mercredi 25 mars 2020

Histoire de l'art et d'en rire - Musée des zeugmes - Olivier Salon et Philippe Mouchès

Philippe et moi étions au café dans un petit troquet de quartier du 20e arrondissement. [O.S.]
Un petit bijou que ce recueil! Olivier Salon, membre de l'Oulipo, s'est allié à Philippe Mouchès, membre pour sa part de l'OuPeinPo, pour nous offrir une variation graphique du concept de zeugme. Cela va de *La fuite en Égypte et au plafond* à *La liberté guidant le peuple et un groupe de touristes...* en passant par *Le Moulin de la Galette des Rois*. Chaque image ou oeuvre picturale détournée est accompagnée d'un court texte célébrant le zeugme insinué dans le graphisme. On ne peut qu'apprécier le jeu et la série de clins d'œil que nous livrent les auteurs.
Le zeugme, ou zeugma (du grec ancien zeûgma, « joug, lien ») est une figure de style qui consiste à faire dépendre d'un même mot deux termes disparates qui entretiennent avec lui des rapports différents, en sous-entendant (le plus souvent) un verbe déjà exprimé. [O.S.]  



Le massacre des innocents et des règles élémentaires de la perspective par Nicolas Poussin

Appréciation : 4/5









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On peut lire aussi à ce sujet:


Bailly
Sébastien
Les zeugmes au plat 

vendredi 20 mars 2020

L'affaire Arnolfini - Jean-Philippe Postel

À Londres, les jours de beau temps, une étrange forme humaine s’offre au regard des promeneurs sur Trafalgar Square, juste devant l’entrée de la National Gallery.  [J.-P.P.]
Quel tableau ! Que j'aimerais pouvoir contempler l'original à la National Gallery de Londres ! Mais, examiner une reproduction de cette toile est déjà fascinant. L'allure des personnages, la mise en scène, la position du couple, le mystérieux miroir et ce qui s'y reflète, tout cela et bien plus nous ensorcèle et on veut, comme l'auteur, en savoir plus sur la genèse de ce tableau et l'histoire des diverses interprétations qu'il a suscitées. Même si la page titre de cette publication annonce un roman d'investigation, nous ne sommes pas vraiment en face d'une oeuvre de fiction, mais l'enquête minutieuse engagée par Jean-Philippe Postel a quelque chose de romanesque. De l'identité des personnages représentés jusqu'au lien qui les unit, du mois de l'année 1434 où le tableau a été peint jusqu'à la nature du message que Van Eyck a pu vouloir transmettre, des multiples détails présents ou absents jusqu'au reflet d'une certaine réalité, tout cela nous engage dans une exploration palpitante et on accompagne volontiers l'auteur dans sa démarche prospective. Je ne regarderai plus jamais cette toile sans penser aux secrets qu'elle recèle.
La vérité est au fond du puits. Il n’est que de s’y pencher pour la découvrir et alors on ne voit qu’elle. [J.-P.P.]
Appréciation : 3,5/5
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On peut aussi écouter un épisode de l'émission Les Regardeurs sur France-Culture à propos du tableau Les époux Arnolfini https://bit.ly/392mhVu

samedi 14 mars 2020

Marx dans le jardin de Darwin - Ilona Jerger

Charles, au moment où il aperçut ces trois silhouettes près de la clôture, était en train de réfléchir à ce que pouvait ressentir un Accenteur mouchet, Prunella modularisquand il copule en un dixième de seconde plus de cent fois par jour. [I.J.]
En 1881, Charles Darwin a 72 ans, il habite la campagne voisine de Londres et sa santé est précaire. L'Origine des espèces publié il y a plus de 20 ans en a fait un homme célèbre. Ses théories ont été notamment reprises par les libres-penseurs de l'époque qui y voient une démonstration scientifique de l'inexistence de Dieu. Darwin ne va pas si loin même si ses croyances chrétiennes sont depuis longtemps ébranlées.

En 1881, Karl Marx a 63 ans, il habite un quartier populaire de Londres et sa santé est précaire. Philosophe, théoricien des mouvements ouvriers, historien et économiste, il a publié le premier tome de son oeuvre majeure, Le Capital. Il connaît l'oeuvre maîtresse de Darwin pour l'avoir lu et établit un rapprochement avec le matérialisme historique

Ilona Jerger, auteure allemande, a trouvé dans ce hasard de l'histoire le sujet de son premier roman. Elle imagine donc un lien entre ces deux grands personnages. Ce lien s'inscrit sous les traits du Dr Beckett qui visite l'un et l'autre pour veiller sur l'évolution de leur état respectif et qui se met à rêver à l'organisation d'une rencontre entre les deux esprits que sont Marx et Darwin. Au-delà de Beckett, c'est l'auteure et nous, ses lecteurs, qui souhaitons cette improbable rencontre, ce choc entre science et théorie politique.

Ainsi, l'imagination d'Ilona Jerger est au service d'un nouveau regard sur la fin de vie de ces deux initiateurs de révolutions. Les biographies s'entrecroisent avec le roman et des débats d'idées en naissent. L'auteure, dans une annexe bienvenue, fait la part des choses et établit ce qui repose sur la réalité et ce qui est de son cru.

Voilà une lecture qui a été fort agréable.
Puisqu'il se plaignait de douleurs de part et d'autre de l'épigastre, juste sous les côtes, le Dr Beckett lui palpa plusieurs fois l'hypocondre, sans rien trouver de pathologique. [I.J.]

Appréciation : 4/5 

dimanche 8 mars 2020

Quasi-lipogramme en A minor ou La réintroduction - Emmanuel Glais

Début septembre, en Europe, c’est le retour des bouteilles consignées. [E.G.]
Un cri! Voici comment m'est proposé ce récit! Voici comment ce texte m'est révélé. Un cri où une lettre est perdue, détournée, envolée. L'objet du conte est tout de même ce cri d'une personne en devenir, d'un être en essor, qui cherche, qui se cherche, qui court vers une vie, vers une existence et un sens. Une lettre perdue qui, elle, donne un style tout en énergie, tout en rythme. Preste et vif comme le flux de pensée d'une jeunesse remuée, fugitive et bohème, tel le flot d'un printemps inconnu et inédit, en rupture et en quête de soi, une poursuite ininterrompue vers l'extérieur, vers dehors, outre Montfort-sur-Meu. Un cri, donc, et l'oeil d'un jeune homme sur une société qui se meurt.

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J'ai aimé cet exercice qui a dépassé la contrainte pour nous transposer en toutes lettres ce que le protagoniste vit de ces quelques saisons, de ces quelques trimestres, de ses tribulations à la recherche d'appareils délaissés jusqu'à l'enchevêtrement de ses relations.
Si tu venais à poursuivre, Hubert-Félix te décevrait. Parfois, il vaut mieux ne pas savoir. De toute façon, il n’y a jamais eu d’intrigue et c’est volontaire, je ne suis pas un intrigant. [E.G.]

Appréciation : 4/5 

dimanche 1 mars 2020

La montagne magique - Thomas Mann

Un jeune homme simple quitta sa ville natale de Hambourg, au plus fort de l’été, pour se rendre à Davos, dans le canton des Grisons. Il partait pour trois semaines, en visite. [T.M.]
Ce livre faisait partie depuis longtemps de ma pile de livres à lire (PAL). Il y a quelques années, on m'avait fortement conseillé ce roman classique. Sa lecture s'est étendue sur un bon moment, elle fut entrecoupée de pause plus ou moins longue et de reprise toujours enthousiaste. Le monde décrit dans cette oeuvre particulière est un univers hors du temps. Sis sur une montagne près de Davos, la société créée par Thomas Mann loge à l'intérieur et autour d'un sanatorium. Le protagoniste du roman, le jeune ingénieur Castorp, vient y visiter son cousin. Il est fasciné par le milieu particulier que constituent les « gens d'en haut ». Atteint lui aussi d'un mal indéfini, il y demeurera sept ans. Ces sept années seront des années d'apprentissage, des années où Castorp découvre la vie, le monde, les amours, la philosophie, la dialectique, les débats internes, la spiritualité, l'amitié, la mort et tout cela à travers la lorgnette très spéciale que représente le sanatorium. La microsociété étalée ici est envoutante. Que ce soit au travers la relation faite de séduction et d'érotisme qu'Hans établit avec Clawdia Chauchat ou celle d'étudiant face à un mentor comme Lodovico Settembrini, que ce soit comme spectateur des débats philosophiques qu'entretiennent Naphta et Settembrini, ou au travers la fidélité d'une amitié avec son cousin Joachim, Hans Castorp se construit une identité. La Montagne Magique n'est, ni plus ni moins, qu'un microcosme du monde, un laboratoire où Thomas Mann s'essaie à différentes théories sur la communauté de l'époque, une société qui se dirige, sans alternative, vers la Première guerre.

La lecture de La Montagne Magique n'est pas simple mais le style de Mann, le charme de ce monde fermé, le regard sur la société et la réflexion qu'elle suggère font de ce classique une oeuvre marquante qui s'imprègne dans la mémoire du lecteur et qui le fait grandir comme Castorp lui-même. 

Le nombre de citations que j'aurais voulu tirer de cette oeuvre mémorable est impressionnant. J'en glisse quelques-unes ici.
Eh oui, c'est une chose mystérieuse que le temps, et difficile à concevoir clairement! [T.M.]
Non seulement l'humanisme, mais l'humanité en général, la dignité humaine et l'estime de soi-même étaient indissociables du verbe et de la littérature.  [T.M.]
Ici, il y avait une autre notion du temps que celle qui avait cours pendant les séjours de vacances et les cures thermales: le mois était, en quelque sorte, la plus petite unité de temps, et un seul n'entrait pas en ligne de compte... [T.M.] 
Il demanda à Hans pourquoi, s'il voulait lire ce genre de littérature, il n'en avait pas emprunté au docteur, qui devait sûrement en avoir un bon assortiment, et Hans répliqua qu'il voulait les avoir en sa possession, et qu'on lisait tout autrement lorsqu'un livre vous appartenait; il aimait du reste les annoter, les souligner. [T.M.] 
[...] la vie était une prolifération, un épanouissement et une élaboration de formes à partir d’une bouffissure faite d’eau, de protéines, de sel et de graisse qu’on appelait la chair, et qui devenait la forme, l’image sublime, la beauté, tout en incarnant la sensualité et la concupiscence. [T.M.]
- À quoi sert la politique, sinon à fournir aux uns et aux autres l'occasion de commettre des entorses à la morale? [T.M.]
Pratiquer les mathématiques, je vous le dis, c’est le meilleur remède contre la concupiscence. Le procureur Paravant, qui était drôlement porté sur la bagatelle, s’est lancé là-dedans ; il s’occupe maintenant de la quadrature du cercle et en est très soulagé. [T.M.]
Du reste, qu'est-ce que c'était cette histoire de « situation »? Pour se trouver dans une situation donnée, il fallait être sis et non debout, pour donner au mot son sens véritable et adéquat, et non simplement métaphorique. [T.M.] 
[...] dans la brume matinale glaciale, dure comme un cri de corneille... [T.M.] 
[...] Naphta [...] demanderait sans doute comment des points dépourvus d'étendue parviennent, à eux seuls, à former une ligne... [T.M.] 
Enfin, la traductrice de cette nouvelle livrée de La Montagne Magique a résumé en postface son regard sur l'oeuvre. J'y ai trouvé une description qui démontre bien l'ampleur du projet et son universalité. Voilà la raison pour laquelle on ne peut rester insensible à sa lecture.
Pilier de l’édifice littéraire, trait tiré sur le passé, autobiographie déguisée, somme philosophique, parodie du roman de formation, roman du temps, monstre composite, à la fois faustien et wagnérien, danse macabre, démonstration par l’absurde, radioscopie d’une société en pleine déchéance physique et morale, thérapeutique visant à lui faire recouvrer la santé, La Montagne magique substitue à l’homogénéité de l’action un assemblage de pans narratifs et informatifs illustrant le refus de s’inféoder à un certain conformisme littéraire ou, politiquement parlant, à une idéologie. [la traductrice Claire de Oliveira en Postface]

Appréciation : 4,5/5