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vendredi 8 avril 2022

La petite cloche au son grêle ; Maman, Marcel Proust et moi - Paul Vacca

Le retour du collège relève pour moi d'un ordre aussi immuable que le lever du jour, la chute des corps ou la ronde des saisons. [P.V.]

Quel magnifique petit roman. Voilà un texte initiatique ou un récit d'apprentissage qui fait sourire, qui fait du bien, qui rend compte de la découverte du monde littéraire à travers une relation étroite entre un jeune et sa mère. La petite cloche, c'est celle de la porte d'entrée du café tenu par ses parents. Entre l'école et ce café, le jeune narrateur croisera l'amour, le plaisir de lire, l'amitié et puis, ce qu'il faut pour lui donner la force d'affronter l'impensable perte de sa mère.

La petite cloche au son grêle présente autant de tendresse que son titre peut supposer. Écrit avec une magnifique plume, ce roman nous transporte dans le monde étrange et plein de bouleversements qu'on a tous connu, celui de la sortie de l'enfance. C'est dans cet état de transition que le jeune homme de 13 ans va croiser l'écriture de Marcel Proust et cela viendra le transformer tout autant que sa communauté. Si le titre est annonciateur de l'humanité et de l'émotion contenues dans ce roman, le sous-titre, Maman, Marcel Proust et moi, en dresse le territoire. J'ai adoré cette lecture et cela me rappelle que je prendrais plaisir à poursuivre ma découverte de La Recherche...

Est-ce que nous-mêmes, nous comprenons tout ce que nous lisons ? Je n'en suis pas persuadée. Au fond, n'est-ce pas mieux comme cela ? Lire, c'est aller vers l'inconnu, c'est chercher à découvrir de nouveaux mondes, à percer de nouvelles énigmes... Sans garantie de succès. D'ailleurs, on ne fait jamais le tour d'un livre, on n'épuise jamais la totalité de son mystère. C'est même peut-être ce qui nous échappe qui est le plus important... [P.V.]

Comme à ces savants qui découvrirent que deux droites pouvaient à la fois être parallèles et se croiser dans l'infiniment petit, l'impensable vient de lui être révélé : oui, on pouvait aimer à la fois Proust et le football ! [P.V.]

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01/10/2021

dimanche 13 mars 2022

Angélus des ogres - Laurent Pépin

J'habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. [L.P.]

Nouvelle, conte, roman court ? Peu importe !  L'Angélus des ogres de Laurent Pépin se présente comme une extension onirique de Monstrueuse féerie. Le parcours du protagoniste se poursuit. Son statut d'intervenant transite de plus en plus vers celui de bénéficiaire des services du centre psychiatrique anonyme et quasi fantasmé qu'il habite maintenant.  Des monstres le hantent toujours, mais une porte s'ouvre avec Lucy, ses vibrations et ses reflets, cette thanatopractrice qui présente des crises de désespoir nocturne qui prennent des allures de banquets prodigieux autant qu'inquiétants.  L'écriture poétique de Pépin ne se dément pas et il poursuit avec ce nouveau conte une exploration mythifiée et revendicatrice du monde psychiatrique. Son langage évocateur tonne subtilement.

Parmi les sanctions thérapeutiques que l’administration avait mises au point, celles que redoutaient le plus les Monuments, c’étaient les séances de cinémastoche : la thérapeute calculait la quantité de stimulations imaginaires douloureuses à leur adresser afin de corriger leurs erreurs comportementales, suivant des algorithmes impartiaux, puis façonnait des images mentales de supplice qui s’appuyaient sur les subtilités de la décompensation poétique de chacun d’eux. [L.P.]

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04/08/2021


 

mercredi 9 mars 2022

La plaisanterie - Milan Kundera

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. [M.K.]

La plaisanterie était ma première lecture d'un roman de Kundera... Non, je n'ai pas encore lu L'Insoutenable légèreté de l'être !  J'aurai donc commencé par son premier roman. Publié en 1967, juste avant le Printemps de Prague, plusieurs y ont vu un roman essentiellement politique. Évidemment, l'histoire, racontée par plusieurs intervenants sur un mode polyphonique, se déroule de l'après-guerre jusqu'à la période précédant immédiatement les événements de 1968 en Tchécoslovaquie, la tentative de libéralisation fortement réprimée par l'U.R.S.S. Si le régime alors en force constitue un cadre incontournable, il ne m'est pas apparu fonder l'essence même de ce qui est ici narré et exposé. Enfin, c'est ma lecture... 

J'y ai vu l'histoire d'une déchéance, d'un destin qui s'est faufilé derrière les rideaux de la scène avant qu'elle ne se joue, d'amours déçus, d'amours trahis, d'illusions perdues, l'histoire d'une réalité qui ne se laisse pas saisir, d'une vie détruite à partir de quelques mots. C'est, principalement, l'histoire de Ludvik Jahn, un jeune étudiant communiste, bien vu du système, qui, à vouloir se moquer en utilisant le second degré dans une carte postale, devient un ennemi du régime et sa vie est bouleversée. Il est relégué aux mines et au camp de redressement. Les personnages doutent, ont peur, partagent leurs espoirs et leurs regrets, mais, somme toute, ils ont peu de contrôle sur leurs parcours.  Pourrait-on dire qu'il s'agit là d'un roman psychologique ?

Je commençai à comprendre qu'il n'existait aucun moyen de rectifier l'image de ma personne, déposée dans une suprême chambre d'instance des destins humains ; je compris que cette image (si peu ressemblante fut-elle) était infiniment plus réelle que moi-même ; qu'elle n'était en aucune façon mon ombre, mais que j'étais, moi, l'ombre de mon image [...] [M.K.]  

[...] lire des vers, pour moi ce n'est pas seulement comme si je parlais de mes sentiments, mais comme si, ce faisant, je me tenais en équilibre sur un pied ; quelque chose de compassé, dans le principe même du rythme et de la rime, m'embarrasserait si je devais m'y abandonner autrement qu'étant seul. [M.K.]
 

mercredi 2 mars 2022

La machine de Pascal - Laurent Lemire

Rouen, automne 1642. La lumière pénètre peu dans cette petite chambre. Cela suffit à celui qui travaille. Dans ce clair-obscur il est à son aise. [L.L.]

À 19 ans seulement, Blaise Pascal conçoit un objet mécanique dédié au calcul arithmétique. Alors que les opérations se computaient à l'aide de jetons ou encore à la plume, Pascal, soucieux de libérer l'homme de cette tâche harassante, a inventé et fait fabriquer des machines capables d'additionner, de soustraire, de multiplier et de diviser des quantités. Voilà l'histoire que nous raconte Laurent Lemire. À travers elle, c'est Pascal qui nous est raconté. Ce sont ses réflexions théoriques pour mettre en œuvre dans une machine une traduction mécanique de la pensée. Mais, de la théorie à l'implémentation, de l'idée à la machine, du croquis à l'objet réalisé, plusieurs étapes se sont imposées, notamment celle de convaincre. 

Laurent Lemire nous offre donc un court et intéressant roman ou essai historique et biographique chargé de citations d'époque et de textes de Pascal dont ce précieux Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir. Voilà une épopée palpitante, mais qui m'apparaît quelque peu réductrice de l'œuvre scientifique de Pascal en la confinant autour de cette machine, quelque magnifique qu'elle soit. 

Le pari, c'est ce moment de basculement d'un homme qui comprend qu'il ne comprendra jamais, mais qui ne renonce pas pour autant à savoir davantage. [L.L.]

[...] j'expose au public une petite machine de mon invention, par le moyen de laquelle seul tu pourras, sans peine quelconque, faire toutes les opérations de l'arithmétique, et te soulager du travail qui t'a souvent fatigué l'esprit, lorsque tu as opéré par le jeton ou la plume. [Blaise Pascal dans Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir

Il ne reste au monde aujourd'hui que neuf exemplaires de cette admirable machine, l'une d'elles était vendue comme une boîte à musique chez un antiquaire.



dimanche 6 février 2022

Une sortie honorable - Éric Vuillard

“Il faut voyager”, écrivait Montaigne. “Cela rend modeste”, ajoutait Flaubert. “On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées”, renchérissait Taine. [É.V.]

D'Éric Vuillard, j'avais lu et apprécié L'ordre du jour qui narrait les moments qui avaient précédé l'Anschluss. Cela se situait dans une zone littéraire quelque part entre l'essai et le roman historique. C'est la même formule que Vuillard semble utiliser ici en s'engageant dans une description de quelques épisodes de ce qu'a été la guerre d'Indochine. Je ne sais si cela est dû à la relative proximité des faits, mais il m'apparaît que l'auteur s'aventure plus loin dans sa démarche et c'est presque un pamphlet qu'il nous livre avec ces récits d'événements. C'est, selon moi, le texte d'un militant qui, tout en adoptant les formes et les styles du roman, attaque de plein fouet la logique économique coloniale et les hommes qui l'ont porté. Je ne suis pas en mesure de critiquer ou de juger la valeur de ses arguments historiques. Bien que la part activiste de l'œuvre me soit apparue trop saillante, j'ai encore été en position de soupeser la qualité de son écriture et de ses effets. 

Chaque jour, nous lisons une page du livre de notre vie, mais ce n'est pas la bonne. [É.V.]
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Vuillard

Éric

L’ordre du jour

27/11/2017



dimanche 30 janvier 2022

Je m'en vais - Jean Echenoz

Je m’en vais, dit Ferrer, je te quitte. [J.E.]

Voilà un auteur qui m'intrigue. Je n'avais lu de lui que son dernier roman Vie de Gérard Fulmard, ce récit d'un parcours d'antihéros. J'aime la façon qu'utilise Echenoz pour me raconter des histoires et j'ai retrouvé cette manière avec Je m'en vais, un roman légèrement décalé, une fuite en avant ou au bout du monde, un roman où l'aventure est minimale, mais l'écriture optimale et légèrement teintée d'ironie. C'est autour de Ferrer, un artiste déchu reconverti en galeriste spécialisé en art contemporain, un cinquantenaire qui vit une rupture et des moments difficiles que s'articule la trame de ce roman. Entouré de collaborateurs peu éclatants, il envisage une possibilité de se refaire avec une quête nordique vers l'art inuit. Il ira sur place et dans le froid recueillir des oeuvres oubliées. Puis, au retour de ce périple, l'enchaînement déraille et le détour se fait plus long. C'est à travers des aventures amoureuses et les déboires d'une enquête que le protagoniste chemine sa vie et la fuit dans un même temps. J'ai aimé suivre ce parcours inhabituel et ma lecture aura été joyeuse et intéressée.

Soit un lapin terrorisé courant au point du jour à toute allure sur une vaste surface plane herbeuse. [J.E.]

Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d'objectif, la densité de l'air s'altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement jusqu'au soleil lui-même qui a une autre tête. [J.E.]

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Echenoz

Jean

Vie de Gérard Fulmard

09/06/2020

 

dimanche 23 janvier 2022

Le portrait de Dorian Gray - Oscar Wilde

Un artiste est un créateur de belles choses. [O.W.]

Un classique anglais, s'il en est. Depuis longtemps, je repoussais, je ne sais pourquoi, le projet de lire Le portrait de Dorian Gray. Le moment était venu, une impulsion a fait que je me plonge dans cet univers étrange, qui, par certains côtés, peut rappeler les univers qu'Edgar Allan Poe développe dans ses contes et ses histoires. C'est à l'adolescence que je découvrais Poe et j'étais fasciné par les mondes qu'il créait. Le portrait ovale fait partie de ces contes qui peuvent avoir laissé une certaine trace sur l'oeuvre de Wilde qui reconnaissait bien cette influence parmi d'autres. 

On a donc ici ce que d'aucuns pourrait appeler un conte philosophique. Il traite d'esthétique, de dandysme, d'hédonisme, de morale et de décadence. À l'époque, cela fit scandale. Aujourd'hui, cela demeure un témoin d'une période révolue. La forme utilisée par Wilde relève du roman fantastique, mais cela demeure tout de même au second plan.  La relation qu'entretient le jeune Dorian Gray avec son image bien sûr, mais aussi avec les personnages de Lord Henry et du peintre Basil Hallward, est au coeur de ce roman datant de l'époque victorienne. On se laisse facilement engager dans le tableau de ce monde étrange où la société avait des codes qui ne sont plus les nôtres, où le dandysme s'affichait pour contrer le conservatisme ambiant, où parallèlement on se permettait les réflexions les plus libres sur l'art et la réalité.

- Était-ce un paradoxe, demanda Mr Erskine. Je ne le crois pas. C'est possible, mais le chemin du paradoxe est celui de la vérité. Pour éprouver la réalité il faut la voir sur la corde raide. Quand les vérités deviennent des acrobates nous pouvons les juger. [O.W.]

[...] nous avons perdu la faculté de donner de jolis noms aux objets. Les noms sont tout. Je ne me dispute jamais au sujet des faits ; mon unique querelle est sur les mots :  c'est pourquoi je hais le réalisme vulgaire en littérature. L'homme qui appellerait une bêche, une bêche, devrait être forcé d'en porter une ; c'est la seule chose qui lui conviendrait... [O.W.]

Mais un ton de couleur entrevu dans la chambre, un ciel matinal, un certain parfum que vous avez aimé et qui vous apporte de subtiles ressouvenances, un vers d'un poème oublié qui vous revient en mémoire, une phrase musicale que vous ne jouez plus, c'est de tout cela, Dorian, je vous assure que dépend notre existence. [O.W.]




mercredi 12 janvier 2022

Algèbre, Éléments de la vie d'Alexandre Grothendieck - Yan Pradeau

Il n'a pas lu le tract qu'il tient à la main et ne le lira pas. Pourtant son nom y figure. [Y.P.]

C'est en quelques jours que j'ai parcouru avidement cette biographie romancée. Est-ce toutefois le bon terme pour parler de ce livre ? J'aurais plutôt tendance à utiliser "récit biographique". Quoiqu'il en soit, j'ai été happé par cette lecture qui me transportait dans la vie exceptionnelle d'un mathématicien français hors-norme, celle d'Alexandre Grothendieck. Son nom résonne peut-être un peu moins au Québec qu'en France, mais, dans le milieu mathématique, son apport à la science comme ses opinions extrêmes sont grandement réputés. Étudiant universitaire en mathématiques fondamentales dans les années 70, j'ai évidemment été marqué par l'influence du groupe Bourbaki, et donc par Grothendieck, la topologie algébrique, la théorie des catégories et toutes ces sortes de choses. Son refus d'aller recevoir en URSS la médaille Fields qui lui avait été décerné, ses positions politiques, notamment quant au financement militaire de la recherche mathématique ou physique ou son parti pris pour l'environnement, m'avaient alors impressionné. J'étais heureux de le croiser à nouveau et d'en apprendre plus sur son parcours grâce à ce court récit que nous offre l'auteur et enseignant en mathématique Yan Pradeau. Celui-ci réussit à présenter au monde les interstices d'un théoricien d'une intuition phénoménale, un penseur radical dans le domaine mathématique comme dans le domaine social et politique. Un immense travail de recherche et une écriture remarquable ont permis à Pradeau de dresser un portrait significatif du génie mathématique que demeurera Grothendieck. 

Khéops n'a bâti aucune pyramide de ses mains. [Y.P.]

La même année, à Besse-et-Saint-Anastaise, en Auvergne, naît un petit Nicolas qui deviendra, lui aussi, un grand mathématicien. De ses parents on ne sait rien, sauf qu'ils venaient d'une région oubliée du Caucase, la Poldévie. Bientôt sa route croisera celle d'Alexandre. Il s'agit de Nicolas Bourbaki. [Y.P.]

Un jour, Alexandre invoque un nombre premier pour les besoins d'une démonstration. "Lequel?" dit un auditeur. "Prenons le nombre 57 par exemple", lui répond Alexandre, et de continuer son exposé, comme si de rien n'était, en oubliant que 57 n'est pas un nombre premier. Cette anecdote porte la griffe du talent d'Alexandre, ses raisonnements ne s'appuient jamais sur des exemples. Depuis, 57 s'appelle "nombre premier de Grothendieck". [Y.P.]

"La société industrielle et la cellule cancéreuse partagent une même philosophie, celle de la croissance illimitée." [Alexandre Grothendieck] 

mercredi 5 janvier 2022

L'église de John Coltrane - Chad Taylor

Le casino d’Auckland tintait du même accord aigu, éclatant, que tous les casinos du monde. [C.T.]

Belle découverte que ce roman d'atmosphère! Attiré par la quatrième de couverture, le titre et l'illustration, je me suis procuré cet exemplaire dans une vente de livres de la bibliothèque. Il est demeuré patient sur une étagère chez moi jusqu'à ce que, je ne sais quel mouvement de ma part, le fasse émerger à nouveau et que l'envie de m'y plonger renaisse. Les derniers jours de l'année 2021 ont donc été consacrés à apprécier cette lecture. Certains pourraient le classifier sous la dénomination de polar, genre avec lequel il peut partager un certain type d'écriture. Pour ma part, j'ai trouvé que l'ambiance, le climat, la faune du General Building qui occupe un rôle important de ce roman s'attribuent l'essentiel de l'écriture et prennent le pas sur l'intrigue ou l'enquête que peut mener le protagoniste du roman. C'est suivant ce constat que je range ce livre sous l'appellation « texte d'atmosphère » bien que cette désignation n'ait rien de contrôlé et est on ne peut plus floue. Cela résume par contre assez bien l'état dans lequel je me trouvais à sa lecture, plus influencé par l'environnement mystérieux et énigmatique que par l'action. Et puis, par la bande, dans la démarche de cet architecte désabusé qui investit le passé de son père décédé, on croise le jazz classique, le père était critique et collectionneur de disques. Bien que cela demeure anecdotique, une corde sensible a vibré chez moi et j'entendais le sax de Coltrane.

Quand j’avais un album préféré je me le repassais indéfiniment. Je connaissais par cœur toutes les rayures et tous les craquements du disque, l’ordre exact des plages. Je ressentais la musique comme l’artiste l’avait voulu. [C.T.]
Il n’y a rien de neuf sous le soleil. En tout, il n’y a que cinq romans… tu savais ça? Huit notes de musique. Et six, peut-être sept sujets en peinture. Il n’y a jamais rien d’original. Ce n’est jamais qu’une appropriation, un reformatage, un réexamen selon le contexte du moment. [C.T.]

mercredi 8 décembre 2021

La déesse des petites victoires - Yannick Grannec

À l'exacte frontière du couloir et de la chambre, Anna attendait que l'infirmière plaide sa cause. [Y.G.]

Début des années 80, Anna Roth travaille comme documentaliste à l'Institute for Advanced Study de Princeton.  Elle a notamment pour mandat de convaincre Adèle Gödel de céder à l'institut les dernières archives de son mari, l'un des mathématiciens et logiciens les plus importants du XXe siècle, Kurt Gödel, décédé en 1978. Le roman, car c'en est un et l'auteure ne prétend pas établir ici une thèse historique, repose sur cet argument pour revisiter de belle façon le parcours de Kurt Gödel et de son épouse Adèle depuis leur rencontre à Vienne en 1926. L'auteure affirmera même : «Cette histoire est une vérité parmi d’autres : un tricotage de faits objectifs et de probabilités subjectives.» 

C'est ainsi qu'on suivra les déboires des premiers moments, la fuite vers l'Amérique en passant par la Russie et le Japon, l'installation à Princeton, les échanges avec les collègues de Kurt Gödel, dont Robert Oppenheimer, Oskar Morgenstern et même un certain Albert Einstein. L'amitié qui unissait Albert Einstein à Kurt Gödel est probablement ce qui aura contribué à maintenir ce dernier en action dans les domaines mathématiques et philosophiques à Princeton. Cela est bien rendu.

Le parcours qui nous est proposé, c'est par les yeux d'Adèle qu'on le suit. Il est donc teinté du regard qu'elle porte sur les talents de mathématicien de Kurt, mais aussi sur son inaptitude sociale, son hypocondrie ainsi que sa paranoïa (l'épisode du maccarthysme n'a de toute évidence rien aidé). Les petites victoires, ce sont celles qu'elle gagna sur la fatalité et le mal de vivre de son logicien de mari.

J'ai adoré ce roman à saveur historique qui permet de se replonger dans cette atmosphère un peu étrange qui entourait le Projet Manhattan et ses suites, les discussions de Gödel sur la logique, en particulier sur l'incomplétude et l'existence sous certaines conditions d'énoncés mathématiques indécidables, sur les questionnements philosophiques qui en découlent, sur la vie hors norme qui se déroulait à Princeton dans les années 50. Voilà un roman passionnant qui narre une partie de l'histoire sur la base d'un amour qui aura duré, lui, plus de cinquante ans.

- Je m'appelle Kurt Gödel. Et vous, mademoiselle Adèle. C'est correct? - Presque correct, mais vous ne pouvez pas tout savoir! - Cela reste à démontrer. [Y.G.]

« Si les gens ne croient pas que les mathématiques sont simples, c'est uniquement parce qu'ils ne réalisent pas à quel point la vie est compliquée. » [John von Neumann, cité par Y.G.]

Image même de sa chère récursivité, il ne rendait des comptes qu'à lui-même. [Y.G.]

- L'infini existait pourtant avant que l'homme invente les mathématiques ! [Y.G.]

La soif de sens, présente chez tous les êtres humains, fait de certains des proies faciles. Le pas est trop aisé entre synchronicité, hasard sensé et prémonitions, médiums... [Y.G.]

- [...] Vous aimez trop les mots pour un mathématicien. [Y.G.]  


mercredi 1 décembre 2021

Un père étranger - Eduardo Berti

Quelques heures avant l’enterrement de ma mère, l’après-midi où on la veillait, et alors que l’usage aurait voulu qu’on expose son cadavre, mon père donna l’ordre de laisser le cercueil fermé. [E.B.] 
Voilà un livre mystérieux, un roman en partie autobiographique qui navigue entre les concepts d'identité, d'altérité, de migration, de paternité et d'écriture. Eduardo Berti constate à la mort de son père, un Roumain réfugié en Argentine, que celui-ci tentait d'écrire en espagnol un roman à propos d'ouvriers roumains. Le fait ainsi d'écrire dans la langue de son pays d'accueil l'amène à tracer un parallèle avec un de ses projets, celui de tracer le parcours de l'auteur polonais et britannique Joseph Conrad (Józef Konrad) qui écrivait pour sa part en anglais. Voilà autant d'occasions, en parlant de son père, de Conrad ou du livre qu'il est en train d'écrire, de s'exprimer sur la langue, sur la littérature, sur le statut d'écrivain et sur le fait d'être étranger en son monde tout en portant en soi toute une bibliothèque. Voilà un auteur, membre récent de l'Oulipo, dont j'ai bon espoir de croiser encore l'œuvre sous peu.

À l’époque, j’aimais bien la notion selon laquelle la « patrie » d’un écrivain est sa langue natale. Aujourd’hui, avec plus d’ancienneté comme étranger, je préfère l’idée que son véritable pays se trouve dans ses livres : ceux qu’il a lus ou désire lire (sa bibliothèque), ceux qu’il a écrits ou rêve d’écrire (certains appellent cela une « œuvre »).  [E.B.]

Les lecteurs cherchent et voient les ressemblances entre les livres, nombreux ou non, d’un écrivain ; l’écrivain, de son côté, voit surtout leurs différences. [E.B.]

Je n’ai pas lu Jouhandeau : il fait partie de la longue liste d’écrivains que, je suppose – sauf miracle ou cas de force majeure – je ne lirai jamais ; c’est impossible, il faudrait vivre mille ans ou, plutôt, ne pas vivre et ne faire que lire, lire et lire. Lire qui, d’accord, est aussi vivre. Mais qui ne l’est pas si on ne fait que ça.  [E.B.]

 

mercredi 24 novembre 2021

Une autre vie est possible - Olga Duhamel-Noyer

Les semaines de canicule, rien n'est pareil. [O.D.-N.]

Ce roman est l'oeuvre d'une auteure québécoise que je ne connaissais pas. Olga Duhamel-Noyer a pourtant publié quatre autres romans et elle est la directrice littéraire de la maison d'édition Héliotrope. À la lecture d'Une autre vie est possible, je me suis replongé dans une époque, fin des années '70, début des années '80, où le rêve d'un monde meilleur faisait vibrer le coeur des militantes et militants d'une foison d'organisations, de groupes, de partis, de collectifs, de ligues et de phalanges. Du socialisme ouvrier au marxisme stalinien, du maoïsme prolétarien à l'anarchosyndicalisme, la mouvance révolutionnaire avait, dans son monde parallèle et en ces temps-là, une activité de tous les instants. Olga Duhamel-Noyer nous ouvre une porte dans l'intimité d'une militante qui organise les réunions du Parti dans son appartement de la rue Bloomfield. Le quotidien côtoie le rêve, elle élève seule son fils Valéry qui espère la révolution et elle est chef de cellule dans l'organisation. Un drame insidieux se profile pourtant dans cet univers de tracts, de fêtes ouvrières, de mobilisations, de manifestations et de solidarités internationales. L'élan révolutionnaire se transmute en une peur  dissimulée; une rupture qui n'a pas été acceptée vient faire basculer la vie de la militante et la violence s'insinue. 

Dans l'ensemble, voilà un portrait qui décrit, il me semble, assez bien l'univers de nombre de partisanes et de partisans de la venue du grand soir. Le style va à l'essentiel, phrases courtes et brèves descriptions. Mais, je ne sais si cela relève de mon état ou du moment de ma lecture, j'ai ressenti une certaine froideur, une certaine distance entre l'auteure et ses personnages. Cela ne m'a pas empêché d'apprécier cette incursion dans un passé qui aurait voulu faire histoire.

Tout s'affronte, tout se contredit, se brise, tout s'enclenche, tout s'enchaîne. [O.D.-N.]

Ils se sont plutôt amusés à évoquer pour tant de choses les vertus merveilleuses de la poubelle de l'Histoire.  [O.D.-N.]

 

vendredi 12 novembre 2021

Tout est ori - Paul Serge Forest

C’était entre la Pentecôte et la Trinité, entre la rivière Pentecôte et la rivière de la Trinité. [P.S.F.]

J’ai lu cet été, quelque part en juillet, les pieds dans le lac Saint-Jean, ce roman surprenant par le mélange de genres, par la trame à la limite du fantastique, mais ancrée dans une réalité nord-côtière tournée vers la pêche aux crustacés. J’ai embarqué, pour l'occasion, sur ce crevettier improvisé des environs de Baie-Trinité affrété par la famille Lelarge et je me suis laissé emporter dans ce délire qui est parfois déroutant sur le plan du style. Je me suis laissé envouté par cet intrigant japonais « envoyé commercial du Conglomérat des teintes, couleurs, pigments, mollusques et crustacés d’Isumi ». J'en ai appris plus d'un chapitre à propos des mollusques et des crustacés. Enfin, bout pour bout, je me suis plongé allègrement dans une lecture plaisante faite de surprises insolites, parties intégrantes d'un conte fait d'odeurs et de textures raconté dans un style qui ne laisse d'aucune façon croire que cela puisse être un premier roman. J’ai bien aimé l’univers créé par Forest.

On ne choisit pas ses souvenirs. La plupart des images et des sons incrustés dans notre mémoire étaient destinés à l’oubli. Ce sont de très petites choses qui les ont sauvés. [P.S.F.]
La vague est un phénomène nombreux, comme une volée d’outardes ou les rides sur un visage. Pour remarquer la ride qui n’en est pas une, mais plutôt la cicatrice d’une vieille blessure, ou pour remarquer l’outarde fatiguée qui sera laissée derrière, Il faut s’arrêter et observer. [P.S.F.]
Il mangeait beaucoup d’oursins, avec Laurie et du citron, ou seul, nature. [P.S.F.]
Les couteaux rompent la continuité. Ce que l’intermède fait dans le temps, ils le font dans la matière. [P.S.F.]
Alors, ce couteau dans le tiroir du bureau de Robert Lelarge était-il une arme ou un fruit de mer? [P.S.F.]

dimanche 7 novembre 2021

Le mode avion - Laurent Nunez

J'ai ma petite théorie sur les statues. Plus elles sont imposantes et moins elles en imposent. Plus leur volume est remarquable et moins on les remarque. [L.N.]

Laurent Nunez nous offre un amusant roman, un mémorable voyage dans l'univers linguistique de deux jeunes bonshommes qui nous rappellent en nous faisant sourire les Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Ici, on est à la fin des années '30 et on trouvera Choulier et Meinhof, ils ne sont pas copistes, mais linguistes enseignant la grammaire à la Sorbonne. Ils ne se sont pas reconnu par leurs noms inscrits dans leurs chapeaux respectifs, mais parce que, tous deux voyaient le langage et voulaient trouver.  Ces deux-là se concevaient comme des aventuriers modernes, comme de grands explorateurs.

Devant les découvertes de l'époque, ils ne rêvaient que d'ajouter leurs pierres, d'inscrire leurs noms à la liste des savants qui ont contribué à l'avancement de la connaissance. Ils se réfugient à Fontan, dans les Alpes-Maritimes («[...] c'était plutôt une ancienne ferme grise et sale, faite à la hâte et à la chaux.»), un lieu qui vaut bien la ferme à Chavignolles dans le Calvados de Bouvard et Pécuchet.  Ils y sont en mode avion, à l'abri de la réalité, à l'écart du monde, dans un interstice de l'univers qui permettra selon eux d'établir leurs grandes théories, celles mêmes qui révolutionneront la société linguistique. Ce sera « la théorie chrono-linguistique » et, plus tard, « l'appel d'air linguistico-sexuel ». 

Voilà l'histoire d'une amitié linguistique et littéraire mise à mal par la pression d'éventuelles publications, le monde de la recherche comme on ne l'a jamais vu, un délice de lecture.

Le jeune linguiste connaissait ces vers par coeur, depuis des années, mais il éprouvait le besoin de les voir imprimés sur du papier, inscrits sur une page qu'il pouvait caresser longuement, enfermés dans un beau volume à l'abri du temps. [L.N.]

Et pourquoi tout attaché s'écrit-il séparément, alors que séparément s'écrit tout attaché? Qui est bête ici : moi ou le langage ? [L.N.]

Il y a un mot bizarre mais que j'aime bien : pronoïa. C'est le contraire de la paranoïa. C'est croire que l'univers entier conspire en votre faveur. [L.N.]

Songez aux religieux byzantins, occupés à discuter du sexe des anges lorsque les troupes turques assiégeaient Constantinople ! Songez à Archimède perdu dans ses calculs, et incapable d'entendre autour de lui la chute de Syracuse ! Songez à Kafka, qui avait écrit dans son journal, un jour de 1914 où l'Allemagne avait déclaré la guerre à la Russie : « Après-midi piscine. » [L.N.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Nunez

Laurent

L’énigme des premières phrases

23/02/2020


mercredi 3 novembre 2021

L'inexistence - David Turgeon

Sur la photo, quatre jeunes gens assis côte à côte sur une banquette. [D.T.]

La porte d'entrée de ce roman n'est rien d'autre que cette photo prise devant le Café Ludwig. Trois hommes et une femme. On sait que la photo a été découpée dans un journal, probablement Le Mercure de Privine. Interroger les photos, les questionner, en extraire l’anecdote ou l’aventure, voilà le travail qu'effectue l'historienne Sabine Oloron. Ses enquêtes et quelques hypothèses permettent d'identifier les personnages apparaissant sur cet extrait de journal, notamment Carel Ender qui serait en toute apparence « fonctionnaire de l'Empire ». Ce sera la figure centrale du roman que déploie David Turgeon, une tranche de vie de ce Carel d'origine kadienne dans un Empire construit sur la disparition de ses ascendances dans un monde inventé qui, parfois, partage certaines caractéristiques avec une quelconque réalité. 

Entre un mal-être existentiel, une militance artistique et politique éclatée et des réflexions essentielles, l’auteur campe, au travers le groupe d’amis de ce Carel et à l’aide de son écriture stylée et recherchée, diverses situations qui résonnent avec du connu, avec des problématiques qui s’inscrivent subrepticement dans le manifeste, tout en laissant avec la fin de l’épisode, avec la fin de cet univers imaginaire, quelques questions en suspens.

J’ai adoré ce voyage littéraire en forme de puzzle qui se situe à la fois hors et dans le temps, cette fable moderne totalement inscrite à l'intérieur d'une simple photo.

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11/09/2019

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27/06/2021

Turgeon

David

La revanche de l’écrivaine fantôme

03/04/2019

Turgeon

David

Les bases secrètes

26/05/2021

Turgeon

David

Simone au travail

17/11/2017

mercredi 27 octobre 2021

Le meilleur dernier roman - Claude La Charité

À 19 h 30, Henri Vernal n’était toujours pas arrivé.  [C.L.C]  

Quelle merveilleuse idée que ce « Prix Anthume du meilleur dernier roman » ! C'est une idée qui a germé chez l'un des membres du département d'études littéraires de l'Université du Québec maritime pour contrer une chute dramatique des nouveaux inscrits aux programmes offerts en littérature. Dans une autre institution que j'ai fréquentée, ces programmes de lettres auraient été inscrits sur la liste orange, dénommée ainsi en raison de la disponibilité fortuite des rames de papier lors de la première impression. 

L'essentiel du roman qu'on pourrait peut-être qualifier d'autofiction (on découvrira que le narrateur se nomme Claude) se déroule lors de réunions de l'assemblée départementale. L'auteur et son double portent là un regard cynique sur l'institution universitaire comme sur le milieu littéraire. Voilà une description pleine d'ironie et de dérision qui est plaisante à lire et on se réjouit de l'oeil désabusé et rieur qui est porté sur l'absurdité relative de certains mécanismes ostentatoires du milieu. J'ai souri et j'ai ri à plus d'un moment tout en appréciant la qualité de la plume de l'auteur.

J'attendais que l'on cite la maxime d'Henri Queuille : «Il n'est aucun problème qu'une absence prolongée de solution ne puisse résoudre.» Mais personne ne connaissait ce président du Conseil de la IVe République française. [C.L.C.]

Faisons preuve d'interdisciplinarité, voire d'intersectorialité! C'est le maître mot de la recherche universitaire de nos jours. Il était évident que désormais notre discussion allait prendre une dimension plus technique, même si certains dénoncèrent l'illusion de scientificité et d'autres, l'imposture de l'interdisciplinarité comme un arbre destiné à cacher le grand n'importe quoi de la recherche actuelle. [C.L.C.]

Après tout, la littérature n'est pas grand-chose d'autre qu'une vue de l'esprit. [C.L.C.]

Il n'est pas exagéré de dire que l'Académie Anthume valait bien l'Académie Goncourt. Même propension à parler de livres qu'on n'a pas lus ou alors pas entièrement ou trop vite, même impression exagérée d'appartenir à l'histoire, même conviction de fabriquer la postérité par l'onction d'un prix dont les voies, comme celles du Seigneur, sont impénétrables. [C.L.C.]

 

vendredi 22 octobre 2021

Le murmure des hakapiks - Roxanne Bouchard

La lame tranche la chair en lanières fine, puis en petits morceaux. [R.B.]

J'ai littéralement été happé par cette lecture policière et madelinienne qui se déroule en grande partie dans le froid du nordet des Îles-de-la-Madeleine. Ce polar québécois constitue la troisième intervention de l'enquêteur d'origine mexicaine Joaquin Moralès admirablement créé par Roxanne Bouchard. L'histoire, en deux volets, fait intervenir l'agente de Pêches et Océans Canada Simone Lord rencontrée dans La mariée de corail. Elle doit monter à bord du Jean-Mathieu qui, en partance de Cap-aux-Meules, se dirige vers une chasse au loup marin du côté de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard avec un inquiétant équipage. Simone doit, à titre d'observatrice, valider les pratiques de chasse alors que le mauvais temps monte. Parallèlement, Moralès, qui vient de retirer son alliance, prend quelques jours pour une expédition de ski de fond longeant le Saint-Laurent. Ces deux personnages, réunis en pensée, vont être précipités dans une aventure pleine de tension et d'angoisse et on vivra la chasse aux phoques d'une particulière façon. Roxanne Bouchard nous fait humer l'air du large comme le huis-clos du chalutier. J'ai adoré cette inquiétante aventure. 

Il fait si froid que tout est immobile : la glace a coincé son petit bout de plage depuis un moment et la marée, apparemment au jusant, fait ressortir  les pointes dures des blocs bleutés. Le ciel est transparent. [R.B.] 

Le vent, aux Îles-de-la-Madeleine, ne se heurte à rien. Il glisse contre les dunes, traverse les lagunes et enveloppe les gens, puis emporte avec lui le superflu du bavardage vers le large. [R.B.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Bouchard

Roxanne

La mariée de corail

12/10/2020


 

mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Calvino

Italo

La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

Calvino

Italo

Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016

 

mercredi 13 octobre 2021

La grande vie - Jean-Pierre Martinet

Et Madame C. se tournait alors vers moi, elle me disait qu’elle avait peur de mourir étouffée ici, dans cette loge minuscule, qui lui laissait juste la place de respirer, entre ses plantes vertes et les photos en couleur de Luis Mariano […] [J.P.M.]

La lecture de Martinet m'a été suggérée par une lectrice de la famille, lectrice que je remercie ici. J'accueille évidemment les suggestions avec bonheur même si, à cet égard, il peut m'arriver d'entretenir une attitude proche de celle qu'énonce Denis Lavant en préface de La grande vie : « Car si j’aime toujours recevoir un ouvrage inconnu, je rechigne parfois à être orienté trop ouvertement dans le choix de mes lectures. Préférant par habitude m’en remettre au hasard ou au seul ricochet poétique qui fait qu’un ouvrage en répercute d’autres et ainsi de suite comme une chambre d’écho ou un jeu de miroir, à l’infini… ».

J'avais été avisé, Martinet a une plume magnifique, mais une plume noire, une plume qui chamboule, une plume qui tourmente. Dans cette grande nouvelle, Adolphe, employé des pompes funèbres, un nain à la vie misérable, à la sexualité qui l'est tout autant, au passé familial trouble, fantasme sur les visiteuses du cimetière qu'il observe depuis son appartement. Il subit les avances de l'énorme Madame C., concierge à la sexualité insatiable qui le domine. C'est cet univers glauque que Martinet évoque en nous transposant dans la tête du narrateur, cet Adolphe qui peine à se relever et qui chemine sa vie à la limite du burlesque.

Voilà une étonnante lecture et je me promets bien d'explorer davantage l'oeuvre qui m'apparaît noire et pessimiste de Martinet.

Ma règle de conduite était simple : vivre le moins possible pour souffrir le moins possible. Pas très exaltant, peut-être, comme précepte, mais très efficace. Essayez, vous verrez. [J.P.M.] 

La vie ne m’avait jamais paru aussi lente et atroce. Terrifiante. Le ciel prenait une vilaine couleur de foie de veau avarié. [J.P.M.] 

dimanche 10 octobre 2021

Le Scribe - Célia Houdart

Les yeux du douanier restèrent un moment fixés sur les lignes du passeport qui n'étaient pas écrites en anglais. [C.H.]

À ma première visite à Paris, je déambulais dans les rues du centre de la ville impressionné par la présence de nombreuses artères portant des noms à la mémoire de mathématiciens, il semble qu'il y a près de cent voies de Paris ainsi nommées. Bien que mon voyage n'avait rien de mathématique, j'avais l'impression d'être au coeur d'une partie importante de l'histoire de la recherche en ce domaine. Peut-être que Chandra, le jeune mathématicien indien qui est le protagoniste de ce roman, se sentait-il ainsi en abordant l'Institut-Henri-Poincaré, cet antre de la recherche mathématique sur la montagne Sainte-Geneviève ?

Dans le même voyage, je ne pouvais passer outre Le Musée du Louvre. Attiré particulièrement par les antiquités égyptiennes, j'avais hâte d'être devant Le Scribe accroupi  dans lequel je me reconnaissais quelque peu en raison de mes compétences mathématiques comme mon statut de fonctionnaire ou mon intérêt pour l'histoire... J'aurais aimé l'observer autant qu'a pu le faire Chandra.

Ce roman est construit sur deux sphères, celle de Chandra à Paris qui tourne autour de l'IHP et de la Sorbonne, une sphère qu'on pourrait apparenter à un roman initiatique, celle qui fait référence parfois au monde de la recherche mathématique (et à l'incomparable collection de modèles mathématiques de l'Institut) ; et puis celle de l'univers que Chandra a quitté, à Calcutta, ses soeurs, sa famille, une usine de traitement de l'eau où son père travaille et la situation environnementale.

Au coeur du roman, dans cette tranche de vie de ce jeune mathématicien, on trouve l'écrit, le message, la trace laissée pour les générations qui viennent. J'ai aimé même si je m'attendais à un roman où l'univers mathématique serait plus présent.

- Combien de lignes de définition faut-il pour écrire la démonstration de l'intégrale de Riemann ? Il y eut un silence. Dans les premiers rangs, un étudiant répondit : 42. [C.H.]  

Chandra regardait le long des berges les canards qui dormaient au soleil. Leur tête vert émeraude ou beige tacheté de brun était enfuie dans leur plumage soyeux. Ils formaient des virgules au bord de l'eau. [C.H.]