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dimanche 16 novembre 2025

La vengeance de la pelouse - Richard Brautigan

Ma grand-mère, à sa façon, éclaire comme un phare le passé orageux de l’Amérique. [R.B.]

Richard Brautigan n’a jamais quitté l’Amérique, mais il a fait de ses errances intérieures un vaste territoire. Le poète de la beat generation, pêcheur de truites en eaux troubles, nous livre ici un recueil de soixante-deux éclats d’un miroir brisé où se reflètent l’enfance, les femmes, les forêts, les motels, les armes à feu, les silences et les pelouses. Il raconte l'Amérique de la marge, des amours maladroites et des destins avortés.

Ce sont de courtes nouvelles qui ne cherchent pas à conclure. On y entre comme dans un grenier où l'on trouve un bric-à-brac de souvenirs, de visions absurdes et de phrases suspendues. Brautigan écrit avec tendresse, parfois avec ironie, souvent avec lassitude, avec une forme de légèreté qui ne dissimule jamais tout à fait la tristesse. 

Avec La vengeance de la pelouse, Brautigan ne raconte pas, il évoque. Il ne décrit pas, il suggère. Voici une littérature de l’éphémère, de la perte, du presque rien. Une écriture qui refuse le spectaculaire, qui préfère la grâce d’un détail : une boîte de sardines, un souvenir d’école, une pelouse qui se venge. C’est une œuvre qui déroute, mais qui, comme une vieille photo retrouvée dans une boîte à chaussures, touche juste. 

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vendredi 9 avril 2021

Le temps où nous chantions - Richard Powers

Quelque part dans une salle vide, mon frère continue de chanter. Sa voix ne s’est pas encore estompée. [R.P.

Le temps où nous chantions, c'est plus de cinquante ans d'une histoire américaine racontée à travers une famille qui est en même temps en marge du temps, en marge de ce qui fait la société, mais aussi tout à fait plongée dans son tumulte et ses contradictions. C'est à un mémorable concert en plein air de Marian Anderson, une contralto afro-américaine, une des premières cantatrices noires des États-Unis, que se rencontrent, en 1939, deux êtres que seul l'amour de la musique approchait. C'est ainsi que David Storm, physicien juif allemand immigré aux États-Unis, spécialiste de la relativité du temps, croise Delia Daley, une jeune fille noire d'un médecin de famille de Piladelphie. Malgré l'improbabilité de cette convergence, la musique aura fait son oeuvre. David et Delia se marient et fondent une famille. Le métissage fera en sorte que les enfants (Jonah, Joseph et Ruth) se voient exclus des deux communautés. Pour les garder à l'abri, leur scolarisation se fera à la maison et la musique en constituera le centre.

Le continent regorge d’espions, de beatniks et de gros appareils électroménagers. [R.P.]

Et chaque soir les Strom mettaient le silence en échec à leur manière, ensemble, à grandes bouffées d’accords improvisés. [R.P.]

La musique est omniprésente dans cette oeuvre. Elle est au coeur de l'apprentissage, au coeur de la vie, au coeur de ce que raconte Joseph, le narrateur et le plus jeune des deux garçons. J'ai rarement vu un roman être en mesure de transmettre aussi bien ce que la musique peut communiquer d'émotions, de joie comme de tragique. Et cela est dit dans une si belle langue. Évidemment, j'ai lu la traduction que Nicolas Richard en a livrée, mais elle est si belle que je peux m'imaginer qu'une bonne part de la richesse de cette écriture est attribuable à l'original.

L’air progresse de la manière la plus simple : un do stable entre sur le temps faible, tandis que le temps fort se rétablit sur le instable de la gamme. À partir de cette impulsion légère, le morceau se met en mouvement, jusqu’à se chevaucher lui-même, se livrant à une sorte de catch à quatre avec son propre double alto. Puis, en une improvisation commandée par la partition, les deux lignes de chant se replient sur le même inévitable sentier de surprise, moucheté de taches mineures et d’une lumière soudain vive. Les lignes imbriquées l’une dans l’autre débordent de leur lit pour donner naissance aux suivantes, la joie l’emporte, l’ingénuité se répand partout. [R.P.] 

La musique, ainsi que le dit son héros Leibniz, est un exercice de mathématiques occultes, exécuté par une âme qui ignore qu’elle est en train de compter. [R.P.] 

David Storm, le père, étant un physicien réfléchissant à la nature du temps, il nous nourrit de questionnements, de cogitations et de considérations temporelles, sur l'avant, le maintenant et l'après. Ce n'est résolument pas l'essentiel de cette aventure, mais cela est toujours présent, si on peut le dire ainsi. Mon propre passé a fait en sorte que je me suis senti interpelé par les interrogations de ce scientifique expatrié.

« Saint Augustin disait qu’il savait ce qu’était le temps tant qu’il n’y réfléchissait pas. Mais dès l’instant où il se posait la question, il ne savait plus. » [R.P.]

Était et sera : tous sont des coordonnées fixes, perceptibles, sur la surface plane où figurent tous les maintenant en mouvement. [R.P.] 

« Le temps est notre manière d’empêcher que tout se produise d’un coup. »  [R.P.]

Ce roman des Amériques  nous transporte, nous émeut. On en sort bouleversé et ses personnages plus que réels vivent encore en nous. L'aventure ne semble pas s'arrêter avec les dernières pages. Telle une grande fiction,  ancrée dans le temps qui passe et les événements qui surviennent, Le temps où nous chantions s'inscrit en nous pour faire partie intégrante de ce que Bayard nomme notre bibliothèque intérieure [voir Comment parler des livres que l'on n'a pas lus?]. Ce roman y a bien sa place.

Le mois où notre mère mourut, Rosa Parks refusa de quitter sa place dans le bus. [R.P.] 

Je regarde les touches du piano, Jonah me regarde fixement. Nous restons assis un long moment, donnant une version assez honorable du 4’33” de John Cage. Je regrette seulement que nous n’ayons pas de magnétophone ; notre première prise aurait été la bonne. [R.P.]

Car si la prophétie n’est que la musique du souvenir qui rejoint l’histoire établie, alors la mémoire contient nécessairement toutes les prophéties appelées ultérieurement à se réaliser. [R.P.]

Appréciaton : 4,5/5