mercredi 20 avril 2022

Album Georges Perec - Claude Burgelin

« Il s'agissait d'un individu aux traits plutôt lourdauds, pourvu d'un poil châtain trop abondant, plutôt cotonnant, portant favoris, barbu, mais point moustachu. Un fin sillon blafard balafrait son pli labial. Un sarrau d'Oxford sans col [...] lui donnait un air un brin folklorain. » [Autoportrait de G.Perec in La Disparition]

C'est en utilisant cette citation de La disparition où Perec semble se décrire lui-même que Claude Burgelin introduit son Album Georges Perec. Voilà un album en forme d'hommage bien senti, un album garni d'illustrations qui insufflent des éléments de réalité dans cet univers éclaté qu'est le monde de Perec. Ayant déjà lu plusieurs écrits biographiques consacrés à Georges Perec, je ne pourrais dire que j'ai appris beaucoup de nouveaux faits, mais je ne répugne jamais à me replonger dans des essais, des écrits qui choisissent pour thème l'écrivain Perec, l'homme ou son incomparable oeuvre. La lecture de cet album a reconfirmé chez moi l'admiration que je porte à cet extraordinaire oulipien. Son oeuvre, comme écrivain, verbicruciste, lipogrammatiste, dramaturge ou traducteur, aussi hétéroclite qu'elle puisse paraître, s'ordonne pourtant selon des lignes de force et déceler ce fil rouge dans les interstices de sa production artistique constitue l'un des plus grands plaisirs de sa lecture.  Je suis et demeurerai un fervent adepte de l'oeuvre perecquienne. 

Georges Perec a, par touches successives, proposé une image neuve de l'écrivain, artisan plutôt qu'artiste, chercheur-expérimentateur autant que littérateur. Le public des lecteurs a perçu en lui un visage fraternel de l'auteur, redevenu, tel le scribe de jadis, « homme de lettres » stricto sensu, laissant ouverte la porte de son atelier, livrant généreusement quelques recettes de fabrication, souriant courtoisement à tous. [C.B.]
En cette oeuvre-monde qu'est La Vie mode d'emploi, Perec a fait place à la « somme d'événements minuscules, inexistants, irracontables » qui s'y déroulent et à « la vie tranquille des choses » : « il y aurait dans chaque pièce les gens qui y avaient vécu et les gens qui y vivaient encore et tous les détails de leur vie, leurs chats, leurs bouillottes, leur histoire... ». [C.B.]
Le roman met à bas toute hiérarchie, traitant carpettes et bassinoires sur un pied d'égalité avec les tableaux de maîtres. Il y a de l'ironie dans le regard de Perec sur cette abondance de traces, de décombres graphiques ou littéraires, mais plus encore de la bienveillance. Le petit peuple des objets, l'infraordinaire des choses, leur vie fantôme détiennent une part de ce que nous ne savons ni voir ni dire : la patine du temps, la force des détails et des habitudes, le mutisme faussement silencieux de ce qui cadre nos existences. En donnant place à cette multitude de presque riens, Perec fait faire au roman comme une sorte de révolution copernicienne. [C.B.]

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mercredi 13 avril 2022

Europeana, une brève histoire du XXe siècle - Patrik Ourednik

Les Américains qui ont débarqué en 1944 en Normandie étaient de vrais gaillards ils mesuraient en moyenne 1m73 et si on avait pu les ranger bout à bout plante des pieds contre crâne ils auraient mesuré 38 kilomètres. [P.O.]

Voilà un livre d'histoire totalement hors norme ! Déstabilisant par son contenu comme par sa forme, cette brève histoire est parfois noire, parfois révélatrice, toujours incisive, toujours écrite avec une plume déroutante. Est-ce un essai ? Un pamphlet ?  On ne peut concevoir le rayon sur lequel devrait être déposé cet ouvrage. Depuis la première phrase jusqu'aux toutes dernières, les anecdotes et les faits s'entrecroisent avec les concepts, les généralisations et les théories. Les inventions s'interposent avec les moments de guerre, les clichés et les raccourcis. C'est, en quelque sorte, une apposition d'éléments divers tirés du XXe siècle, livrés dans un style qui, dans un premier temps, déconcerte, mais qui, par la force des choses, en vient à donner au texte un rythme hallucinant. On est littéralement plongé dans un amas de faits, d'incidents, de circonstances dont l'organisation nous échappe alors que, saisis de façon globale, on a là un portrait d'une certaine réalité du siècle même si elle peut paraître éclatée. Voilà donc l'histoire racontée d'une telle façon qu'elle impose en mémoire des images fortes et un regard social troublant.

vendredi 8 avril 2022

La petite cloche au son grêle ; Maman, Marcel Proust et moi - Paul Vacca

Le retour du collège relève pour moi d'un ordre aussi immuable que le lever du jour, la chute des corps ou la ronde des saisons. [P.V.]

Quel magnifique petit roman. Voilà un texte initiatique ou un récit d'apprentissage qui fait sourire, qui fait du bien, qui rend compte de la découverte du monde littéraire à travers une relation étroite entre un jeune et sa mère. La petite cloche, c'est celle de la porte d'entrée du café tenu par ses parents. Entre l'école et ce café, le jeune narrateur croisera l'amour, le plaisir de lire, l'amitié et puis, ce qu'il faut pour lui donner la force d'affronter l'impensable perte de sa mère.

La petite cloche au son grêle présente autant de tendresse que son titre peut supposer. Écrit avec une magnifique plume, ce roman nous transporte dans le monde étrange et plein de bouleversements qu'on a tous connu, celui de la sortie de l'enfance. C'est dans cet état de transition que le jeune homme de 13 ans va croiser l'écriture de Marcel Proust et cela viendra le transformer tout autant que sa communauté. Si le titre est annonciateur de l'humanité et de l'émotion contenues dans ce roman, le sous-titre, Maman, Marcel Proust et moi, en dresse le territoire. J'ai adoré cette lecture et cela me rappelle que je prendrais plaisir à poursuivre ma découverte de La Recherche...

Est-ce que nous-mêmes, nous comprenons tout ce que nous lisons ? Je n'en suis pas persuadée. Au fond, n'est-ce pas mieux comme cela ? Lire, c'est aller vers l'inconnu, c'est chercher à découvrir de nouveaux mondes, à percer de nouvelles énigmes... Sans garantie de succès. D'ailleurs, on ne fait jamais le tour d'un livre, on n'épuise jamais la totalité de son mystère. C'est même peut-être ce qui nous échappe qui est le plus important... [P.V.]

Comme à ces savants qui découvrirent que deux droites pouvaient à la fois être parallèles et se croiser dans l'infiniment petit, l'impensable vient de lui être révélé : oui, on pouvait aimer à la fois Proust et le football ! [P.V.]

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01/10/2021