jeudi 27 juillet 2017

L'éléphant s'évapore - Haruki Murakami

Quand cette femme a téléphoné, j'étais debout dans la cuisine, en train de me faire cuire des spaghettis, et je sifflotais en même temps que la radio le prélude de La Pie voleuse de Rossini, musique on ne peut plus appropriée à la cuisson des pâtes. [H.M.]
La lecture de l'oeuvre de Haruki Murakami me comble toujours. Son écriture simple a, sans nul doute, un pouvoir d'enchantement, d’envoûtement. On se sent immédiatement interpellé par sa prose directe, par son style rationnel bien qu'il emprunte plus d'une fois des chemins menant vers le fantastique, mais un fantastique tellement ancré dans le réel.

Le recueil de nouvelles L'éléphant s'évapore ne fait pas exception. J'y ai retrouvé à dose réduite (il s'agit de nouvelles) les éléments qui me séduisent chez Murakami.  On a donc droit à dix-sept nouvelles (ou contes) nous transportant dans des univers personnels totalement disparates, qui nous déstabilisent, qui nous nous font rêver. À l'occasion d'un détail, d'une description, d'un élément de décor ou d'une attitude, Murakami nous rappelle que l'on est au Japon, sinon et la plupart du temps, cela se passe à la porte d'à côté, chez le voisin, dans notre rue, dans le village au-delà du pont... avec un je-ne-sais-quoi d'étrange.

La lecture de chacune de ces nouvelles m'a conquis. J'y ai pris part et j'ai avancé lentement mais investi dans le nouvel univers que me proposait Murakami. J'en ressors content et enrichi de nouveaux et heureux souvenirs de lecture. Je me rappelle particulièrement L'oiseau à ressort et les femmes du mardiLa seconde attaque de la boulangerie et TV People.
Une fois par jour l'oiseau à ressort fait son apparition et remonte la pendule du monde. [H.M.]
Finalement, au bout de dix ou vingt secondes, la communication a été brusquement interrompue, tel le fil d'une vie tranché par une crise cardiaque, et il n'est plus resté qu'un silence vide et sans chaleur, comme des sous-vêtements trop javellisés. [H.M.]
À quoi je rétorque que, pour ma part, il m'arrive de ne plus être capable d'endurer l'apathie de la loi de la gravitation, du nombre pi ou de E=mc2. [H.M.] 

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Sur Rives et dérives, il a souvent été question de oeuvres de Murakami :

Murakami

Haruki

1Q84 

31/07/2015

Murakami

Haruki

Kafka sur le rivage

07/11/2016

Murakami

Haruki

La ballade de l’impossible

29/01/2018

Murakami

Haruki

La course au mouton sauvage

28/09/2022

Murakami

Haruki

Le Meurtre du Commandeur

26/05/2019

Murakami

Haruki

Le passage de la nuit

07/02/2017

Murakami

Haruki

Les amants du Spoutnik

27/11/2019

Murakami

Haruki

L’étrange bibliothèque

21/10/2016



jeudi 20 juillet 2017

Il existe d'autres mondes - Pierre Bayard

Chaque fois qu'elle se déshabille devant moi et que son corps surgit à mes yeux dans tout son éclat, je me demande ce qui me vaut cette chance inouïe de passer mes nuits avec Scarlett. [P.B.]
Pierre Bayard qui nous avait offert Comment parler des livres que l'on a pas lus? Pierre Bayard qui s'insinue dans le monde du livre et de la littérature en empruntant diverses portes, en choisissant divers parcours, en traitant le sujet selon des angles toujours plus originaux, nous entraîne ici, par cet essai littéraire, sur le terrain assurément mystérieux des univers parallèles. Il suscite notre curiosité, notre désir d'en savoir plus, de comprendre, si cela était imaginable, l'impact de la théorie des univers parallèles et les traces qu'elle aurait pu laisser sur la littérature, sur nos lectures et donc sur notre vie. Se situant à l'une des frontières multiples entre la science et la science-fiction, il nous convie à une exploration de cette hypothèse, maintenant partagée par plusieurs physiciens, pour y découvrir une possible solution à diverses énigmes que nous a laissées la littérature. Allant des paradoxes des voyages dans le temps au sentiment partagé de déjà-vu, du chat de Schrödinger à la théorie des passages et des glissements entre des univers partageant une grande part de réalité comme dans 1Q84 de Murakami, des écritures inspirées de vies parallèles au plagiat par anticipation, Bayard nous amène par cet exercice ludique de réflexion à saisir que nos lectures sont en quelque sorte des regards sur des univers issus de bifurcations et que souvent les auteurs font office de passeurs.

J'aurai vécu un très beau moment de lecture dans l'étrange univers de Bayard.

Mais qui peut dire avec certitude ce qu'est la lecture juste d'une oeuvre? [P.B.]
..., comme si la lecture donnait cette possibilité, à celui qui se laisse emporter par elle, de passer sans heurt d'un univers dans un autre. [P.B.]
Face aux différentes hypothèses proposées pour résoudre ces énigmes de l'expérience quotidienne, il est juste que, comme aux échecs ou en mathématiques, la solution la plus élégante et la plus simple l'emporte. [P.B.]
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Sur Rives et dérives, à propos de Bayard, on trouve :

Bayard

Pierre

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits

09/05/2021

Bayard

Pierre

Comment parler des lieux où l’on n’a pas été?

05/02/2020

Bayard

Pierre

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?

13/06/2009

Bayard

Pierre

Et si les œuvres changeaient d’auteur?

07/10/2019

Bayard

Pierre

Le hors-sujet : Proust et la digression

07/09/2022

Bayard

Pierre

Le plagiat par anticipation

08/11/2023

Bayard

Pierre

Le titanic fera naufrage

26/09/2020



lundi 10 juillet 2017

La femme qui fuit - Anaïs Barbeau-Lavalette

La première fois que tu m'as vue, j'avais une heure. [A.B.L.]
De mes dernières lectures, voilà sans aucun doute celle qui m'a le plus marqué. Un œil sur une histoire du Québec, un œil sur une histoire de l'art au Québec, un œil sur l'intime, un regard sur une relation particulière, sur un abandon en forme de fuite vers la liberté, sur une attache qui n'a pas vécu.

L'auteure, Anaïs Barbeau-Lavalette, s'adresse à la deuxième personne du singulier à sa grand-mère, Suzanne Meloche, poète du mouvement automatiste, rebelle, militante, passionnée, amoureuse de liberté. Cette forme particulière choisie par l'auteure génère une écriture directe faite de courtes phrases rythmées comme s'il s'agissait d'un dialogue. Mais, il n'y a pas de dialogue, il n'y a pas eu de dialogue. L'auteure n'a pas vraiment connu sa grand-mère et c'est grâce à de multiples recherches qu'elle peut maintenant lever le voile sur quelques éléments du parcours de celle qui n'a pas été en mesure de vivre mère ni grand-mère.
Comment as-tu fait pour ne pas mourir à l'idée de rater ses comptines, ses menteries de petite fille, ses dents qui branlent, ses fautes d'orthographe, ses lacets attachés toute seule, puis ses vertiges amoureux, ses ongles vernis, puis rongés, ses premiers rhums and coke? [A.B.L.]
Anaïs Barbeau-Lavalette n'aimait pas cette femme qui avait abandonné sa mère alors qu'elle était enfant. Pourtant, après sa mort, elle ressent le besoin de la retrouver, de la dire et de reconstruire ce volet manquant dans l'histoire de sa famille.

Je me suis vu happé par cette lecture, happé par le regard sur le Québec des années 40 et 50, happé par un parcours personnel fait de fuites, happé par la reconstitution d'une relation entre l'auteure et sa grand-mère.

Anaïs Barbeau-Lavalette conclut : Tu ne pourras plus t'enfuir.