dimanche 22 août 2021

Les suites pour violoncelle seul, En quête d’un chef-d’œuvre baroque - Eric Siblin

Les premières mesures se déploient avec la puissance narrative d’un maître de l’improvisation. [E.S.]

Eric Siblin est un journaliste anglophone de Montréal. Spécialisé dans la critique de concerts rock et pop, il assiste, en raison de circonstances fortuites, à un concert où les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach sont présentées. Une illumination se produit. il est séduit et une quête va s’amorcer pour comprendre et s’instruire de l’origine de cette oeuvre magistrale.

Sa démarche le mène à Bach, évidemment, mais aussi au violoncelliste Pablo Casals qui aura redécouvert les Suites alors qu’elles n’étaient connues que de quelques-uns comme des exercices ou des études. C’est Casals, en effet, qui, au début du vingtième siècle, aura fait connaître ce chef-d’oeuvre au public en y dégageant toute la charge émotive qu’elles recelaient.  

L’ouvrage de Siblin est construit sur le modèle des six Suites dont les mouvements attribuent des titres aux chapitres. On passera ainsi d’éléments de la biographie de Jean-Sébastien Bach à des éléments du parcours de Pablo Casals en y faisant ressortir l’histoire des Suites pour violoncelle seul. L’auteur se permettra également de raconter sa propre démarche et son enquête. Au cours des pages, Siblin avance quelques hypothèses et s’engage dans de nombreux détails qui demeureront difficiles à valider. Évidemment, à la lecture, on ressent un important besoin d’écouter les Suites et elles accompagneront très bien la lecture. Toutefois, ce n’est pas dans ce livre qu’on trouvera un guide d’écoute qui permettrait à notre oreille de mieux apprécier toute la richesse de l’oeuvre. Ce qui est dit des Suites au plan musical est relativement convenu. J’aurais espéré plus. Malgré cela, le fait d’être sensibilisé à l’histoire des Suites pour violoncelle seul en affecte mon écoute et cela constitue un impact positif de cette lecture.

« Comment pourrait-on penser que Bach est « froid » alors que ces suites semblent scintiller de la poésie la plus brillante, disait Casals. À mesure que j’avançais dans leur étude, je découvrais un nouveau monde d’espace et de beauté […], les sentiments que j’éprouvais comptent au nombre des plus purs et des plus intenses de ma vie d’artiste! » [Pablo Casals cité par E.S] 

[…] qu’en est-il du superbe passage, approximativement vingt secondes après le début de la gigue de cette troisième suite, qui sonne comme un riff sous les doigts d’un guitariste rock? C’est une phrase audacieuse, tournoyante, qui ne serait pas déplacée sur une Gibson Les Paul maniée, disons, par Jimmy Page de Led Zeppelin. Le public de Bach, deux siècles avant l’invention de la guitare électrique, ne pouvait pas entendre ces notes de la même façon, même de loin. [E.S.]

dimanche 15 août 2021

La Castafiore, Nouvelle biographie très enrichie et toujours non autorisée ! - Albert Algoud

Depuis que je suis enfant, la Castafiore n’a jamais cessé de m’intriguer. [A.A.]

J’ai déjà mentionné, il me semble, avoir un faible pour l’intertextualité, pour les oeuvres qui s’interpellent au-delà des genres, au-delà des auteurs, au-delà des normes. La Castafiore d’Albert Algoud emprunte sans détour ce chemin et se permet un grand jeu de balles rebondissantes entre réalités et fictions, entre personnages de papier et personnages historiques, entre auteurs et créatures imaginées. On ne peut prétendre lire cette biographie éclatée sans s’esclaffer, sans vanter plus d’une fois l’inventivité fantaisiste de l’auteur. L’argument est simple, la Castafiore est un personnage historique qui cache un secret qui sera révélé sous la plume d’Algoud dès les premières pages. La Castafiore est le dernier des castrats. L’auteur appuie cette divulgation sur divers indices, mais c’est surtout l’impact que cela aura eu sur la vie mouvementée du rossignol milanais qui nous est raconté tout au long de cet ouvrage fortement documenté. De sa naissance à sa métamorphose, de sa vie avant Tintin à sa première rencontre avec Hergé, de son entourage, le pianiste Wagner et la fidèle Irma, au monde politique et artistique, on croisera avec Bianca Castafiore plusieurs personnages signifiants de l’histoire. Algoud nous instruit du rôle surprenant de la Castafiore dans la résistance sous l’Occupation, en particulier dans le réseau Pinson. On en apprendra sur sa relation avec Edgar P. Jacobs, mais aussi avec Blake ainsi que Mortimer, avec des artistes importantes, telle Joséphine Baker ou Anna Marly, avec le monde du pop art et du rock, Andy Warhol et Lou Reed, son rapport difficile avec Fidel Castro, jusqu’à ses dernières apparitions où le rossignol allonge son ombre sur le monde. Cette biographie constitue un voyage trépidant et je m’en serais voulu de ne pas en avoir été. 

Fantasque fantôme issu d’un opéra de papier, moderne Nadja, étonnante piétonne, passereau qui passe, éternelle en-allée, diva hybride que nulle morale ne bride, c’est vers la Beauté que ta voix immatérielle nous guide ! [A.A.]

«  Mourir n’est rien quand on a connu tant de félicité », lui murmura-t-il en arabe et en expirant. » [A.A.]

mercredi 11 août 2021

L'homme-dé - Luke Rhinehart


Au physique, je suis un homme grand et fort, avec de grosses mains de boucher, des cuisses comme des troncs, une mâchoire taillée dans le roc, et des lunettes massives aux verres épais. [L.R.]

Il y avait déjà plusieurs années que L’homme-dé faisait partie de ma liste de livres à lire, je ne sais pour quelle raison obscure j’hésitais à l’entreprendre. Puis le hasard (tiens, tiens!) a fait qu’il a croisé de nouveau ma route et je n’ai pu me retenir plus avant. J’ai donc plongé dans cette lecture qui m’avait plus d’une fois été recommandée (merci à celles et ceux qui ont insisté). 

Quel livre étrange! Le personnage principal porte le même nom que l’auteur s’est donné comme pseudonyme, ce serait ainsi un roman en partie autobiographique. On dirait peut-être maintenant une autofiction.  Luke Rhinehart, le personnage, est psychanalyste. Il se sent piégé dans sa vie, piégé dans le rôle qu’il doit y jouer, piégé par la trame de son récit et l’avenir que lui impose l’image qu’il projette comme celle que les autres lui assignent. À la recherche de ses autres personnalités, des autres avenues de son parcours, des voies de traverse, des espaces insoupçonnées, il confie quelques-unes de ses décisions au Hasard et une Voie Royale s’ouvre à lui. Voilà la façon d’exprimer chacune des infinies facettes d’un itinéraire sans tracé, d’un parcours aléatoire, d’une vie ouverte.  

Puis, une nouvelle philosophie naît de ce dé. Rhinehart essaime et propage sa façon d’être en imaginant des dé-thérapies pour ses amis comme pour ses patients. Des dé-centres, ces institutions qui transforment les gens en personnes de hasard, sont établis. Seul le Hasard peut dé-terminer jusqu’où se propagera cette manière d’être, ces existences aléatoires, ces personnes-dés.

Livre culte dans les années 70, L’homme-dé n’a rien perdu de sa verve iconoclaste. Quel que soit le résultat du dé, on embarque et on se laisse mener toujours plus loin dans la dé-mesure.

« Le style fait l’homme », dit un jour Richard Nixon, et il passa sa vie à ennuyer ses lecteurs. [L.R.] 

C’est la façon dont un homme choisit de se limiter qui détermine son personnage. Un homme sans habitudes, sans cohérence, qui ne se répète pas, donc ne s’ennuie pas, n’est pas humain. Il est fou. [L.R.] 

mercredi 4 août 2021

Monstrueuse féérie - Laurent Pépin

Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. [L.P.]

L’auteur, Laurent Pépin, m’a offert de faire la lecture de son conte. Je l’en remercie. Je m’attendais à une oeuvre du domaine du fantastique, mais c’est à un tout autre univers dans lequel j’ai été immergé. Et puis, dès les premières pages, je n’ai pu empêcher que des souvenirs datant de près de 50 ans remontent en moi et viennent interférer ou se surimposer au texte. En effet, alors étudiant, j’ai travaillé pendant cinq années dans un hôpital psychiatrique. Cette lecture a ainsi fait renaître des images de longs corridors grisâtres, d’âmes en peine circulant en longeant les murs, de poètes déclamant des textes incompréhensibles, mais on ne peut plus ressentis lors de décompensation. Les Monuments dont parle l’auteur, je les ai côtoyés et la lecture de Monstrueuses fééries a réveillé cette vive expérience.

C'est dans un style déroutant, mais efficace que Laurent Pépin nous offre ce portrait poétique d'un monde schizophrène qui bascule entre réalité, rêve et hallucinations, un monde qui cherche à engloutir celles et ceux qui s'y frottent, un monde qui se propulse au-delà de ses limites.  Voilà une nouvelle en forme de conte qui se lit comme une expérience esthétique et émotionnelle. 

J’avais été embauché en tant que psychologue dans le service pour malades volubiles du Centre psychiatrique, et mon travail de recherche, au- delà des interventions à but thérapeutique, consistait pour l’essentiel à établir des ponts entre la poésie classique ou contemporaine et le contenu délirant des décompensations poétiques des patients du Centre. [L.P.]

Les saisons avaient été remplacées par l’automne. Je ne travaillais plus. Le soleil se levait à n’importe quelle heure, quand il se levait. [L.P.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Pépin

Laurent

Angélus des ogres

13/03/2022