Vers quel visage avez-vous souri pour la première fois ? [L.N.]Autrefois, naguère, alors étudiant au collégial, dans un cours de littérature, on m'a demandé, plus d'une fois, d'interpréter des oeuvres, d'exprimer ce que l'auteur a bien pu vouloir dire dans le texte qu'il nous a livré. Je me suis toujours opposé à cette façon d'aborder un texte, prétextant que chaque lecture est en elle-même une oeuvre de création et qu'il n'existe donc pas d'interprétation canon d'un roman, d'un poème ou de toute oeuvre écrite. Je me souviens qu'en équipe, nous avions eu à présenter la lecture d'une oeuvre poétique. Après que nous en ayons fait la lecture à haute voix, l'enseignante nous en réclamait l'analyse. Nous avons alors refusé de fournir une analyse autre que celles que chacun des auditeurs de la classe avait spontanément faites à l'écoute du texte. Je ne crois pas que ce fut bien reçu de la part de l'enseignante.
Tout cela pour dire que l'analyse littéraire formelle, scolastique et dogmatique ne m'intéresse point. Mais le jeu auquel se livre Laurent Nunez dans L'énigme des premières phrases est tout autre, même s'il emprunte à l'analyse littéraire le langage ainsi que la forme. Cela est réalisé avec une approche ludique telle que la réception ne peut qu’en être teintée. C’est donc avec une ouverture de bon aloi que je me permettais de passer d’un chapitre à l’autre, d’une décortication de première phrase à une autre, de « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » de Camus à « Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé. » de Queneau. Nunez détricote ces incipits connus ou d’autres qui le sont moins, en cherchant de mot en mot, littéralement, un sens que le lecteur qu’il est peut lui attribuer et relire ainsi l’œuvre entière dans le germe que constitue cette première phrase. Certains y voient peut-être une oeuvre d’érudition, j’ai voulu y voir une expédition jubilatoire dans l’univers littéraire. Collectionneur à mes heures de premières phrases, je ne pouvais d'aucune façon y être insensible.
« Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. » [Flaubert dans Bouvard et Pécuchet] Flaubert déploie devant nos yeux une causalité parodique [...], l’écrivain se moque visiblement de la facilité qu’a l’esprit humain de créer des liens, de trouver des prétextes à tout, et de croire nécessaire ce qui n’est que possible. [L.N.]
Appréciation : 4/5
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