vendredi 29 septembre 2017

Quand sort la recluse - Fred Vargas

Adamsberg, assis sur un rocher de la jetée du port, regardait les marins de Grimsey rentrer de la pêche quotidienne, amarrer, soulever les filets. [F.V.]
Vargas nous entraîne encore dans le cercle intime et professionnel du  commissaire Adamsberg. Le hasard jouera un rôle très important dans le fait qu'une certaine araignée au comportement plutôt furtif, la recluse, vienne modifier l'agenda de l'équipe du commissariat. Plus que l'emploi du temps, c'est toute la structure organisationnelle qui sera touchée par cette intrusion liée aux pulsions instinctives du commissaire. On retrouvera avec bonheur les membres d'une escadre hors du commun dont les membres sont loin d'être unidimensionnels. L'enquête, car il y a une certaine enquête, avance parfois à force de capilotraction, mais, quoi qu'il en soit, c'est en toute volonté que l'on se laisse mener ainsi dans le temps et l'espace de ce polar qui se joue en grande part dans les pensées et les peurs du commissaire Adamsberg.
- Je veux dire: ça pue réellement, dans cette pièce. Vous ne sentez rien? Les agents levèrent leurs têtes tous ensemble pour repérer l'odeur. Curieux, pensa Adamsberg, que l'être humain hausse instinctivement le nez de dix centimètres quand il s'agit de saisir une odeur. Comme si dix centimètres allaient y changer quoi que ce soit. Mue par ce réflexe animal conservé depuis la nuit des temps, la troupe des agents évoquait tout à fait un groupe de gerbilles cherchant à capter l'odeur de l'ennemi dans le vent.  [F.V.]
Comme tant d'autres, Adamsberg aimait les voyages en train, qui vous faisaient l'offrande d'une parenthèse, voire d'une excursion fugitive hors du monde. Les pensées s'y mouvaient mollement, fuyant les écueils. [F.V.] 
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Vargas
Fred
L’armée furieuse et Sous les vents de Neptune 

jeudi 21 septembre 2017

Le plongeur - Stéphane Larue

La gratte éclaire de son gyrophare la façade blanchie des immeubles. [S.L.]
Roman hyperréaliste, s'il en est. L'auteur, ou son alter ego, a moins de vingt ans. Il étudie en graphisme au Cégep du Vieux-Montréal. Amateur de musique métal, il a pour projet de dessiner la pochette du groupe de musique de l'un de ses amis. Il a un problème important avec le jeu. Il ne peut voir un bandit manchot (une machine à sous) sans tressaillir, sans avoir l'impulsion incontrôlable de devoir s'asseoir devant l'appareil et d'y insérer l'essentiel de son avoir et de sa vie. Pour tenter de rembourser ses dettes, pour essayer de contribuer au paiement du loyer du co-locataire qui l'héberge, pour éventuellement payer les impressions de ses dessins de pochette, pour jouer encore..., il déserte ses cours et s'insinue dans la plonge d'un restaurant huppé, La Trattoria. On découvrira avec lui un univers, celui de l'arrière-cuisine, un monde sombre où se jouent des amitiés et des luttes et où l'alcool et les drogues ont leur rôle.
La serveuse s’est arrêtée au seuil d’une pièce dont les étagères étaient encombrées de vaisselle. Ça devait être la plonge. C’était une pièce relativement grande, dix pieds par vingt pieds, peut-être. Du côté gauche, on avait entreposé la vaisselle propre. Du côté droit, la sale. Au centre, c’était un champ de bataille où gisaient les vestiges du service du midi. Sur une étagère crasseuse en métal haute et large s’entassaient des piles d’assiettes maculées, des chaudrons recouverts de sauce tomate cramée dans lesquels on avait laissé des louches tordues ou des pinces enduites de couches indifférenciées de jus, des récipients au fond desquels croupissaient des légumes en juliennes molasses ou des restes visqueux de marinade, des plaques de cuisson couvertes de gras et de lambeaux de peau de poulet calcinée.  [S.L.]
Stéphane Larue nous emmène avec lui dans ce monde en faisant usage d'une langue tranchée et vive qui donne aux descriptions leur tonalité crue. J'ai aimé l'hyperréalisme de ce roman montréalais et on peut très bien comprendre qu'il ait pu se mériter le Prix des libraires en 2017.
Une femme, dans un long manteau crème, m'a coupé en laissant un sillage de parfum vanillé. Elle parlait d'une voix cassante au cellulaire. Les talons de ses bottines claquaient sur le trottoir humide. [S.L.] 

lundi 11 septembre 2017

Mémoires d'Hadrien - Marguerite Yourcenar

Mon cher Marc, Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la villa après un assez long voyage en Asie. [M.Y.]
C'est au moyen d'une longue lettre d'Hadrien à Marc-Aurèle que Marguerite Yourcenar nous fait pénétrer dans l'univers de cet empereur romain du IIe siècle. Par les yeux d'Hadrien, elle réussit à donner vie à une période particulière de l'Empire romain, elle réussit à nous faire sentir le regard qu'Hadrien porte sur sa vie. Je suis loin d'être très informé sur la période dont il est question, je ne suis pas un historien, mais je peux apprécier avec quelle minutie Yourcenar nous fait pénétrer la pensée d'Hadrien et, par là, la vie de l'Empire. Les réflexions politiques, philosophiques, poétiques d'Hadrien bien qu'ancrées dans son époque nous démontrent leur universalité et leur intemporalité, nous sommes par elles interpellés. Et l'auteure nous le rend dans un langage inégalé, dans une forme qu'on trouve peu aujourd'hui. Elle utilise une langue précise et belle, teintée d'académisme et pourtant simple. Cette écriture possède quelque chose d’envoûtant, de séduisant, d'enivrant, à la limite du langage poétique.
Les poètes nous transportent dans un monde plus vaste ou plus beau, plus ardent ou plus doux que celui qui nous est donné, différent par là même, et en pratique presque inhabitable. [M.Y.]
 Au plus profond, ma connaissance de moi-même est obscure, intérieure, informulée, secrète comme une complicité. [M.Y.] 
L'ordre aux frontières n'était rien si je ne persuadais pas ce fripier juif et ce charcutier grec de vivre tranquillement côte à côte. [M.Y.]
Les musiciens se rassemblaient dans la cour plantée d'un cyprès, au pied d'une statue d'Hermès. Six ou sept seulement; un orchestre de flûtes et de lyres, auquel s'adjoignait parfois un virtuose armé d'une cithare. Je tenais le plus souvent la grande flûte traversière. Nous jouions des airs anciens, presque oubliés, et aussi des mélodies nouvelles composées par moi. [M.Y.] 
Marguerite Yourcenar nous indique dans ses Carnets de notes de « Mémoires d'Hadrien » en annexe du roman, comment ce roman historique a pris forme, comment il est né de son travail, par quels processus il a pu nous être livré et offert à notre lecture reconnaissante.
L'une des meilleures manières de recréer la pensée d'un homme : reconstituer sa bibliothèque. [M.Y.] 

jeudi 7 septembre 2017

Intérieur nuit - Marisha Pessl

Que cela nous plaise ou non, nous avons tous une histoire avec Cordova. [M.P.]
Quel être mystérieux que ce Cordova, cinéaste mythique auteur d'un ensemble d'oeuvres maudites qui sont au centre des considérations quasi fétichistes de ses admirateurs. Sa fille Ashley est également fascinante, pianiste prodige, elle disparaît de la scène médiatique et son corps est découvert dans un entrepôt du Chinatown de New York. C'est le coup d'envoi de ce roman. Dans un cadre cinématographique, il fait intervenir un journaliste d'investigation qui, après avoir confronté le père, il y a quelques années, s'est retrouvé sur une voie de garage. Une enquête s'amorce. Le journaliste indépendant se voit, par le hasard des rencontres, attribuer une équipe improbable. C'est donc un trio incongru qui tentera, au travers une masse d'informations de tous ordres, de dénouer ce mystère qui prend des teintes de magie noire et de soufre.

Marisha Pessl nous convie à un polar multiforme qui s'exprime sur un drame qui prend à certains égards des allures convaincantes de réalité.
La musique classique, ce n'et pas simplement de la musique. C'est un journal intime. Une confession débridée en pleine nuit. une mise à nu de l'âme. [M.P.]