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lundi 17 mars 2025

Mauvaises méthodes pour bonnes lectures - Eduardo Berti

Commencez à lire un livre. Avant d'arriver à la moitié (à la page 130, par exemple), perdez-le. Trouvez-en un autre. Faites comme si c'était le même livre, allez à la page 130 et lisez de là jusqu'à la fin. Vous devrez peut-être faire un certain nombre d'adaptations : comprendre que Marie s'appelle maintenant Tania, que la ville rurale du Texas est maintenant un quartier de Novossibirsk, que monsieur Wilkinson n'a plus de poulets parce que Mme Ivanov et les deux chèvres de Mme Ivanov ont largement pris leur place. Des situations de ce genre. Dites-vous que c'est à ça que servent les bons lecteurs. [E.B.]

D'Eduardo Berti, j'avais lu Un père étranger et cela avait suffi pour que je veuille à nouveau croiser son œuvre, d'autant plus que j'avais alors appris que, depuis 2014, il avait rejoint la bande des oulipiens. Mauvaises méthodes pour bonnes lectures s'inscrit tout à fait dans cet esprit de potentialités des lectures, dans un projet d'éclatement des méthodes traditionnelles de lectures pour s'engager allègrement dans un univers ludique qui donne à la lecture un nouveau vernis, une série d'ouvertures vers le jeu, vers l'amusement, le sourire et même le rire en parcourant les pages d'un ou plusieurs livres. Dans son Argentine natale, où sa formation scolaire s'est réalisée sous la dictature, le livre et son contenu devenaient un objet sérieux et dangereux. Dans cet esprit, imaginer une série de méthodes pour jouer avec le livre et la lecture constitue un pas vers la libération. Les détournements que propose Eduardo Berti dans cet opuscule sont autant de voies vers le loufoque, le farfelu et le déconcertant, mais cela nous pousse dans des tranchées où la réflexion sur notre pratique de la lecture devient incontournable. J'ai adoré m'aventurer ainsi avec Berti dans cet espace de lecture créative.

Un hapax est un mot qui n'apparaît qu'une seule fois dans un livre spécifique, soit dans l'ensemble de l'œuvre d'un auteur. [E.B.] 


jeudi 27 février 2025

Petites équivoques sans importance - Antonio Tabucchi

Quand l'huissier a dit : levez-vous, la cour !, et que pendant un instant le silence s'est fait dans la salle, précisément à ce moment-là, quand Federico a débouché par la petite porte en guidant le bref cortège, avec sa toge et ses cheveux déjà presque blancs, m'est venu en tête Strada anfosa. [A.T.]

J'ai enfin découvert par cette lecture un écrivain que je voulais lire depuis longtemps : Antonio Tabucchi. Cet auteur italien a contribué à faire connaître l'œuvre du poète portugais Fernando Pessoa. J'ai commencé par un recueil de nouvelles, cela m'a permis d'apprécier son écriture raffinée et son style élégant dans des formats courts.

L'expérience s'est révélée positive. Le livre présente une série de tranches de vie où le hasard, le destin ou la fatalité semblent s'immiscer. Ces éléments créent des univers autres et des moments de bascule qui incitent à la réflexion. On cherche un message ou une issue, mais le sens se dérobe et l'ambiguïté l'emporte.

L'expérience me convainc d'explorer davantage l'œuvre de Tabucchi.

Elle pense à quel point l’écriture est mensongère, avec son implacable arrogance faites de mots définis, de verbes, d’adjectifs qui emprisonnent les choses, qui les saisissent dans une fixité vitreuse, comme une libellule prise dans une pierre depuis des siècles et qui maintient l’apparence d’une libellule mais n’est plus une libellule. Telle est l’écriture, qui a la capacité d’éloigner de plusieurs siècles le présent et le passé proche : en les fixant. [Chambres, A.T.]

dimanche 23 février 2025

Les frères Lehman - Stefano Massini

Nous cheminons sur cette crête escarpée où l’Histoire se mue en Légende et où les Faits divers s’évaporent dans le Mythe. [S.M.]
J'ai lu Les frères Lehman à l'aimable suggestion d'un libraire qui me le présentait telle une œuvre particulière, mais essentielle. Le sujet de ce roman ne m'aurait pas attiré a priori. Il s'agit de l'évolution de l'économie capitaliste abordée via l'exemple du parcours atypique des frères Lehman depuis l'arrivée de Heyum Lehmann à New York en 1844, la venue de ses frères, leur premier magasin en Alabama, l'intérêt pour le coton, jusqu'à la transformation de l'entreprise qui migre vers New York et qui se définit de plus en plus comme une banque tout en en établissant les normes, qui, au Temple, tente de progresser résolument vers les bancs qui se trouvent à l'avant, jusqu'à une faillite en 2008 dans le cadre de la crise des subprimes. Voici donc un objet qui aurait pu être traité dans un essai, mais Stefano Massini, un homme de théâtre, l'a abordé comme un roman, un roman qu'il n'a pas hésité à écrire dans son ensemble en vers libres. On comprend donc la caractéristique distinctive de cette œuvre. 

Le flot des vers nous transporte à travers cette saga familiale hors du commun en mettant en valeur des personnages colorés, des êtres marqués de leur religion, des tractations de tout ordre, une histoire de leur terre d'accueil, la Guerre de Sécession, l'évolution des marchés, les occasions de transformation pour mieux ancrer l'entreprise dans son époque et la rendre incontournable. Les frères Lehman, c'est tout cela, une histoire captivante, mais aussi un humour qui suscitera parfois des éclats de rire nerveux ou une indignation profonde. Cela a été une lecture parfois difficile, qui a pu, l'espace de quelques pages, devenir monotone, mais au moment de tourner la dernière page, on réalise que Stefano Massini nous a entraînés dans un parcours formidable.

jeudi 23 janvier 2025

Petite-Ville - Mélikah Abdelmoumen

Ils ont trouvé Simon dans le parc de la Paix hier au petit matin, derrière le bosquet juste sous la statue. [M.A.]

Mia et Simon sont deux orphelins nés dans la Zone, un quartier défavorisé, une banlieue pauvre, une espèce de bidonville à la périphérie de Petite-Ville. Adoptés par une travailleuse sociale, Annick, ils ont pu imaginer des destins autres que celui qui devait être le leur. Simon s'est propulsé vers le journalisme engagé. Il dénonce les injustices et les discours politiques qui visent à ce que l'ordre social demeure inchangé. Il aspire à offrir une tribune aux personnes marginalisées et rejetées. Il s'oppose particulièrement à un commentateur populaire, propagateur de haine et surmédiatisé, Michel Renaud. 

Ce polar social et politique, qui se veut aussi une critique militante de la société s'ouvre sur l'assassinat de Simon. Son cadavre est découvert dans un parc, là où, des années plus tôt, se trouvait son quartier natal. On suivra le développement de l'intrigue en accompagnant les bouleversements et les angoisses que cela fait vivre à Mia. Mélikah Abdelmoumen réussit par cette fiction enlevante à soulever des questionnements, à provoquer la réflexion et à amorcer un débat. Le roman, le polar en particulier, se révèle être un instrument particulièrement efficace pour rendre l'atmosphère tendue des relations sociales de nos sociétés. L'écrivaine a créé pour l'occasion des extraits de documents d'archives, insufflant ainsi une respiration qui rend le portrait encore plus saisissant de réalisme. 

Voilà donc un roman percutant qui pose les bases d'une réflexion sur l'avenir d'une société dominée par un système corrompu qui se nourrit de désinformation, de populisme et d'intolérance.

Personne n’est pauvre par choix, n’en déplaise aux polémistes de coin de comptoir qui n’ont manqué de rien. [M.A.] 

Écrire, nommer le monde et parfois l’inventer pour dire ce qu’il pourrait avoir de plus beau, ou combien il pourrait devenir laid, si nous ne faisons pas attention. C’est la plus belle chose au monde. Je pense que rien ne m’aide à vivre autant que ça. [M.A.] 

mardi 14 janvier 2025

Le gentleman de velours : Vie et presque mort d'Erik Satie - Richard Skinner

Je suis mort hier. J’avais 59 ans, un âge que beaucoup estiment vieux, mais pas moi. [R.S.]

Voici une manière unique d'aborder une fiction biographique! Elle commence juste après le décès du principal intéressé. Erik Satie, puisqu'il s'agit bien de lui qui, avec ses sept exemplaires du même costume de velours moutarde, a été surnommé Velvet Gentleman à une certaine époque. Erik Satie, donc, se retrouve dans un environnement hors de la réalité qui imite les principales caractéristiques d'une salle d'attente d'une gare de chemin de fer délabrée. Dans ce lieu atemporel fréquenté par des personnes dont le décès, comme le sien, est récent, il doit s'atteler à une difficile tâche, choisir un souvenir de sa vie qui deviendra le seul souvenir qu'il aura le droit d'emporter dans l'au-delà. Il aura sept jours pour déterminer ce souvenir. Ce sont ces sept jours qui font l'objet de cette inhabituelle autobiographie romancée.

Les réminiscences de Satie nous permettront ainsi de rencontrer des personnalités marquantes de cette croisée des dix-neuvième et vingtième siècles, Claude Debussy, Maurice Ravel, Jean Cocteau, André Breton, Pablo Picasso, les dadaïstes, ou encore d'écouter les oeuvres initiatrices du jazz de Jelly Roll Morton avec Strawinsky. Nous pourrons également suivre le parcours singulier et étrange de ce personnage teinté d'humour qui était à la fois artiste de cabaret et compositeur d'une originalité sans compromis. Voilà une lecture agréable pour se plonger dans une époque culturellement effervescente.

Le piano, comme l’argent, n’est agréable qu’à celui qui en touche. [R.S.]

Dès le premier morceau, que Sousa a annoncé sous le titre de At A Georgia Campmeeting, je suis resté sidéré. Sousa a expliqué qu’il s’agissait d’un cakewalk, c’est-à-dire, à l’origine, un concours de parodies de leurs maîtres par les esclaves du Sud, à l’issue duquel le meilleur gagnait un gâteau. J’ai écouté, fasciné, son orchestre attaquer Smoky Mokes, Hunky Dory & Bunch O’ Blackberries. [R.S.]


mercredi 4 décembre 2024

Rue Escalei - Laura Nicolae

En cet après-midi d'été 1975, une exhalaison étrange se déployait dans la rue Escalei. [L.N.]

Rue Escalei se déploie autour d'une enquête concernant un chien mort et son maître blessé et sans conscience retrouvés dans un champ à quelques pas de sa demeure dans le quartier Andronache au cœur de Bucarest. Mais, cette rue de la plus grande ville de Roumanie dans les années soixante-dix est surtout le décor d'une multiplicité d'histoires humaines, de récits de vie, de souvenirs d'un autre temps, de relations intimes ou distantes entre ses habitants du moment et ceux du passé. Entre un cordonnier retraité, ses petits-enfants en recherche d'aventures, une voyante, un aviateur ancien combattant, une grand-mère pratiquante, le conducteur de tramway, une sorcière, un apiculteur et des enquêteurs pas toujours habiles, c'est toute une trame de la vie actuelle et passée d'un territoire qui semble parfois hors du temps qui se joue entre les pages de ce texte qui, à l'image de La vie mode d'emploi, aurait pu porter le sous-titre Romans (au pluriel).

J'ai plongé dans ce premier roman et j'ai aimé écouter le jeune Andrei lire des passages de l'histoire de Bucarest à l'aviateur Stanescu, une lecture qui révèle un autre volet de la structure des liens qui unissent ces attachants personnages. 

mardi 19 novembre 2024

Roman de gare - Philibert Humm

Mon banquier ne parle que d'argent. [P.H.]

Philibert Humm, dont je n'avais encore lu aucun roman, se met en scène dans cette épopée qui débute par une discussion autour de ballons de muscadet. Pour briser le train-train, il annonce tout de go qu'il repart à l'aventure et ses comparses lui suggèrent de devenir hobo. Ce Roman de gare s'articule ainsi comme une revisitation des romans du rail américains, tel Les vagabonds du rail de London, et une transposition dans l'univers de la SNCF avec tout l'humour, l'ironie et le regard moqueur sur la société que cela suppose. Ainsi, c'est avec son pote Simon, qu'il amorcera son aventure en se dotant d'un baluchon et d'une naïveté désarmante. Son objectif ? Repérer un convoi de marchandises qui peut les accueillir clandestinement pour amorcer un parcours ferroviaire français digne d'une odyssée. C'est savoureux. Philibert Humm manie la plume avec allégresse et on ne se lasse pas de ses notes en bas de page loufoques et de ses remarques saugrenues. À lire entre deux arrêts livresques plus sérieux.

Ils n’étaient pas simplement libres ou anticonformistes. Ils étaient l’anticonformisme et la liberté. Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous. [P.H.]

Nous décidâmes de longer la grille. Toute grille a sa brèche, comme tout verrou sa faiblesse, toute rivière son gué, toute montagne son col, tout Achille son talon et toute analogie ses limites. [P.H.]

Il n’y a pas d’homme plus courageux que celui qui sait s’arrêter après une cacahuète, dit le philosophe, et je ne suis pas cet homme. [P.H.]

lundi 4 novembre 2024

L'appareil-photo - Jean-Philippe Toussaint

C’est à peu près à la même époque de ma vie, vie calme où d’ordinaire rien n’advenait, que dans mon horizon immédiat coïncidèrent deux événements qui, pris séparément, ne présentaient guère d’intérêt, et qui, considérés ensemble, n’avaient malheureusement aucun rapport entre eux. [J.P.T.]

Selon ses propres termes, Jean-Philippe Toussaint s’engage dans une forme d’écriture qu'il qualifie de littérature infinitésimaliste. On trouve dans ses romans les deux extrêmes, de l'infiniment petit, de l'infraordinaire dirait Perec, du banal, des descriptions minutieuses d'actions insignifiantes dans un décor minimaliste; mais aussi, de l'infiniment grand par la réflexion que la lecture génère, par une écriture quasi philosophique posant un regard analytique sur la pensée, s'ouvrant sur la mélancolie du passage du temps, exprimant dans un langage presque poétique toute l'angoisse du moment. J'aime l'écriture de Jean-Philippe Toussaint, j'aime me laisser porter par ses élans volubiles dans des parcours se situant entre le réel et l'imaginaire sans savoir où cela me mènera. Je termine un roman de Toussaint en ayant le sentiment d'avoir réalisé un beau voyage.

[...] mieux vaut laisser la pensée vaquer en paix à ses sereines occupations et, faisant mine de s’en désintéresser, se laisser doucement bercer par son murmure pour tendre sans bruit vers la connaissance de ce qui est. [J.P.T.]

Car qu’est-ce que penser — si ce n’est à autre chose ? C’est le cours qui est beau, oui, c’est le cours, et son murmure qui chemine hors du boucan du monde.  [J.P.T.]

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Jean-Philippe

L’échiquier

17/01/2024

Toussaint

Jean-Philippe

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Jean-Philippe

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jeudi 24 octobre 2024

Le retour de Bouvard et Pécuchet - Frédéric Berthet

Dans le silence, les lourdes portes du siècle et, avec elles, celles plus lourdes encore du second millénaire frémirent sur leurs gonds. [F.B.]

J'avais été séduit par Bouvard et Pécuchet dans sa version originale, ce projet inachevé, mais magistral de Gustave Flaubert. Voilà que le hasard de mes lectures m'amène à découvrir qu'en 1996 était parue une reprise des aventures des deux bonshommes sous la plume de Frédéric Berthet. Une réédition a été réalisée en 2014. Berthet inscrit Bouvard et Pécuchet dans un espace-temps qui se trouve à cent ans de leur continuum spatiotemporel d'origine. Et cela fonctionne. On retrouve leur enthousiasme de néophytes pour appréhender le réel du Chavignoles de 1980 en y diffusant une radiopirate, en explorant les dédales de la bourse, en s'entraînant à devenir des décideurs et des entrepreneurs, en se tournant vers la politique ou l'art d'écrire. Ils envisagent de revenir à Paris, découvrent le Minitel et le nouveau cosmopolitisme qu'il génère, se plongent dans des activités d'un centre de fitness et goûtent à tout ce qui fait le monde des années 80. Le défi était de taille, Frédéric Berthet l'a relevé de belle façon. Il a su trouver le ton juste pour faire de ce retour nettement plus qu'un pastiche.

B&P sont dans un présent perpétuel. [F.B.] 

Comme le livre n’était pas tout à fait terminé, je me suis dit que ces deux personnages n’étaient pas tout à fait morts. [F.B.] 

La Bêtise me suffoque de plus en plus, ce qui est imbécile, car autant vaut s’indigner contre la pluie !  [G.F.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Flaubert

Gustave

Bouvard et Pécuchet 

28/03/2010


dimanche 6 octobre 2024

Le sentiment des crépuscules - Clémence Boulouque


Pourriez-vous m’arrêter ici, s’il vous plaît ?
— Bien sûr, Monsieur. Mais nous ne sommes pas encore sur Elsworthy Road.
— Je souhaiterais continuer à pied. J’ai besoin de marcher.
[C.B.]

Clémence Boulouque est écrivaine, journaliste et critique littéraire. Je ne la connaissais pas avant d'aborder ce roman historique qui, dans la forme et l'argument, représente un défi tout à fait remarquable. L'auteure a fait appel à une somme impressionnante de documents, d'archives, d'échanges épistolaires pour créer tout l'univers des discussions qui surviennent dans une rencontre qui fait intervenir Stefan Zweig, Salvador Dali, Gala et Edward James lors d'une visite à la résidence de Sigmund Freud et de sa fille Anna à Londres. Bien qu'on sache que des liens existaient entre ces personnages historiques et hors norme, il n'est pas établi qu'un tel entretien ait eu lieu à Londres en 1938. Mais, peu importe, voilà l'occasion pour des échanges savoureux, pour des évocations du passé de l'un et de l'autre, pour faire revivre les démons qui les tourmentent, pour exposer ce qui compte pour chacun d'eux, pour échanger sur leur statut de réfugiés ou sur les aléas d'une guerre à venir. Et, au travers ces discussions, Dali, mettant de l'avant son caractère fantasque, malgré la modération que tente de lui imposer Gala, insiste pour exposer à Freud sa méthode paranoïaque-critique.

Toute cette rencontre constitue un magnifique débat d'idées et Clémence Boulouque nous permet d'y être conviés.

Anna repense à la plaisanterie familiale sur ce grand-oncle, un commerçant qui parlait une multitude de langues, mais toutes en yiddish. [C.B.]

Les nazis sont aussi idiots que corruptibles, soupire Zweig. Tellement corrompus et imbéciles que la plupart d’entre nous sommes partis du principe que n’importe quelle personne sensée ne voterait jamais pour ce type d’individus. Que c’était l’histoire d’une saison de vulgarités et de tapageurs. Et c’est précisément à cause de cela que toute la tragédie a pu s’enclencher, à petite vitesse, sous nos yeux. [C.B.] 

— Vous allez beaucoup aimer, s’émoustille Dalí. Chez l’arrrrrière-petite-fille du marrrrquis de Sade, dit-il en roulant des consonnes et des yeux. [C.B.] 

L’Amérique est une erreur. Une erreur formidable, peut-être – néanmoins une erreur. [C.B.] 

 

mardi 1 octobre 2024

Flaubert à la Motte-Picquet - Laure Murat

Anvers. Le métro sort de terre, survole Barbès et les voies ferrées de la gare du Nord. [L.M.]

Ce texte de Laure Murat est hors norme. L'auteure, au hasard d'un déplacement dans le métro parisien, observe un homme qui semble noter dans un carnet une liste improbable de lectures. Ce n'est pas, comme elle l'a, de façon spontanée, présumé, une liste de lectures personnelles ou de lectures à venir. C'est plutôt une énumération des lectures de ses voisins de voyage dans le métro. Cela explique l'incongruité dans la suite observée et l'alternance surprenante des titres. Séduite par l'idée, Laure Murat décide de s'y mettre et de tenter de dresser une cartographie de la lecture souterraine. Il ne faut pas y voir une étude sociologique de la lecture qui se pratique dans les rames. C'est, à mon avis, plutôt, des chroniques sans prétention sur des observations de lectures au gré de déplacements sur les diverses lignes du métro parisien, mais aussi du métro de Los Angeles (l'auteure enseigne à Los Angeles) et de celui de New York. Au-delà des commentaires sur les lectures identifiées, on trouve des remarques sur les lecteurs eux-mêmes, sur les auteurs et sur la vie qui se déroule dans les entrailles du monde urbain. C'est court, amusant et cela donne l'idée d'observer plus attentivement les habitudes littéraires de mes covoyageurs quoique dans le contexte numérique d'aujourd'hui cela soit de plus en plus difficile.

[...] le tracé du mur des fermiers généraux, élevé à partir de 1784, barrière fiscale dont l’impopularité était résumée dans cet alexandrin célèbre : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »  [L.M.]

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vendredi 27 septembre 2024

Cette brume insensée - Enrique Vila-Matas

J’en étais arrivé à devenir un artiste citeur parce que précisément, très jeune, je n’arrivais pas en tant que lecteur à aller au-delà de la première ligne des livres que je m’apprêtais à lire. [E.V.M.]

Simon Schneider est artiste citeur, fournisseur de citations littéraires, il nourrit par ses perles repêchées dans la littérature du monde les ambitions littéraires de l'auteur distant, son jeune frère qui a quitté depuis longtemps la Catalogne pour devenir un écrivain caché dans la trame des rues de New York où il aura séduit par la publication de ses «romans rapides». Quelle est la contribution de Simon au succès de Rainer? Quelle part de celui-ci est attribuable au flux de citations bien senties transmises depuis la terre natale? L'auteur culte qu'est devenu Rainer se pare d'un anonymat opaque à la manière de Thomas Pynchon, mais sa manière est-elle si distincte? 

Simon raconte ces trois jours qui culminent avec sa rencontre inespérée avec l'auteur distant, trois jours de doutes et de questionnements sur son identité littéraire et celle de son frère, trois jours dans une brume insensée où la littérature, l'intertextualité et les citations jouent un rôle aussi prégnant que dans La vie mode d'emploi de Perec. 

La mise en abîme que représente ce roman fait en sorte qu'on accompagne l'auteur et le narrateur dans un jeu littéraire tout à fait jouissif.  

Caven concluait en disant qu’à l’intérieur de We Live in the Mind, on pouvait détecter la trace dans le monde de merveilleuses intuitions de Georges Perec qui déjà, en 1965, peu après avoir publié Les Choses, s’était montré d’un grand optimisme en disant que la littérature s’acheminait vers un art des citations qui serait forcément progressiste puisque l’artiste citeur prendrait à tout moment comme point de départ ce qui aurait représenté une réussite, une intéressante trouvaille pour nos prédécesseurs. [E.V.M.]

[...] il semblait stupide de jeter par-dessus bord les grandes trouvailles du passé, le vaste patrimoine de nos visions impromptues, de nos intuitions. Il était encore plus stupide de ne pas savoir s’approprier tout ce qui pouvait nous intéresser le plus dans le vaste répertoire que l’histoire de la littérature avait mis à notre disposition. [E.V.M.]

Je ne sus ou ne pus me débarrasser du soupçon que ce que j’avais vécu avec Siboney à cette occasion semblait avoir préalablement été écrit par Tóibín à son insu et pensai à tous les écrivains qui décrivent des scènes de vies de personnes réelles sans que celles-ci n’en sachent jamais rien et les écrivains encore moins. [E.V.M.] 

Un artiste citeur, pensai-je, doit savoir trouver dans les citations des solutions à tout. [E.V.M.] 

[...] je finis par renoncer parce que je tombai sous l’emprise de l’un de ces instants impromptus de tranquillité et de grande oisiveté où tout à coup la pensée se contente d’exister. [E.V.M.]

À propos de l’Introduction à l’art des citations, je lui dis qu’il suffirait de raconter comment avait évolué ma théorie sur la possibilité de construire des romans à trames intertextuelles opposées au fétichisme de l’originalité. [E.V.M.]

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mardi 24 septembre 2024

Peuple de verre - Catherine Leroux

L'extérieur n'est pas vraiment l'extérieur. [C.L.]

Dans ce futur pas si lointain, Sidonie est journaliste. Elle explore notamment le monde difficile des sans-abri, des « inlogés ». Dans les camps de fortune établis sur le territoire, des individus, des familles, des êtres sans ressources et des travailleurs à peine payés cherchent à survivre. Des disparitions mystérieuses semblent se produire, la journaliste tente de comprendre et de faire connaître ce fait qui nourrit la rumeur. Mais les circonstances du parcours personnel et professionnel de Sidonie, la controverse que suscitent ses reportages, l'opposition des pouvoirs l'entraînent vers l'errance et sa chute est totale. On la retrouve incarcérée dans une habitation ateliers pour les inlogés, un lieu qui, comme pour les asiles du passé, a pour finalité de placer à l'écart les êtres qui déparent ou dérangent la société. L'écriture directe de Catherine Leroux fait se fondre imagination et réalité et donne à cette quasi-dystopie un tour inquiétant. 

La force du déni a ceci d’intéressant : elle permet à une chose et son contraire d’exister côte à côte. [C.L.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Leroux

Catherine

L’avenir

24/01/2021

Leroux

Catherine

Madame Victoria

30/10/2017


 

dimanche 8 septembre 2024

L'origine des larmes - Jean-Paul Dubois

Il pleut tellement. Et depuis tant de temps. Des averses irréversibles qui semblent surgir de partout, la nuit comme le jour. [J.P.D.]

Il pleut beaucoup dans L'origine des larmes. En cette année 2031, les dérèglements climatiques se sont établis à terme et cela dresse, pour le roman de Dubois, un paysage anxiogène. Paul, le personnage fétiche de l'auteur, solitaire et mélancolique comme il se doit, a envers son père un tel ressentiment qu'il abat son corps déjà inanimé dans une morgue à Toulouse. Un juge le condamnera à un an de prison avec sursis et obligation de suivre une thérapie pendant cette année. C'est donc en suivant le cours des séances mensuelles de Paul avec le docteur Guzman qui, par ailleurs, souffre de conjonctivochalasis qui fait pleurer sans répit son œil droit, que s'étalent l'histoire, la vie et les épanchements du principal intéressé. On reconnaît la plume de l'auteur qui, dans ce registre psychanalytique, se permet des digressions, des parenthèses et des écarts toujours invitants. Et les thèmes inhérents à l'œuvre de Dubois, le rapport au père, la mort et la perte, s'inscrivent encore avec un soupçon d'ironie dans ce roman qu'on pourrait qualifier de tragi-comique. 

[...] la justice des hommes ressemble au Saint-Laurent, ce fleuve inexorable qui marche et avance à pas lents. [J.P.D.] 

Il était une aberration mathématique, un barbarisme de calcul, un dénombrement surnuméraire. [J.P.D.] 

Par principe j’évite de rentrer dans les églises, mais passer devant celle-ci, regarder les emboîtements de son existence, les approximations des hommes, m’assouplit toujours l’humeur. [J.P.D.] 

2032. Généralement, je fais cela le soir du premier de l’an. Un examen rituel des propriétés du nombre de l’année. Cette fois je procède avec quarante-huit jours de retard. C’est la première fois. La première fois aussi qu’une année me déçoit autant. 2032 n’est pas un nombre premier, ni un nombre de Fibonacci, ni de Bell, ni de Catalan, ce n’est pas une factorielle, ni un nombre régulier, ni parfait, ni polygonal. L’année possède cinq facteurs premiers et dix diviseurs positifs. Ses moyennes : arithmétique : 396,8 / géométrique : 45,077710678339 / harmonique : 5,1209677419355. Je ne peux rien de plus pour lui. C’est un nombre ingrat voué à finir en poussière dans les caves du temps. [J.P.D.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Dubois

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Kennedy et moi

10/04/2017

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15/01/2017

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28/03/2016

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Le cas Sneijder 

10/01/2012

Dubois

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Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

03/11/2019

Dubois

Jean-Paul

Une vie française 

02/08/2014


 

mercredi 4 septembre 2024

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux - Robert Bober

Si je préfère de beaucoup l’autobus au métro – et je choisis alors une place sur la plate-forme –, c’est encore à pied que j’aime le mieux me déplacer. [R.B.]

De Robert Bober, je ne savais que peu de choses, qu'il avait été un collaborateur de Perec dans le projet de Récits d'Ellis Island, qu'il avait été réalisateur au cinéma et, au détour d'un balado de France-Culture, j'ai pu découvrir quelques-unes de ses lectures (Dans la bibliothèque de Robert Bober). Le hasard aura fait que le premier roman de Bober que je lise soit On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. Et que cette lecture suive de près celle de Le nom sur le mur d'Hervé Le Tellier. En fait, il s'est présenté, entre ses deux lectures successives, un effet de résonance que j'aime bien déceler. Le Tellier évoque Henri-Pierre Roché car ce dernier aurait, en 1941, amorcé l'écriture de Jules et Jim, le roman dont Truffaut aura fait plus tard l'adaptation, à Dieulefit dans la Drôme où André Chaix perdra la vie en 1944. Le roman de Bober se déroule à une autre époque, au début des années soixante, et il s'ouvre sur l'opportunité qu'a Bernard, le narrateur, de faire de la figuration dans le prochain film de Truffaut, Jules et Jim. Il n'en fallait pas plus, je devrai placer le roman de Roché dans ma liste de livres à lire et le film de Truffaut dans celles des films à revoir.

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux nous guide dans les rues de ce Paris des années soixante, mais aussi dans les souvenirs du narrateur, dans ses découvertes au hasard de conversations, dans la nostalgie d'un passé révolu, d'un passé qui hésite à se dévoiler, dans l’histoire qui émerge parfois de l’oubli. Par certains aspects et quelques thèmes, cette écriture rappelle celle de Patrick Modiano et, quant à moi, cela n'est pas pour déplaire. Voilà un roman à lire en ayant en tête les photographies de Doisneau et en musique de fond un classique de jazz manouche. 

« Que dois-je devenir ? — Un curieux. — Ce n’est pas un métier. — Ce n’est pas encore un métier. Voyagez, écrivez, apprenez à vivre partout. L’avenir est au curieux de profession. » [Extrait de Jules et Jim

C'est toujours beau, la poésie. Un jour, j'ai compris que je lui devais tout. Parce qu'avec la poésie, on peut tout dire. Il suffit de prendre rendez-vous. [R.B.] 

dimanche 1 septembre 2024

Le nom sur le mur - Hervé Le Tellier

Je cherchais une « maison natale ». [H.L.T.]

Le narrateur, l’alter ego de l’auteur, se met à la recherche d’une maison dans la Drôme. Sur le crépi d’un mur de la maison qui l’accueille, un nom, celui d’André Chaix né en 1924, mort en 1944. Voilà l’amorce de ce roman en forme d’enquête, une incursion dans la brève vie du maquisard qu’aura été André Chaix, militant des Forces françaises de l'intérieur. Voilà une reconstitution, à l'aide de quelques photos, témoignages, menus objets et extraits de journaux, du parcours d'André, de sa relation avec Simone qui devait l'accompagner au cinéma, de son engagement, jusqu'aux mouvements militaires qui causeront sa mort. C'est, sans être une biographie historique ni un essai, l'évocation d'un temps, et l'auteur se permet de transmettre ses sentiments, ses craintes et ses colères face à l'horreur de cette période. Le nom sur le mur est un récit respectueux et Le Tellier réussit à provoquer en nous l'émotion qu'il a pu ressentir lors de cette enquête et à la remémoration des souvenirs qui en émergent. 

Quand un événement fait basculer notre existence, c'est souvent des années plus tard qu'on en prend la mesure. J'ai été éjecté de l'enfance par un film, Nuit et brouillard d'Alain Resnais, vu au ciné-club du lycée. Les images de ces monceaux de cadavres charriés dans des fosses par des bulldozers m'interdisaient soudain l'insouciance. J'avais douze ans et je n'étais plus que questions et colère. J'ai trouvé certaines réponses. La colère, la rage, même, ne sont jamais retombées. Il est bon qu'elles restent intactes. [H.L.T.]

On connaît, de l'autre côté du Rhône, en Haute-Loire, Le Chambon-sur-Lignon, autre bourg de trois milliers d'âmes [...], et les époux Trocmé, fondateurs de « l'école nouvelle cévenole » : le réseau informel du pasteur Trocmé accueillit et cacha plus de trois mille réfugiés, dont un tiers de Juifs. Parmi eux, il y eut l'écrivain André Chouraqui, l'historien Léon Poliakov, et le futur génie mathématique Alexandre Grothendieck, dont le hasard a voulu que je croise le chemin trente ans plus tard, lorsque j'avais moi aussi dix-sept ans. [H.L.T.]

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mercredi 28 août 2024

Parlons philosophie - Normand Baillargeon

Au printemps 2024, Normand Baillargeon regroupait un ensemble d'entretiens qu'il avait mené entre 1994 et 2010 auprès de figures marquantes de la philosophie et de la pensée contemporaine, principalement anglo-saxonne. L'auteur y voyait l'occasion de faire connaître des œuvres, des idées, qui ont participé aux réflexions sur la philosophie analytique, sur l'éthique et la politique, sur la pensée critique et, de façon générale, sur la société. Si certaines entrevues me sont apparues un peu trop spécialisées pour quelqu'un qui n'est pas du domaine, la plupart étaient accessibles et ouvraient la porte à d'autres questions, d'autres curiosités, qui, j'imagine, pourraient trouver réponse dans les divers textes placés en bibliographie après chacune des entrevues. Je connaissais quelques noms parmi les intervenants rencontrés par Normand Baillargeon, mais pour plusieurs, ce fut une première rencontre, peut-être un peu brève, mais suffisante pour prétendre susciter de prochaines lectures. 

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