Je l'ai toujours dit : il auroit été à souhaiter que mon père ou ma mère, et pourquoi pas même tous deux, eussent apporté quelque attention à ce qu'ils faisoient, quand il leur plut de me donner l'existence. [L.S.]
Quelle oeuvre particulière, surprenante et déstabilisante que ce roman britannique datant de 1759-1760 ! Laurence Sterne tente d'y faire sous une forme satirique une pseudo-autobiographie du narrateur, Tristram Shandy, en débutant avec les circonstances entourant sa naissance qui, déjà, s'étalent sur quelques centaines de pages. La vie et les opinions de Tristram Shandy est une ode à la digression. C'est un roman univers qui s'illustre par sa non-linéarité, un roman où l'auteur engage le lecteur dans son écriture, s'en soucie et lui offre des pages de réflexions, d'autres de détente, se permet des chemins de travers, des apartés, des parenthèses sinon des divagations, qui ne craint pas le coq-à-l'âne, qui nous entraînent allégrement dans l'exploration des travers de la famille, les obsessions éducatives du père ou les fixations de l'oncle sur les fortifications et les batailles célèbres. On y retrouve quelque chose de Rabelais, de Montaigne, de Swift ou encore de Cervantès et Sterne n'hésite pas à y faire référence dans ses réflexions étalées dans une multitude de courts chapitres qui se déploient en autant de dimensions. Il y a comme une espèce de fascination qui s'installe à la lecture de ce roman.
On comprend alors pourquoi Georges Perec a pu faire de Sterne l'une de ses figures tutélaires parmi d'autres comme Flaubert, Kafka, Roussel ou Queneau. La vie et les opinions de Tristram Shandy ne serait-il pas une concrétisation d'un plagiat par anticipation, un concept défendu par les membres de l'Ouvroir de littérature potentielle ? En toute chose, la non-linéarité, l'intense utilisation de l'anecdote, la mise en abyme, la multiplicité du temps sont toutes des caractéristiques qui m'invitent à faire référence à une autre oeuvre monde, La vie mode d'emploi. Ce n'est pas sans me plaire.
La vie et les opinions de Tristram Shandy est essentiellement constituée de digressions, de parenthèses et d'écarts. Dans un chapitre intitulé L'éloge et l'utilité des digressions, Laurence Sterne par la voix de Tristram Shandy n'écrit-il pas : « Les digressions sont incontestablement la lumière, la vie, l'âme de la lecture. » Je peux difficilement le contredire lorsque je me remets en mémoire certaines oeuvres qui m'ont marqué comme La mezzanine de Nicholson Baker, Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino, La vie mode d'emploi déjà cité ou les écrits de Richard Brautigan, d'Éric Chevillard ou de Jean-Marie Blas de Roblès qui, tous, ne font pas l'économie de la digression et du pas de côté.
Je suis né, voilà la seule chose dont je n’aie pas à douter ; et je dois encore cet avantage au hasard qui préside à toutes mes aventures. [L.S.]
Quand un homme fait le tour de la terre, sa tête fait quelques cent milles de plus que ses talons. [L.S.]
Ceux qui ne se soucient pas d’approfondir les choses, peuvent passer, sans lire, ce qui reste de ce chapitre. — Je ne l’écris que pour les curieux qui aiment et qui cherchent des choses abstraites. [L.S.]
À quelles peines ne s’expose point en effet un homme qui se met à écrire l’histoire ? Ne fût-ce que celle du petit Poucet, il ne sait jamais les obstacles et les embarras qu’il pourra rencontrer, ni les détours qu’il sera obligé de prendre, ni les digressions qu’il sera forcé de faire. [L.S.]
Une fois qu’on a conçu une opinion, tout ce qu’on entend, tout ce qu’on voit, tout ce qu’on lit, semble concourir à la fortifier. [L.S.]
Ce seroit à la fin abuser de ma complaisance, si, à chaque fois que je parlerai d’une chose, il falloit que je l’expliquasse. [L.S.]
De toutes les machines qui existent, frère Tobie, dit mon père avec un air sérieux, l’homme est sans contredit la plus curieuse. [L.S.]
C’est ce qui me conduit à l’affaire des moustaches ; mais par quelle succession d’idées ? En bonne foi, croyez-vous que je le sache ? [L.S.]
Après un chapitre comme celui qu’on vient de voir, et surtout après la manière dont il finit, il faut nécessairement insérer quatre ou cinq pages de matières hétérogènes, pour maintenir une juste balance entre la sagesse et la folie. [L.S.]
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