Né dans un milieu où on lisait peu, ne goutant guère cette activité et n'ayant de toute manière pas le temps de m'y consacrer, je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations délicates où j'étais contraint de m'exprimer à propos de livres que je n'avais pas lus. (P.B.)
C'est la première phrase de cet ouvrage, mais il faut aussi mentionner la citation d'Oscar Wilde que Pierre Bayard met en exergue:
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique; on se laisse tellement influencer.
Pierre Bayard cache bien sa provenance, car ce livre dont le titre peut faire sourire démontre une grande connaissance du monde des livres et de ses diverses bibliothèques. P.B. en souligne d'ailleurs trois :
- la bibliothèque collective : l'ensemble large de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné. Bayard insiste sur le fait que le lecteur ou le non-lecteur doit pouvoir s'orienter dans la bibliothèque collective et pour ce faire la lecture intégrale n'est pas essentielle;
- la bibliothèque intérieure : sous-ensemble de la bibliothèque collective sur lequel notre personnalité se construit et qui organise notre rapport aux textes et aux autres, une bibliothèque où figurent quelques titres précis, mais qui est surtout constituée de fragments de livres oubliés et de livres imaginaires à travers lesquels nous appréhendons le monde;
- la bibliothèque virtuelle définie comme un espace ludique de communication sur les livres dans lequel il est admis de parler de livres non lus ou seulement parcourus, un espace composé de livres-fantômes, objets insaisissables et mouvants que nous faisons surgir quand nous parlons d’un livre.
Est-ce que j'ai mentionné que Pierre Bayard est psychanalyste et qu'il enseigne la littérature à Paris 8?
En parcourant les pages de cet ouvrage et les exemples de non-lectures tirés de la littérature ou du cinéma, un souvenir me hantait. Changement de décor m'avait déjà plongé dans ces réflexions sur les livres que l'on n'a pas lus. Ce roman de David Lodge, caricature pas très éloignée de la réalité du monde universitaire, présentait, en effet, un personnage, professeur nouvellement engagé dans une faculté de littérature anglaise, qui était initié à un jeu intellectuel assez paradoxal. Il s'agit d'avouer la non-lecture d'une oeuvre essentielle que tous doivent avoir lue. On marque un point lorsque nous sommes seul dans le groupe des joueurs à n'avoir pas lu l'oeuvre en question, le «jeu de l'humiliation».
Quelle n'a pas été ma surprise, lorsqu'à la page 113, Pierre Bayard cite lui-même ce jeu et livre un extrait de Changement de décor. Dans cet extrait, le jeune professeur va jusqu'à avouer sa non-lecture de Hamlet, ... dans un département de littérature anglaise...
En bref, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? est un livre à lire (ou non), mais absolument!
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