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dimanche 7 janvier 2024

Si Rome n'avait pas chuté - Raphaël Doan

Dans les pages qui suivent, vous découvrirez un monde qui ne ressemble à aucun autre. [R.D.]

Voici donc un travail d'historien qui explore méthodologiquement et conceptuellement de nouveaux territoires, le défi était grand. L'auteur l'a relevé en partie.

J'avais entendu une entrevue radiophonique avec Raphaël Doan. Il y présentait son projet d'utiliser l'uchronie comme support à la réflexion historique. Cela n'est pas fréquent, mais pas totalement nouveau en soi. Là où Si Rome n'avait pas chuté présente un profil distinct, c'est dans la contribution systématique de l’intelligence artificielle à l'élaboration de la société qui aurait pu exister si la chute de l'empire romain n'avait pas eu lieu. Entendons-nous, la part d'invention livrée par l'IA est bien dirigée, encadrée et orientée par l'auteur. Celui-ci n'a pas demandé à l'IA d'écrire d'un seul jet l'ensemble de sa partie. 

Une fois cela dit, chacun des chapitres comporte donc une part d'uchronie rédigée par l'IA. Il y a là un certain intérêt à constater l'invention qui peut être déployée, mais la prose est dite sans couleur et recto tono et on reconnaît l'apport terne de la machine. C’est un peu décevant. L’intérêt principal de cet ouvrage réside dans les commentaires de l'historien qui viennent recadrer, relancer le propos, s'appuyer sur celui-ci pour aller plus loin, puiser dans l’expérience historique pour signifier d'autres pistes. C'est ici que l'on comprend en quoi ce travail peut constituer une participation à la réflexion méthodologique de l’activité de l'historien. Mais, est-ce suffisant? 

On doit noter aussi que le recueil comporte plusieurs illustrations produites par l’intelligence artificielle. Cela relève plus, selon moi, du graphisme anecdotique que de l'illustration contributive.



dimanche 22 octobre 2023

Perspective(s) - Laurent Binet

S'il savait que je vous écris, mon père me tuerait. [L.B.]
Un tour de force que ce roman épistolaire inscrit dans un temps qui n'est plus le nôtre depuis déjà plusieurs siècles! Amateur d'histoire, Laurent Binet nous a habitués à quelques uchronies de bonne tenue. Ici, il plonge dans la dernière partie de la Renaissance italienne. Il a choisi de nous faire découvrir un ensemble d'échanges entre une vingtaine de personnages plus ou moins connus de l'époque, échanges qui se font par lettres miraculeusement émergées du passé, rassemblées et traduites pour notre plus grand bonheur. Ces discussions par billets interposés portent sur les événements du moment, notamment la mort suspecte du peintre Jacopo da Pontormo qui, à la demande des Médicis de Florence, travaillait à la décoration de l'abside de l'église de San Lorenzo. C'est à la lecture des missives qu'on voit poindre l'enquête sur ce meurtre et les indices qui pourraient nous mener vers la conclusion. Mais, au-delà de ce volet policier, on décèle dans ce commerce épistolaire, d'autres préoccupations de l'époque : les influences encore présentes des prêches de Savonarole sur la nécessaire pudeur dans l'art pictural, les mouvements des artisans pour de meilleures conditions, les tractations politiques du duché de Florence, les amours interdites de la fille du duc ou le prestige de Michel-Ange à l'intérieur de la colonie artistique et au-delà. On pourrait s'exprimer sur le fait que les quelque 170 messages expédiés et récupérés par le mystérieux archiviste sont tous d'une teneur stylistique similaire, qu'ils proviennent du duc, d'un page, d'un broyeur de couleurs ou d'une princesse. Je crois que, tel que cela se produit au théâtre, cela relève d'un accord tacite entre le lecteur et l'auteur, une convention qu'on est bien aise d'accepter. Par ce roman et les multiples lettres qui le composent, bien que ce soit par l'entremise d'un événement de type policier et tout à fait imaginaire, on ouvre une porte sur l'univers artistique de la Renaissance italienne du Cinquecento et on en est ravi.

La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l'infini. Spectacle terrible. [L.B.]

La satire n'est-elle pas l'arme des faibles pour ridiculiser les grands? [L.B.] 

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Binet

Laurent

Civilizations

24/01/2020

Binet

Laurent

La septième fonction du langage 

12/04/2016



 

dimanche 24 janvier 2021

L'avenir - Catherine Leroux

Dix jours après l’arrivée de Gloria, le voisin est tué en pleine rue. [C.L.] 

Catherine Leroux, dont j’avais apprécié les histoires anonymes de solitudes regroupées autour de la mort d’une mystérieuse Madame Victoria ou encore le style assumé dans la traduction réussie du magnifique Nous qui n’étions rien de Madeleine Thien, nous transporte ici dans un Fort Détroit imaginé, un Fort Détroit survivant et demeuré francophone, un Fort Détroit abandonné où les quelques habitants tentent de faire revivre des lieux à la dérive. C’est donc à l’intérieur de cette surprenante uchronie que Gloria, en deuil de sa fille, est à la recherche de ses petites-filles depuis disparues. Dans ce milieu violent, dur et a priori inhospitalier, Gloria va trouver une étonnante solidarité faite de bienveillance et de liberté. C’est cet équilibre parfois précaire entre la rudesse du lieu et la coopération de certains de ses occupants qui apporte à cette histoire du futur l’espace nécessaire pour qu’une subtile lumière puisse s’insérer. L’avenir, c’est aussi un regard sur le temps, sur notre rapport ambigu avec demain, sur notre perception de l’enfance et les relations intergénérationnelles. L’avenir, c’est aussi une lueur d’espoir.

La ville des révoltes, des faillites, des injustices et des balles perdues, la ville des mauvais sorts, des pyromanes, des esprits frappeurs. [C.L.]

Un mobile en disques vinyle flotte au vent ; en passant dessous, elle perçoit un subtil air de blues qui s’en échappe. [C.L.]

[...] la frénésie du doute, le supplice de l’impuissance accélèrent sa présence au monde. [C.L.]

Qu’est-ce qui disparaît lorsque meurt un ami ? [...] Une des choses qu’on perd, pense Salomon, c’est celui qu’on était avec cette personne, les parties de nous qu’elle faisait exister. Dans le cas d’un ami aussi ancien, on est également dépouillé du souvenir de ce qu’on a été. Plus personne, désormais, ne se rappelle le Salomon de vingt ans, amoureux fou, demandant à César d’être son témoin à un mariage qui n’aurait pas lieu. Plus personne ne peut décrire le garçon de treize ans qui jouait aux dés dans la rue pour payer ses leçons de musique, qui fuyait les brutes du secondaire, qui lançait des roches à la police. Plus personne ne se souvient de la tête qu’il faisait lorsqu’à cinq ans on l’avait assis pour la première fois devant un piano droit. [C.L.]

[...] pour la première fois, il a compris ce qui poussait Bègue vers les livres : la sensation de découvrir une réalité jusqu’alors impossible à concevoir mais qui, une fois saisie, s’avère présente depuis longtemps, pesant sur l’esprit comme seules les vérités qu’on ignore peuvent le faire. Les mots font apparaître les choses qui sont déjà là. [C.L.]

Appréciation 3,5/5

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Leroux

Catherine

Madame Victoria

30/10/2017

Thien

Madeleine

Nous qui n’étions rien

22/11/2019


vendredi 24 janvier 2020

Civilizations - Laurent Binet


Il y avait une femme qui s’appelait Aude la Très-Sage, fille de Ketill au nez plat, qui avait été reine. [L.B.]
Merveilleuse uchronie que cette saga où les vikings puis, plus tard, Christophe Colomb, livrent aux Skraelings, ou à ceux qu'ils considèrent être des habitants du Vinland ou du Groenland, les outils et les connaissances pour que l'Inca considère un voyage vers un nouveau monde au-delà d'une mer sans fin et que, de Quito en passant par Cuba, Atahualpa découvre les pays du Levant en débutant par Lisbonne au lendemain du tremblement de terre de 1531.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais la geste des hommes est un fleuve dont personne, hormis Le Soleil s’il venait à s’éteindre, ne saurait interrompre le cours. [L.B.] 
Atahualpa, l’Inca, a quitté une guerre fratricide pour s'insérer dans un monde où la religion tient une place qui lui parait inadmissible, un pays où les états comme les religions se livrent à des tricheries, à des tromperies, à des duperies comme à des actes de mauvaise foi. En s’appuyant sur l’Espagne du moment, il construit un nouveau monde, un nouvel empire où il prendra la place de Charles Quint et où les lignées européennes de sang bleu créeront de nouvelles filiations en y mêlant du sang inca. Laurent Binet nous entraîne dans une suite de péripéties imaginées comme une reconstruction de l’histoire, il adopte pour ce faire un style proche de la chronique historique. Cela convainc assurément bien que, parfois, le détachement imposé ne nous permet pas de nous immerger autant qu’on aurait voulu dans le monde uchronique que l’auteur a inventé pour nous.

Appréciation : 3,5/5
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Binet
Laurent
La septième fonction du langage 


jeudi 20 juillet 2017

Il existe d'autres mondes - Pierre Bayard

Chaque fois qu'elle se déshabille devant moi et que son corps surgit à mes yeux dans tout son éclat, je me demande ce qui me vaut cette chance inouïe de passer mes nuits avec Scarlett. [P.B.]
Pierre Bayard qui nous avait offert Comment parler des livres que l'on a pas lus? Pierre Bayard qui s'insinue dans le monde du livre et de la littérature en empruntant diverses portes, en choisissant divers parcours, en traitant le sujet selon des angles toujours plus originaux, nous entraîne ici, par cet essai littéraire, sur le terrain assurément mystérieux des univers parallèles. Il suscite notre curiosité, notre désir d'en savoir plus, de comprendre, si cela était imaginable, l'impact de la théorie des univers parallèles et les traces qu'elle aurait pu laisser sur la littérature, sur nos lectures et donc sur notre vie. Se situant à l'une des frontières multiples entre la science et la science-fiction, il nous convie à une exploration de cette hypothèse, maintenant partagée par plusieurs physiciens, pour y découvrir une possible solution à diverses énigmes que nous a laissées la littérature. Allant des paradoxes des voyages dans le temps au sentiment partagé de déjà-vu, du chat de Schrödinger à la théorie des passages et des glissements entre des univers partageant une grande part de réalité comme dans 1Q84 de Murakami, des écritures inspirées de vies parallèles au plagiat par anticipation, Bayard nous amène par cet exercice ludique de réflexion à saisir que nos lectures sont en quelque sorte des regards sur des univers issus de bifurcations et que souvent les auteurs font office de passeurs.

J'aurai vécu un très beau moment de lecture dans l'étrange univers de Bayard.

Mais qui peut dire avec certitude ce qu'est la lecture juste d'une oeuvre? [P.B.]
..., comme si la lecture donnait cette possibilité, à celui qui se laisse emporter par elle, de passer sans heurt d'un univers dans un autre. [P.B.]
Face aux différentes hypothèses proposées pour résoudre ces énigmes de l'expérience quotidienne, il est juste que, comme aux échecs ou en mathématiques, la solution la plus élégante et la plus simple l'emporte. [P.B.]
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Sur Rives et dérives, à propos de Bayard, on trouve :

Bayard

Pierre

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits

09/05/2021

Bayard

Pierre

Comment parler des lieux où l’on n’a pas été?

05/02/2020

Bayard

Pierre

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?

13/06/2009

Bayard

Pierre

Et si les œuvres changeaient d’auteur?

07/10/2019

Bayard

Pierre

Le hors-sujet : Proust et la digression

07/09/2022

Bayard

Pierre

Le plagiat par anticipation

08/11/2023

Bayard

Pierre

Le titanic fera naufrage

26/09/2020



jeudi 25 mai 2017

Le Maître du Haut Château - Philip K. Dick

M. Childan avait beau scruter son courrier avec anxiété depuis une semaine, le précieux colis en provenance des Rocheuses n'arrivait pas. [P.K.D.]
Lecture étrange s'il en est. J'ai été submergé par cette lecture d'un autre temps, d'un temps qui n'a pas existé, d'un temps qui se situe dans un autre univers, un univers où la Seconde Guerre a eu un résultat différent de celui que l'on connaît, un univers où les alliés ont dû capituler devant les forces de l'Axe, un univers où les États-Unis d'Amérique voient leur territoire sous la domination des Japonais à l'Ouest et des Allemands à l'Est. Toutefois, cette uchronie demeure en quelque sorte à l'arrière-plan du roman où se jouent à la fois des aventures personnelles et des tractations à saveur politique, où des personnages se croisent sans se connaître, se connaissent sans jamais se rencontrer, évoluant dans ce monde nouveau qui s'invente une façon d'être dix ans après la Seconde Guerre.

Et puis, dans ce roman, on trouve un autre roman, Le poids de la sauterelle, écrit par celui qu'on nomme le Maître du Haut Château. C'est en fait le livre dans le livre, l'uchronie dans l'uchronie. En effet, ce roman, interdit dans les régions sous domination allemande, imagine un monde irréel où les Alliés auraient gagné la guerre et les peuples de l'Axe se seraient rendus. Mais, ce monde recréé dans Le poids de la sauterelle n'est pas non plus celui dans lequel nous évoluons. C'est un monde où il y aurait eu domination de l'Empire britannique sur la Russie, où une guerre se serait profilé entre le Royaume-Uni et les États-Unis, les deux gagnants de la Seconde Guerre mondiale. Un plan est mis à exécution pour se débarrasser de l'auteur de ce roman imaginé qui gêne les dirigeants nazis.

Enfin, tout au long de cette fresque hors du réel, un troisième livre attire l'attention et joue un rôle particulier dans certaines prises de décisions des intervenants et des personnages. Il s'agit du Livre des transformations, le Yi King, qui permet par le tirage d'hexagrammes de faire des prédictions, des divinations, et d'orienter ses décisions, ses choix, l'orientation de sa vie. Populaire dans les années 1960 et 1970, Philip K.Dick a d'une certaine façon fait du Yi King l'un des personnages du roman. Certains disent même que le Yi King aurait orienté l'écriture du roman, et que c'est par des choix imposés par Le Livre des transformations que Philip K.Dick a construit la trame du Maître du Haut Château.

Finalement, même si cette lecture uchronique m'aura happé pendant un certain temps, j'en sors un peu perplexe. Peut-être n'y ai-je pas trouvé tout ce que j'y espérais?

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Sur Rives et dérives, on trouve également :

Dick
Philip K.
Ce que disent les morts