Dans la dernière semaine d'août 1939, tandis que les rumeurs de guerre envahissaient Paris, un jeune professeur de lettres, Vincent Degraël, fut invité à passer quelques jours dans une propriété des environs du Havre qui appartenait aux parents d'un de ses collègues, Denis Borrade.Il s'agit là de la première phrase d'une courte nouvelle de Georges Perec, Le Voyage d'hiver, une nouvelle parue en 1979. Perec raconte ici comment Degraël découvre un mystérieux recueil signé par un auteur inconnu, Hugo Vernier, et comment ce recueil vient chambouler totalement l'histoire de la littérature française du XIXe siècle.
Ce court texte par son originalité comme par sa potentialité a engendré une déferlante chez les oulipiens. Les auteurs de l'Ouvroir ont, l'un après l'autre, enrichi l'idée, fourni des compléments, corrigé des éléments, transporté l'histoire, augmenté, métamorphosé, transmué, converti l'univers imaginé initialement par Perec jusqu'à le truquer, le travestir sinon le remanier. Ce projet littéraire partagé, cette oeuvre commune, ce roman collectif s'est réalisé sur plusieurs années par l'ajout successif de textes, d'idées, de lettres, de nouvelles écrites par autant d'auteurs réels ou fictifs de la galaxie oulipienne. Cela résulte en un joyeux amalgame où le parcours des méandres des divers développements inattendus forme la trame d'un roman hors-norme, une aventure littéraire comme une expérience d'écriture.
Comme il est agréable de se perdre dans les multiples et délicieuses ramifications que les oulipiens ont construites pour donner des suites à la nouvelle de Perec, Le Voyage d'hiver!
Le pire était l’affaire Si par une nuit d’hiver. Ce livre est à moi, je n’y peux rien, c’est pour moi que Calvino l’a écrit. Je suis la lectrice de Si par une nuit d’hiver un voyageur. Et ils ont réussi à avoir mêlé mon livre à leurs histoires. [Michèle Audin, IV-R-16]
À qui sait les lire, les textes de Georges Perec n’offrent pas seulement un plaisir d’une qualité rare. Ils peuvent aussi, à l’occasion, faire un don plus précieux encore : c’est une espèce de fièvre, légère mais tenace, et dont on ne guérit, comme à regret, que plume en main. [Marcel Bénabou, se citant lui-même dans Le voyage disert]
Tout cela me semblait en parfaite harmonie avec l’image que je m’étais depuis longtemps formée de l’oeuvre de Perec. Si cette oeuvre, me disais-je, est un chantier dans lequel on peut puiser pour reconstruire, c’est que les éléments qui la composent sont assez solides pour supporter d’être ainsi transférés et recyclés. [Marcel Bénabou, Le voyage disert]Intertextualités
Il n'y a pas si longtemps, je ne connaissais ni Gérard Genette ni la narratologie. Je lisais alors parallèlement Le voyage d’hiver et ses suites ainsi qu’À propos du style de Genette de David Turgeon. Or, voilà t’y pas que dans la suite due à Marcel Bénabou dans le roman collectif, on trouve une référence claire à Genette et à Palimpsestes! Aussi, au même moment, dans une autre lecture parallèle, La Montagne magique de Thomas Mann, le principal protagoniste, Hans Castorp, découvre un lied issu du Voyage d’hiver de Shubert. Que j'aime me laisser séduire par ces interactions textuelles!
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