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mardi 19 novembre 2024

Roman de gare - Philibert Humm

Mon banquier ne parle que d'argent. [P.H.]

Philibert Humm, dont je n'avais encore lu aucun roman, se met en scène dans cette épopée qui débute par une discussion autour de ballons de muscadet. Pour briser le train-train, il annonce tout de go qu'il repart à l'aventure et ses comparses lui suggèrent de devenir hobo. Ce Roman de gare s'articule ainsi comme une revisitation des romans du rail américains, tel Les vagabonds du rail de London, et une transposition dans l'univers de la SNCF avec tout l'humour, l'ironie et le regard moqueur sur la société que cela suppose. Ainsi, c'est avec son pote Simon, qu'il amorcera son aventure en se dotant d'un baluchon et d'une naïveté désarmante. Son objectif ? Repérer un convoi de marchandises qui peut les accueillir clandestinement pour amorcer un parcours ferroviaire français digne d'une odyssée. C'est savoureux. Philibert Humm manie la plume avec allégresse et on ne se lasse pas de ses notes en bas de page loufoques et de ses remarques saugrenues. À lire entre deux arrêts livresques plus sérieux.

Ils n’étaient pas simplement libres ou anticonformistes. Ils étaient l’anticonformisme et la liberté. Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous. [P.H.]

Nous décidâmes de longer la grille. Toute grille a sa brèche, comme tout verrou sa faiblesse, toute rivière son gué, toute montagne son col, tout Achille son talon et toute analogie ses limites. [P.H.]

Il n’y a pas d’homme plus courageux que celui qui sait s’arrêter après une cacahuète, dit le philosophe, et je ne suis pas cet homme. [P.H.]

lundi 4 novembre 2024

L'appareil-photo - Jean-Philippe Toussaint

C’est à peu près à la même époque de ma vie, vie calme où d’ordinaire rien n’advenait, que dans mon horizon immédiat coïncidèrent deux événements qui, pris séparément, ne présentaient guère d’intérêt, et qui, considérés ensemble, n’avaient malheureusement aucun rapport entre eux. [J.P.T.]

Selon ses propres termes, Jean-Philippe Toussaint s’engage dans une forme d’écriture qu'il qualifie de littérature infinitésimaliste. On trouve dans ses romans les deux extrêmes, de l'infiniment petit, de l'infraordinaire dirait Perec, du banal, des descriptions minutieuses d'actions insignifiantes dans un décor minimaliste; mais aussi, de l'infiniment grand par la réflexion que la lecture génère, par une écriture quasi philosophique posant un regard analytique sur la pensée, s'ouvrant sur la mélancolie du passage du temps, exprimant dans un langage presque poétique toute l'angoisse du moment. J'aime l'écriture de Jean-Philippe Toussaint, j'aime me laisser porter par ses élans volubiles dans des parcours se situant entre le réel et l'imaginaire sans savoir où cela me mènera. Je termine un roman de Toussaint en ayant le sentiment d'avoir réalisé un beau voyage.

[...] mieux vaut laisser la pensée vaquer en paix à ses sereines occupations et, faisant mine de s’en désintéresser, se laisser doucement bercer par son murmure pour tendre sans bruit vers la connaissance de ce qui est. [J.P.T.]

Car qu’est-ce que penser — si ce n’est à autre chose ? C’est le cours qui est beau, oui, c’est le cours, et son murmure qui chemine hors du boucan du monde.  [J.P.T.]

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14/05/2023

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31/07/2023




jeudi 24 octobre 2024

Le retour de Bouvard et Pécuchet - Frédéric Berthet

Dans le silence, les lourdes portes du siècle et, avec elles, celles plus lourdes encore du second millénaire frémirent sur leurs gonds. [F.B.]

J'avais été séduit par Bouvard et Pécuchet dans sa version originale, ce projet inachevé, mais magistral de Gustave Flaubert. Voilà que le hasard de mes lectures m'amène à découvrir qu'en 1996 était parue une reprise des aventures des deux bonshommes sous la plume de Frédéric Berthet. Une réédition a été réalisée en 2014. Berthet inscrit Bouvard et Pécuchet dans un espace-temps qui se trouve à cent ans de leur continuum spatiotemporel d'origine. Et cela fonctionne. On retrouve leur enthousiasme de néophytes pour appréhender le réel du Chavignoles de 1980 en y diffusant une radiopirate, en explorant les dédales de la bourse, en s'entraînant à devenir des décideurs et des entrepreneurs, en se tournant vers la politique ou l'art d'écrire. Ils envisagent de revenir à Paris, découvrent le Minitel et le nouveau cosmopolitisme qu'il génère, se plongent dans des activités d'un centre de fitness et goûtent à tout ce qui fait le monde des années 80. Le défi était de taille, Frédéric Berthet l'a relevé de belle façon. Il a su trouver le ton juste pour faire de ce retour nettement plus qu'un pastiche.

B&P sont dans un présent perpétuel. [F.B.] 

Comme le livre n’était pas tout à fait terminé, je me suis dit que ces deux personnages n’étaient pas tout à fait morts. [F.B.] 

La Bêtise me suffoque de plus en plus, ce qui est imbécile, car autant vaut s’indigner contre la pluie !  [G.F.]

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Flaubert

Gustave

Bouvard et Pécuchet 

28/03/2010


dimanche 6 octobre 2024

Le sentiment des crépuscules - Clémence Boulouque


Pourriez-vous m’arrêter ici, s’il vous plaît ?
— Bien sûr, Monsieur. Mais nous ne sommes pas encore sur Elsworthy Road.
— Je souhaiterais continuer à pied. J’ai besoin de marcher.
[C.B.]

Clémence Boulouque est écrivaine, journaliste et critique littéraire. Je ne la connaissais pas avant d'aborder ce roman historique qui, dans la forme et l'argument, représente un défi tout à fait remarquable. L'auteure a fait appel à une somme impressionnante de documents, d'archives, d'échanges épistolaires pour créer tout l'univers des discussions qui surviennent dans une rencontre qui fait intervenir Stefan Zweig, Salvador Dali, Gala et Edward James lors d'une visite à la résidence de Sigmund Freud et de sa fille Anna à Londres. Bien qu'on sache que des liens existaient entre ces personnages historiques et hors norme, il n'est pas établi qu'un tel entretien ait eu lieu à Londres en 1938. Mais, peu importe, voilà l'occasion pour des échanges savoureux, pour des évocations du passé de l'un et de l'autre, pour faire revivre les démons qui les tourmentent, pour exposer ce qui compte pour chacun d'eux, pour échanger sur leur statut de réfugiés ou sur les aléas d'une guerre à venir. Et, au travers ces discussions, Dali, mettant de l'avant son caractère fantasque, malgré la modération que tente de lui imposer Gala, insiste pour exposer à Freud sa méthode paranoïaque-critique.

Toute cette rencontre constitue un magnifique débat d'idées et Clémence Boulouque nous permet d'y être conviés.

Anna repense à la plaisanterie familiale sur ce grand-oncle, un commerçant qui parlait une multitude de langues, mais toutes en yiddish. [C.B.]

Les nazis sont aussi idiots que corruptibles, soupire Zweig. Tellement corrompus et imbéciles que la plupart d’entre nous sommes partis du principe que n’importe quelle personne sensée ne voterait jamais pour ce type d’individus. Que c’était l’histoire d’une saison de vulgarités et de tapageurs. Et c’est précisément à cause de cela que toute la tragédie a pu s’enclencher, à petite vitesse, sous nos yeux. [C.B.] 

— Vous allez beaucoup aimer, s’émoustille Dalí. Chez l’arrrrrière-petite-fille du marrrrquis de Sade, dit-il en roulant des consonnes et des yeux. [C.B.] 

L’Amérique est une erreur. Une erreur formidable, peut-être – néanmoins une erreur. [C.B.] 

 

mardi 1 octobre 2024

Flaubert à la Motte-Picquet - Laure Murat

Anvers. Le métro sort de terre, survole Barbès et les voies ferrées de la gare du Nord. [L.M.]

Ce texte de Laure Murat est hors norme. L'auteure, au hasard d'un déplacement dans le métro parisien, observe un homme qui semble noter dans un carnet une liste improbable de lectures. Ce n'est pas, comme elle l'a, de façon spontanée, présumé, une liste de lectures personnelles ou de lectures à venir. C'est plutôt une énumération des lectures de ses voisins de voyage dans le métro. Cela explique l'incongruité dans la suite observée et l'alternance surprenante des titres. Séduite par l'idée, Laure Murat décide de s'y mettre et de tenter de dresser une cartographie de la lecture souterraine. Il ne faut pas y voir une étude sociologique de la lecture qui se pratique dans les rames. C'est, à mon avis, plutôt, des chroniques sans prétention sur des observations de lectures au gré de déplacements sur les diverses lignes du métro parisien, mais aussi du métro de Los Angeles (l'auteure enseigne à Los Angeles) et de celui de New York. Au-delà des commentaires sur les lectures identifiées, on trouve des remarques sur les lecteurs eux-mêmes, sur les auteurs et sur la vie qui se déroule dans les entrailles du monde urbain. C'est court, amusant et cela donne l'idée d'observer plus attentivement les habitudes littéraires de mes covoyageurs quoique dans le contexte numérique d'aujourd'hui cela soit de plus en plus difficile.

[...] le tracé du mur des fermiers généraux, élevé à partir de 1784, barrière fiscale dont l’impopularité était résumée dans cet alexandrin célèbre : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »  [L.M.]

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vendredi 27 septembre 2024

Cette brume insensée - Enrique Vila-Matas

J’en étais arrivé à devenir un artiste citeur parce que précisément, très jeune, je n’arrivais pas en tant que lecteur à aller au-delà de la première ligne des livres que je m’apprêtais à lire. [E.V.M.]

Simon Schneider est artiste citeur, fournisseur de citations littéraires, il nourrit par ses perles repêchées dans la littérature du monde les ambitions littéraires de l'auteur distant, son jeune frère qui a quitté depuis longtemps la Catalogne pour devenir un écrivain caché dans la trame des rues de New York où il aura séduit par la publication de ses «romans rapides». Quelle est la contribution de Simon au succès de Rainer? Quelle part de celui-ci est attribuable au flux de citations bien senties transmises depuis la terre natale? L'auteur culte qu'est devenu Rainer se pare d'un anonymat opaque à la manière de Thomas Pynchon, mais sa manière est-elle si distincte? 

Simon raconte ces trois jours qui culminent avec sa rencontre inespérée avec l'auteur distant, trois jours de doutes et de questionnements sur son identité littéraire et celle de son frère, trois jours dans une brume insensée où la littérature, l'intertextualité et les citations jouent un rôle aussi prégnant que dans La vie mode d'emploi de Perec. 

La mise en abîme que représente ce roman fait en sorte qu'on accompagne l'auteur et le narrateur dans un jeu littéraire tout à fait jouissif.  

Caven concluait en disant qu’à l’intérieur de We Live in the Mind, on pouvait détecter la trace dans le monde de merveilleuses intuitions de Georges Perec qui déjà, en 1965, peu après avoir publié Les Choses, s’était montré d’un grand optimisme en disant que la littérature s’acheminait vers un art des citations qui serait forcément progressiste puisque l’artiste citeur prendrait à tout moment comme point de départ ce qui aurait représenté une réussite, une intéressante trouvaille pour nos prédécesseurs. [E.V.M.]

[...] il semblait stupide de jeter par-dessus bord les grandes trouvailles du passé, le vaste patrimoine de nos visions impromptues, de nos intuitions. Il était encore plus stupide de ne pas savoir s’approprier tout ce qui pouvait nous intéresser le plus dans le vaste répertoire que l’histoire de la littérature avait mis à notre disposition. [E.V.M.]

Je ne sus ou ne pus me débarrasser du soupçon que ce que j’avais vécu avec Siboney à cette occasion semblait avoir préalablement été écrit par Tóibín à son insu et pensai à tous les écrivains qui décrivent des scènes de vies de personnes réelles sans que celles-ci n’en sachent jamais rien et les écrivains encore moins. [E.V.M.] 

Un artiste citeur, pensai-je, doit savoir trouver dans les citations des solutions à tout. [E.V.M.] 

[...] je finis par renoncer parce que je tombai sous l’emprise de l’un de ces instants impromptus de tranquillité et de grande oisiveté où tout à coup la pensée se contente d’exister. [E.V.M.]

À propos de l’Introduction à l’art des citations, je lui dis qu’il suffirait de raconter comment avait évolué ma théorie sur la possibilité de construire des romans à trames intertextuelles opposées au fétichisme de l’originalité. [E.V.M.]

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mardi 24 septembre 2024

Peuple de verre - Catherine Leroux

L'extérieur n'est pas vraiment l'extérieur. [C.L.]

Dans ce futur pas si lointain, Sidonie est journaliste. Elle explore notamment le monde difficile des sans-abri, des « inlogés ». Dans les camps de fortune établis sur le territoire, des individus, des familles, des êtres sans ressources et des travailleurs à peine payés cherchent à survivre. Des disparitions mystérieuses semblent se produire, la journaliste tente de comprendre et de faire connaître ce fait qui nourrit la rumeur. Mais les circonstances du parcours personnel et professionnel de Sidonie, la controverse que suscitent ses reportages, l'opposition des pouvoirs l'entraînent vers l'errance et sa chute est totale. On la retrouve incarcérée dans une habitation ateliers pour les inlogés, un lieu qui, comme pour les asiles du passé, a pour finalité de placer à l'écart les êtres qui déparent ou dérangent la société. L'écriture directe de Catherine Leroux fait se fondre imagination et réalité et donne à cette quasi-dystopie un tour inquiétant. 

La force du déni a ceci d’intéressant : elle permet à une chose et son contraire d’exister côte à côte. [C.L.] 

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Leroux

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L’avenir

24/01/2021

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Catherine

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30/10/2017


 

dimanche 8 septembre 2024

L'origine des larmes - Jean-Paul Dubois

Il pleut tellement. Et depuis tant de temps. Des averses irréversibles qui semblent surgir de partout, la nuit comme le jour. [J.P.D.]

Il pleut beaucoup dans L'origine des larmes. En cette année 2031, les dérèglements climatiques se sont établis à terme et cela dresse, pour le roman de Dubois, un paysage anxiogène. Paul, le personnage fétiche de l'auteur, solitaire et mélancolique comme il se doit, a envers son père un tel ressentiment qu'il abat son corps déjà inanimé dans une morgue à Toulouse. Un juge le condamnera à un an de prison avec sursis et obligation de suivre une thérapie pendant cette année. C'est donc en suivant le cours des séances mensuelles de Paul avec le docteur Guzman qui, par ailleurs, souffre de conjonctivochalasis qui fait pleurer sans répit son œil droit, que s'étalent l'histoire, la vie et les épanchements du principal intéressé. On reconnaît la plume de l'auteur qui, dans ce registre psychanalytique, se permet des digressions, des parenthèses et des écarts toujours invitants. Et les thèmes inhérents à l'œuvre de Dubois, le rapport au père, la mort et la perte, s'inscrivent encore avec un soupçon d'ironie dans ce roman qu'on pourrait qualifier de tragi-comique. 

[...] la justice des hommes ressemble au Saint-Laurent, ce fleuve inexorable qui marche et avance à pas lents. [J.P.D.] 

Il était une aberration mathématique, un barbarisme de calcul, un dénombrement surnuméraire. [J.P.D.] 

Par principe j’évite de rentrer dans les églises, mais passer devant celle-ci, regarder les emboîtements de son existence, les approximations des hommes, m’assouplit toujours l’humeur. [J.P.D.] 

2032. Généralement, je fais cela le soir du premier de l’an. Un examen rituel des propriétés du nombre de l’année. Cette fois je procède avec quarante-huit jours de retard. C’est la première fois. La première fois aussi qu’une année me déçoit autant. 2032 n’est pas un nombre premier, ni un nombre de Fibonacci, ni de Bell, ni de Catalan, ce n’est pas une factorielle, ni un nombre régulier, ni parfait, ni polygonal. L’année possède cinq facteurs premiers et dix diviseurs positifs. Ses moyennes : arithmétique : 396,8 / géométrique : 45,077710678339 / harmonique : 5,1209677419355. Je ne peux rien de plus pour lui. C’est un nombre ingrat voué à finir en poussière dans les caves du temps. [J.P.D.]

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Le cas Sneijder 

10/01/2012

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Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

03/11/2019

Dubois

Jean-Paul

Une vie française 

02/08/2014


 

mercredi 4 septembre 2024

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux - Robert Bober

Si je préfère de beaucoup l’autobus au métro – et je choisis alors une place sur la plate-forme –, c’est encore à pied que j’aime le mieux me déplacer. [R.B.]

De Robert Bober, je ne savais que peu de choses, qu'il avait été un collaborateur de Perec dans le projet de Récits d'Ellis Island, qu'il avait été réalisateur au cinéma et, au détour d'un balado de France-Culture, j'ai pu découvrir quelques-unes de ses lectures (Dans la bibliothèque de Robert Bober). Le hasard aura fait que le premier roman de Bober que je lise soit On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. Et que cette lecture suive de près celle de Le nom sur le mur d'Hervé Le Tellier. En fait, il s'est présenté, entre ses deux lectures successives, un effet de résonance que j'aime bien déceler. Le Tellier évoque Henri-Pierre Roché car ce dernier aurait, en 1941, amorcé l'écriture de Jules et Jim, le roman dont Truffaut aura fait plus tard l'adaptation, à Dieulefit dans la Drôme où André Chaix perdra la vie en 1944. Le roman de Bober se déroule à une autre époque, au début des années soixante, et il s'ouvre sur l'opportunité qu'a Bernard, le narrateur, de faire de la figuration dans le prochain film de Truffaut, Jules et Jim. Il n'en fallait pas plus, je devrai placer le roman de Roché dans ma liste de livres à lire et le film de Truffaut dans celles des films à revoir.

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux nous guide dans les rues de ce Paris des années soixante, mais aussi dans les souvenirs du narrateur, dans ses découvertes au hasard de conversations, dans la nostalgie d'un passé révolu, d'un passé qui hésite à se dévoiler, dans l’histoire qui émerge parfois de l’oubli. Par certains aspects et quelques thèmes, cette écriture rappelle celle de Patrick Modiano et, quant à moi, cela n'est pas pour déplaire. Voilà un roman à lire en ayant en tête les photographies de Doisneau et en musique de fond un classique de jazz manouche. 

« Que dois-je devenir ? — Un curieux. — Ce n’est pas un métier. — Ce n’est pas encore un métier. Voyagez, écrivez, apprenez à vivre partout. L’avenir est au curieux de profession. » [Extrait de Jules et Jim

C'est toujours beau, la poésie. Un jour, j'ai compris que je lui devais tout. Parce qu'avec la poésie, on peut tout dire. Il suffit de prendre rendez-vous. [R.B.] 

dimanche 1 septembre 2024

Le nom sur le mur - Hervé Le Tellier

Je cherchais une « maison natale ». [H.L.T.]

Le narrateur, l’alter ego de l’auteur, se met à la recherche d’une maison dans la Drôme. Sur le crépi d’un mur de la maison qui l’accueille, un nom, celui d’André Chaix né en 1924, mort en 1944. Voilà l’amorce de ce roman en forme d’enquête, une incursion dans la brève vie du maquisard qu’aura été André Chaix, militant des Forces françaises de l'intérieur. Voilà une reconstitution, à l'aide de quelques photos, témoignages, menus objets et extraits de journaux, du parcours d'André, de sa relation avec Simone qui devait l'accompagner au cinéma, de son engagement, jusqu'aux mouvements militaires qui causeront sa mort. C'est, sans être une biographie historique ni un essai, l'évocation d'un temps, et l'auteur se permet de transmettre ses sentiments, ses craintes et ses colères face à l'horreur de cette période. Le nom sur le mur est un récit respectueux et Le Tellier réussit à provoquer en nous l'émotion qu'il a pu ressentir lors de cette enquête et à la remémoration des souvenirs qui en émergent. 

Quand un événement fait basculer notre existence, c'est souvent des années plus tard qu'on en prend la mesure. J'ai été éjecté de l'enfance par un film, Nuit et brouillard d'Alain Resnais, vu au ciné-club du lycée. Les images de ces monceaux de cadavres charriés dans des fosses par des bulldozers m'interdisaient soudain l'insouciance. J'avais douze ans et je n'étais plus que questions et colère. J'ai trouvé certaines réponses. La colère, la rage, même, ne sont jamais retombées. Il est bon qu'elles restent intactes. [H.L.T.]

On connaît, de l'autre côté du Rhône, en Haute-Loire, Le Chambon-sur-Lignon, autre bourg de trois milliers d'âmes [...], et les époux Trocmé, fondateurs de « l'école nouvelle cévenole » : le réseau informel du pasteur Trocmé accueillit et cacha plus de trois mille réfugiés, dont un tiers de Juifs. Parmi eux, il y eut l'écrivain André Chouraqui, l'historien Léon Poliakov, et le futur génie mathématique Alexandre Grothendieck, dont le hasard a voulu que je croise le chemin trente ans plus tard, lorsque j'avais moi aussi dix-sept ans. [H.L.T.]

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Esthétique de l’Oulipo

27/10/2023

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17/11/2023

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L’anomalie

07/11/2020

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Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable

17/12/2023


 

mercredi 28 août 2024

Parlons philosophie - Normand Baillargeon

Au printemps 2024, Normand Baillargeon regroupait un ensemble d'entretiens qu'il avait mené entre 1994 et 2010 auprès de figures marquantes de la philosophie et de la pensée contemporaine, principalement anglo-saxonne. L'auteur y voyait l'occasion de faire connaître des œuvres, des idées, qui ont participé aux réflexions sur la philosophie analytique, sur l'éthique et la politique, sur la pensée critique et, de façon générale, sur la société. Si certaines entrevues me sont apparues un peu trop spécialisées pour quelqu'un qui n'est pas du domaine, la plupart étaient accessibles et ouvraient la porte à d'autres questions, d'autres curiosités, qui, j'imagine, pourraient trouver réponse dans les divers textes placés en bibliographie après chacune des entrevues. Je connaissais quelques noms parmi les intervenants rencontrés par Normand Baillargeon, mais pour plusieurs, ce fut une première rencontre, peut-être un peu brève, mais suffisante pour prétendre susciter de prochaines lectures. 

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Heureux sans dieu 

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Normand

L’arche de Socrate, petit bestiaire philosophique

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Baillargeon

Normand

Légendes pédagogiques : l’autodéfense intellectuelle en éducation 

09/05/2015

Baillargeon

Normand

Liliane est au lycée 

03/08/2014




lundi 29 juillet 2024

La disparition d'Hervé Snout - Olivier Bordaçarre

De Gabin, dont on venait de fêter le quatorzième anniversaire, Nadine, sa mère, disait qu’il était un beau-jeune-homme-maintenant, et elle lui resservait une part de pâté à la viande avec des patates rissolées comme il les aimait, et elle lui arrangeait son lit chaque matin après avoir ouvert la fenêtre pour aérer un peu, et elle venait déposer un baiser sur ses cheveux blonds quand il était enfoui dans le gros fauteuil de fourrure synthétique devant un épisode de Plus belle la vie, tandis qu’Alain, son père, moins démonstratif, prouvait son amour à son fils en dirigeant des stages réparation de scooter des dimanches entiers ou en lui offrant une vraie canne à pêche professionnelle. [O.B.]

Hervé Snout est directeur d'abattoir. On le connaitra par sa famille un brin dysfonctionnelle, mais la famille d'un directeur d'abattoir peut elle ne pas présenter de trouble? On le connaitra par ses agissements dans les jours qui ont précédé sa disparition. On le connaitra par son inquiétante relation avec son personnel. On le connaitra par les yeux de son fils Eddy, brutal et plein de certitudes. On le connaitra par les contestations adolescentes de sa fille. On connaitra les aléas de son couple avec Odile dont « les rondeurs harmonieuses [...] ne sont pas sans générer de franches convoitises, tant de la part des hommes que des femmes» Et puis, il y a une bascule qui fait tourner ce roman social en un roman noir. Il y a cette disparition dont la résolution s'incarne dans une scène indescriptible et, entrainé par l'auteur, on se voit inscrit dans une tourmente où les différences de classe, l'absurdité du travail en usine, les écarts à la moralité et à l'éthique nous propulsent ailleurs, dans une abominable réalité.

Mais ce roman qui porte un regard tragique et pessimiste sur la société use de procédés littéraires que n'aurait pas reniés Georges Perec que l'auteur remercie pour tout, et, « en modeste hommage, ce roman ne comporte pas un seul w !». Perec inspire les descriptions minutieuses des lieux, la cartographie avec moult détails des scènes et des tableaux, le portrait topographique du décor. Et puis, il s'insère au gré de la narration dans des allusions aucunement cryptées.

Voilà donc une fable sociale, noire et saignante qui demeure dans mes lectures de choix des derniers temps.

La cuisine est à la fois cabine de pilotage, salle des machines et pièce de vie collective. Théâtre des amours et des conflits familiaux, elle est au cœur des existences, elle les jalonne, elle façonne l’architecture des journées, leur début, leur milieu, leur fin et, par ses fonctions élémentaires, l’alimentaire et le social, elle inscrit ses utilisateurs dans une norme rassurante parce que universelle. [O.B.]

D’autres décorations sont suspendues à des crochets : un attrape-rêves (Tara les note tous dans un cahier qu’elle appelle sa boutique obscure), un mobile de cailloux, une peluche de fête foraine, trois tirages papier de photographies d’elle avec sa copine Leïla retenus par des minipinces à linge le long d’un bout de ficelle. [O.B.] 

Nadine et Alain, pense aux parties de pêche avec Gabin, pense à ton petit vélo à guidon chromé au fond de la cour.  [O.B.]

Il est dans les 18 h 30 quand la vieille dame descend du bus et s’engage dans la rue Simon Crubelier.  [O.B.]

Natacha et les choses ; Natacha à la terrasse de la Clôture. [...] Natacha dans une espèce d’espace ; Natacha la Revenante ; Je me souviens de Natacha. [O.B.] 


vendredi 12 juillet 2024

Pouvoirs de la lecture - Peter Szendy

Lorsque je lis, une voix en moi m’intime de lire (« lis ! »), tandis qu’une autre s’exécute, prêtant sa voix à celle du texte, comme le faisaient les antiques esclaves lecteurs que l’on rencontre notamment chez Platon. [P.S.]

J'avais pu écouter l'auteur en entrevue sur France-Culture. Sa référence à une petite voix que certains entendent dans leur tête alors qu'ils lisent, une petite voix qui leur fait, en quelque sorte, la lecture, m'avait intrigué parce que je suis de ceux qui perçoivent cette subvocalisation. Elle m'accompagne dans mes lectures. J'étais donc curieux de lire cet essai qui en dresse l'histoire, de la lecture publique à voix haute, réalisée parfois par un esclave, à une lecture pour soi où il n'y a que le lecteur qui perçoit cette voix intérieure. L'auteur appuie ses analyses et sa démarche sur des extraits de textes marquants, des textes grecs, Platon en tête, aux œuvres plus récentes, celles de Sade, de Flaubert ou de Calvino, notamment. De la voix intérieure qui fait la lecture, il passe à la voix du texte qui s'adresse au lecteur (ou à la lectrice). On aura reconnu Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino, un archétype de l'adresse au lecteur bien que d'autres, avant Calvino, aient utilisé ce processus d'écriture, qu'on pense, à titre d'exemple, à Laurence Sterne dans La vie et les opinions de Tristram Shandy Et puis, il y a la voix impérative qui nous dit : Lis! ou Ne lis pas! Entre l'auteur, le lecteur et l'auditeur, le processus de la lecture apparait plus multiforme qu'on aurait pu le concevoir et Peter Szendy s'est donné comme mandat de soulever quelques paradoxes de ce mécanisme qui fait intervenir plus d'une voix, plus d'un objectif, plus d'un résultat. J'ai aimé ce parcours dans le monde insoupçonné de la lecture, même si cela demeure une marche ardue à travers les raisonnements et les références de l'auteur. 

mercredi 17 avril 2024

La promenade - Robert Walser

Un matin, l'envie me prenant de faire une promenade, je mis le chapeau sur la tête et, en courant, quittai le cabinet de travail ou de fantasmagorie pour dévaler l'escalier et me précipiter dans la rue. [R.W.]

Je ne connaissais Robert Walser que de nom sans savoir le situer sur la toile littéraire. Puis, au cœur de ma lecture d'une délicieuse biographie de Franz Kafka, son nom revient associé à celui de Kafka bien que sa légèreté soit assez distante du style du premier. Le rapprochement a été assez intrigant pour me diriger vers cette lecture de La promenade. Si je peux saisir le lien que certains peuvent faire, surtout avec L'Amérique ou le disparu, j'ai surtout reconnu une influence du maître de la digression qu'est Laurence Sterne comme dans La vie et les opinions de Tristram Shandy. En effet, dans cette promenade à laquelle Walser nous convie comme lecteur et accompagnateur de sa déambulation, le pas de côté, la digression, l'aparté, ont toutes leur place. De la librairie au tailleur, de l'urbanité au rural, du percepteur à la boulangerie, en croisant des dames, ou en acceptant une invitation à déjeuner, le narrateur ne se gène pas pour nous interpeler et nous entraîner dans des considérations parallèles. Douce lecture, s'il en est. 

Je voudrai bien croiser à nouveau cet auteur suisse.

Tandis que tu prends la peine, cher lecteur, d’avancer à pas comptés, en compagnie de l’inventeur et scripteur de ces lignes, dans le bon air clair du matin, sans hâte ni précipitation, mais de préférence d’une façon tout à fait propre, bonhomme, objective, posée, lisse et tranquille, voilà que nous arrivons tous deux devant la boulangerie déjà signalée, avec sa prétentieuse inscription dorée, et nous nous arrêtons, atterrés, enclins que nous sommes tant à l’affliction profonde qu’à la stupeur sincère devant cette grossière esbroufe et le gâchis qu’elle entraîne du même coup aux dépens d’un paysage qui nous est des plus chers. [R.W.] 

Est-ce que jamais auteur de province ou de la capitale fut, envers le cercle de ses lecteurs, plus timide et plus courtois ? Je tends à croire que non, et c’est donc avec une parfaite bonne conscience que je poursuis mes récits et mon bavardage. [R.W.] 

vendredi 12 avril 2024

Le Sortilège Modiano - Nicolas Bocq

Sa silhouette sombre s'agitait dans la salle des pas perdus, ses chaussures résonnaient en un écho sec qui permit à la petite dame au chignon de le repérer instantanément. [N.B.]

Marc Viker est un avocat de renom, il est atteint, peut-être comme l'auteur, d'un sortilège qui fait qu'il ne peut se départir du Quarto que Gallimard a dédié à Patrick Modiano, il le lit et le relit, il en parcourt des extraits, il les dit à voix haute, il s'en imprègne. Mais, plus que cela, les circonstances de la vie le replongent, comme les protagonistes créés par Modiano, dans son histoire de vie, dans ses origines, dans un passé fantomatique où se projetaient les yeux d'une adolescente, où il vivait des sentiments troubles. Ces réminiscences d'un temps révolu viennent hanter son présent et, comme à la lecture de Modiano, on ne peut que s'identifier au personnage et revivre, nous aussi, des segments de notre histoire et ressentir un peu de ce tumulte intérieur. Je l'ai lu comme un hommage à cet auteur de la mémoire et du souvenir qu'est Patrick Modiano, un hommage réussi. 

De pouvoir discuter ainsi avec une image qui circulait dans sa tête depuis plus de quarante ans, le perturbait. [N.B.]



mercredi 17 janvier 2024

L'échiquier - Jean-Philippe Toussaint

J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement. [J.P.T.]

Après la lecture d'Échecs, la traduction que Jean-Philippe Toussaint nous offrait de la nouvelle de Stefan Zweig, il était de mise de me tourner vers L'échiquier. En effet, pendant que la pandémie faisait rage, Toussaint s'est consacré à la traduction, mais aussi, en parallèle, à la rédaction d'un journal s'étalant sur autant de chapitres que l'échiquier comporte de cases. Il y notera ses réflexions du moment sur la traduction, ses souvenirs du monde des échecs, de ses premières parties avec son père qui refusait de perdre jusqu'à sa relation avec un joueur de haut niveau, des évocations de son enfance, des lieux issus de son passé, des silhouettes furtives, des pensées concernant l'écriture, mais aussi l'histoire d'une vocation où il découvre au-delà de l'échiquier comment il est devenu écrivain.

Si les 64 cases de ce projet ne présentent pas toutes le même intérêt, l'ensemble de L'échiquier demeure une œuvre hybride autobiographique d'approche simple et accueillante. On aime y retrouver la touche d'humour retenu propre à l'auteur.
J’avance, pas à pas, dans ma traduction du Joueur d’échecs. Depuis quelques jours, à ce projet de traduction est venu se greffer un autre projet, et même deux autres projets, qui s’emboîtent les uns dans les autres, comme des poupées gigognes. Ce n’est plus un projet que j’ai, mais deux, mais trois, qui sont complémentaires, qui s’enrichissent et se répondent. Je vais traduire Le Joueur d’échecs et j’en profiterai pour mener à bien un projet auquel je pense depuis longtemps, consacrer un essai à la traduction. Et, à ces deux projets, la traduction et l’essai, s’en ajoutera un troisième, un livre, une sorte de journal de bord que je tiendrai en parallèle, à la fois témoignage sur la traduction et méditation sur l’écriture, glose et flânerie, exégèse et cueillette, qui m’accompagnera tout au long du chemin. Voilà, j’ai défini le projet, il sera tricéphale. Je suis paré, le confinement peut commencer. [J.P.T.]

J’ignorais qu’écrire des livres, au-delà du plaisir que j’y prendrais, serait un moyen de me préserver des offenses de la vie. Car si j’écris, si un jour je me suis mis à écrire, c’est peut-être précisément pour ériger une défense contre les arêtes coupantes du réel. [J.P.T.]

L’écriture romanesque est une méthode de connaissance de soi. [J.P.T.]

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