mardi 4 novembre 2025

Je ne suis personne, une anthologie - Fernando Pessoa

Je suis parvenu subitement, aujourd’hui, à une impression absurde et juste. Je me suis rendu compte, en un éclair, que je ne suis personne, absolument personne. [F.P.]

Il m’arrive parfois de lire non pour comprendre, mais pour me perdre dans un voyage sans but. Je ne suis personne, cette anthologie de Fernando Pessoa présentée par Robert Bréchon, est de ces livres qui ne se laissent pas saisir d’un bloc. Il est multiple, fait de fragments et de dispersions. Il offre une plongée vertigineuse dans l’univers éclaté du poète portugais, maître du masque et du paradoxe.

Pessoa ne se contente pas d’écrire : il s’efface, se divise et revêt plusieurs identités. Il s'invente des hétéronymes – Caeiro le sage païen, Reis le stoïcien latin, Campos l’exalté moderne, Soares le scribe de l’intranquillité – comme autant de voix qui dialoguent, s’opposent, se contredisent. Ce n’est pas un jeu, mais une quête de vérité par le détour. Une manière de dire : je ne suis pas un, je suis plusieurs. Et peut-être que, dans cette pluralité, quelque chose de plus juste émerge.

Lire Pessoa, c’est accepter de ne pas savoir qui parle. C’est accueillir le doute comme une forme de lucidité. C’est entendre des phrases comme :

Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. [F.P., Bureau de tabac]

Robert Bréchon, dans cette anthologie, ne cherche pas à résoudre l’énigme Pessoa. Il l’accompagne, la balise, la rend accessible. Il ne se contente pas de compiler des textes : il les éclaire, les contextualise, les relie. Son introduction est précieuse pour qui découvre Pessoa. Les extraits choisis – poèmes, fragments du Livre de l’intranquillité, pensées éparses de Pessoa et de ses hétéronymes – dessinent une cartographie mouvante de l’être multiple qu'est ce poète portugais, la cartographie d'un homme qui, en affirmant qu'il n'est personne, nous offre un passage vers plusieurs. 

Un jour où […] j’avais renoncé à ce projet, je m’approchai d’une commode assez haute et, ayant pris une feuille de papier, je me mis à écrire debout, comme je le fais chaque fois que cela m’est possible. Et j’écrivis plus de trente poèmes à la file, dans une espèce d’extase dont je ne parviens pas à définir la nature. Ce fut le jour triomphal de ma vie, et je n’en connaitrai plus jamais de semblable. Je commençai par le titre, le Gardeur de troupeaux. Et ce qui s’ensuivit, ce fut l’apparition de quelqu’un en moi, à qui je donnai aussitôt le nom d’Alberto Caeiro. Pardonnez-moi l’absurdité de l’expression ; c’est mon maître qui était apparu en moi. Ce fut l’impression que j’éprouvai immédiatement. [F.P.]

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