent raconter une histoire, disait le Vieux Chat. [M.T.]
Si tu aspires à ce qui n'est pas en toi, Jamais tu n'obtiendras ce que tu désires. [M.T.]
Le 18 mai 1996, je regardais la télévision tout en essayant de résoudre un problème ardu (Supposons que D est un nombre entier positif qui n'est pas un carré parfait. Prouvez que la fraction continue de √D est périodique.) quand le téléphone a sonné. [M.T.]
 À l'intérieur de la pureté du do se cachait un éventail d'harmoniques riches et l'écho des autres do, comme un homme vêtu de plusieurs habits ou une grand-mère portant tous ses souvenirs en elle. [M.T.]
Je conservais les papiers de mes parents dans le placard de ma chambre et, sur le mur, une citation de Cantor : L'essence des mathématiques, c'est la liberté. [M.T.]
Était-ce son imagination, ou y avait-il une question soigneusement pliée dans cette question? [M.T.]
La seule façon de traverser la rivière est de chercher les pierres avec ses pieds. [M.T.]
Devant, le chemin est loin et long, mais je chercherai de long en large. [M.T.] 

dimanche 3 novembre 2019

Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon - Jean-Paul Dubois

Il neige depuis une semaine. [J.-P.D.]
Retrouver la plume de Jean-Paul Dubois, un héros prénommé Paul et une tendre mélancolie, que du bonheur! L'écriture simple teintée d'humour subtil et de sensibilité assumée de Dubois est, dans ce contexte, exactement ce qu'il fallait pour narrer cette histoire à plusieurs volets, se situant sur plusieurs plans, s'étalant en divers univers. On passe ainsi d'une cellule d'une prison de Montréal où un ex-motard et des fantômes accompagnent Paul Hansen au quotidien, à un regard éclaté et plein d'émotions sur les lieux et les êtres qui ont escorté Paul dans son existence pour le mener d'une salle de cinéma d'avant-garde tenue à Toulouse par sa mère à un poste de superintendant dans un édifice à logements du quartier Ahuntsic à Montréal, en passant par le Jutland danois de son père pasteur et joueur, une église méthodiste de Thetford Mines et un lac près de Saint-Alexis-des-Monts. Voilà un merveilleux voyage parcourant le destin de ce Paul qui porte avec difficulté son héritage familial.

Nous respirons nos haleines en vase clos, des souffles communs chargés d’éclats de poulets bruns et de sombres projets. [J.-P.D.] [zeugme] 
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mardi 29 octobre 2019

Vingt-trois secrets bien gardés - Michel Tremblay

Il est installé dans sa chaise haute qui trône dans le bow-window de la salle à manger, là où pendant les fêtes on dresse le sapin de Noël. [M.T.]
C'est en utilisant la troisième personne que Michel Tremblay jongle avec ses souvenirs retrouvés et nous offre, en conservant ainsi un certain recul, des tranches de vie s'étalant sur plusieurs périodes. En ligne pas si droite qu'on pourrait le croire avec d'autres livres qu'il a commis tels  Les vues animées, Douze coups de théâtre ou Un ange cornu avec des ailes de tôles, Michel Tremblay use de sa plume pour livrer quelques épisodes de l'existence d'un jeune garçon du Plateau qui se nommait, lui aussi, Michel Tremblay. C'est avec candeur qu'il nous offre ainsi de courts moments teintés de tendresse et d'émotion, des instants parfois amusants, parfois embarrassants. On a toujours le sentiment de le connaître ou de l'avoir connu ce jeune Michel et on ne peut sortir de cette lecture qu'avec un large sourire.

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08/02/2014

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15/12/2021