Il y a d'emblée quelque chose d'excessif dans la biographie de ce Portugais qui risque de devenir au fil des ans l'un des poètes majeurs du XXe siècle: quelque chose de trop excessif pour ne pas éveiller de soupçons, ou même alarmer celui qui se lance sur ses traces. [A.T.]
Antonio Tabucchi nous ouvre la porte de l’univers de Fernando Pessoa et de ses multiples hétéronymes. Ce recueil rassemble plusieurs essais sur ce sujet complexe et captivant. On a ainsi droit à une incursion dans le labyrinthe des diverses identités créées et endossées par Pessoa au fil de ses productions selon les diverses écritures qu'il adopte lorsqu'il personnifie l'un ou l'autre de ses hétéronymes. Il est parfois Alberto Caeiro da Silva, son maître et celui d'Alvaro de Campos, poète solitaire et discret. Parfois, il s'insère dans la peau d'Alvaro de Campos, ingénieur naval et poète dandy à la pointe de l'avant-garde. Il peut aussi incarner Ricardo Reis qui a vécu au Brésil et était à la fois médecin et un poète au classicisme revendiqué. Il devient parfois Bernardo Soares, son hétéronyme le plus proche, aide-comptable en la ville de Lisbonne, qui a livré l'incomparable Livre de l'intranquillité. Pessoa se glisse dans la nature de plein de gens qui ont chacun leur histoire, chacun leur parcours, chacun leur production, parfois minime, parfois exceptionnelle. Et les membres de cette tribu, qui vivent dans l'imaginaire foisonnant de Pessoa, entretiennent occasionnellement des échanges épistolaires, commentant l'un, s'interposant aux opinions de l'autre ou intervenant même dans la vie de leur géniteur. Grâce à Tabucchi, traducteur et spécialiste de l'œuvre de Pessoa, nous avons accès à une meilleure compréhension de la création polymorphe de ce dernier.
Dès mon enfance, en effet, j’ai eu tendance à m’environner d’un monde fictif, à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé. […] Depuis l’époque où je me connais pour celui que j’appelle moi, je me rappelle avoir toujours dessiné mentalement, leur donnant silhouette, mouvement, caractère et histoire, un certain nombre de personnages irréels qui étaient, pour moi, aussi visibles et aussi miens que les objets de ce que l’on appelle, abusivement peut-être, la vie réelle. [Lettre à Adolfo Casais Monteiro sur la genèse des hétéronymes, Fernando Pessoa]
Aucun commentaire:
Publier un commentaire