mercredi 17 janvier 2024

L'échiquier - Jean-Philippe Toussaint

J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement. [J.P.T.]

Après la lecture d'Échecs, la traduction que Jean-Philippe Toussaint nous offrait de la nouvelle de Stefan Zweig, il était de mise de me tourner vers L'échiquier. En effet, pendant que la pandémie faisait rage, Toussaint s'est consacré à la traduction, mais aussi, en parallèle, à la rédaction d'un journal s'étalant sur autant de chapitres que l'échiquier comporte de cases. Il y notera ses réflexions du moment sur la traduction, ses souvenirs du monde des échecs, de ses premières parties avec son père qui refusait de perdre jusqu'à sa relation avec un joueur de haut niveau, des évocations de son enfance, des lieux issus de son passé, des silhouettes furtives, des pensées concernant l'écriture, mais aussi l'histoire d'une vocation où il découvre au-delà de l'échiquier comment il est devenu écrivain.

Si les 64 cases de ce projet ne présentent pas toutes le même intérêt, l'ensemble de L'échiquier demeure une œuvre hybride autobiographique d'approche simple et accueillante. On aime y retrouver la touche d'humour retenu propre à l'auteur.
J’avance, pas à pas, dans ma traduction du Joueur d’échecs. Depuis quelques jours, à ce projet de traduction est venu se greffer un autre projet, et même deux autres projets, qui s’emboîtent les uns dans les autres, comme des poupées gigognes. Ce n’est plus un projet que j’ai, mais deux, mais trois, qui sont complémentaires, qui s’enrichissent et se répondent. Je vais traduire Le Joueur d’échecs et j’en profiterai pour mener à bien un projet auquel je pense depuis longtemps, consacrer un essai à la traduction. Et, à ces deux projets, la traduction et l’essai, s’en ajoutera un troisième, un livre, une sorte de journal de bord que je tiendrai en parallèle, à la fois témoignage sur la traduction et méditation sur l’écriture, glose et flânerie, exégèse et cueillette, qui m’accompagnera tout au long du chemin. Voilà, j’ai défini le projet, il sera tricéphale. Je suis paré, le confinement peut commencer. [J.P.T.]

J’ignorais qu’écrire des livres, au-delà du plaisir que j’y prendrais, serait un moyen de me préserver des offenses de la vie. Car si j’écris, si un jour je me suis mis à écrire, c’est peut-être précisément pour ériger une défense contre les arêtes coupantes du réel. [J.P.T.]

L’écriture romanesque est une méthode de connaissance de soi. [J.P.T.]

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14/05/2023

Toussaint

Jean-Philippe

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31/07/2023


 

dimanche 7 janvier 2024

Si Rome n'avait pas chuté - Raphaël Doan

Dans les pages qui suivent, vous découvrirez un monde qui ne ressemble à aucun autre. [R.D.]

Voici donc un travail d'historien qui explore méthodologiquement et conceptuellement de nouveaux territoires, le défi était grand. L'auteur l'a relevé en partie.

J'avais entendu une entrevue radiophonique avec Raphaël Doan. Il y présentait son projet d'utiliser l'uchronie comme support à la réflexion historique. Cela n'est pas fréquent, mais pas totalement nouveau en soi. Là où Si Rome n'avait pas chuté présente un profil distinct, c'est dans la contribution systématique de l’intelligence artificielle à l'élaboration de la société qui aurait pu exister si la chute de l'empire romain n'avait pas eu lieu. Entendons-nous, la part d'invention livrée par l'IA est bien dirigée, encadrée et orientée par l'auteur. Celui-ci n'a pas demandé à l'IA d'écrire d'un seul jet l'ensemble de sa partie. 

Une fois cela dit, chacun des chapitres comporte donc une part d'uchronie rédigée par l'IA. Il y a là un certain intérêt à constater l'invention qui peut être déployée, mais la prose est dite sans couleur et recto tono et on reconnaît l'apport terne de la machine. C’est un peu décevant. L’intérêt principal de cet ouvrage réside dans les commentaires de l'historien qui viennent recadrer, relancer le propos, s'appuyer sur celui-ci pour aller plus loin, puiser dans l’expérience historique pour signifier d'autres pistes. C'est ici que l'on comprend en quoi ce travail peut constituer une participation à la réflexion méthodologique de l’activité de l'historien. Mais, est-ce suffisant? 

On doit noter aussi que le recueil comporte plusieurs illustrations produites par l’intelligence artificielle. Cela relève plus, selon moi, du graphisme anecdotique que de l'illustration contributive.



mercredi 3 janvier 2024

La danseuse - Patrick Modiano

Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. [P.M.]

Non! Je ne crois pas que je puisse épuiser le plaisir que j'ai à lire du Modiano. Certains ont présenté La danseuse comme un condensé de son œuvre. Ce court récit est narré par un jeune alter ego de l'auteur qui, à 20 ans, est lui aussi un auteur en devenir. Il termine alors un premier roman et écrit des textes de chansons. Mais, ce n'est que plusieurs années plus tard qu'il se remémore ces moments, car, au détour d'un feu rouge, il croit voir sur le trottoir qui lui fait face un être issu d'un passé lointain, un passé où le jeune auteur s'occupait de Pierre, l'enfant d'une danseuse qui répétait des chorégraphies de ballets au studio Wacker. On retrouve tout le mystère des romans de Modiano, le jeu de miroir des mémoires incomplètes, la ville qui, avec ses ruelles et ses avenues aux noms oubliés, joue un rôle de soutien essentiel, les personnages fuyants à l'existence fantomatique et le retour en arrière suivant un fil ténu, une adresse, une couleur, un meuble déplacé ou un passant que le narrateur croit reconnaître. 

D’où venaient ces centaines de milliers de touristes dont on se demandait s’ils n’étaient pas les seuls, désormais, à peupler les rues de Paris ? [P.M.]
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18/05/2022

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26/02/2020

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Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier

26/04/2021

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Rue des Boutiques Obscures 

24/08/2015

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Patrick

Un pedigree

01/09/2021



mardi 26 décembre 2023

Échecs - Stefan Zweig

Sur le grand paquebot qui, à minuit, devait quitter New York pour Buenos Aires régnait l’animation habituelle des dernières heures. [S.Z.]
Magnifiquement traduite par Jean-Philippe Toussaint, cette nouvelle version du court roman de Zweig nommé aussi Le joueur d'échecs est un régal. On accompagne le narrateur dans ce huis clos un peu particulier que constitue un navire de croisière, mais surtout, on le suit dans son désir d'en savoir plus sur un grand maître d'échecs qui se trouve à bord, un grand maître bourru qui ne se laisse pas approcher, à moins que ce ne soit dans le silence devant les soixante-quatre cases d’un échiquier, et encore. Et puis, au hasard d'une partie où un ensemble hétéroclite de joueurs affronte collectivement le champion, l'attention va se tourner vers un inconnu qui se mêle de la partie, un inconnu qui, on le saura, a connu aussi sa part de huis clos.

Il y aurait un souffle autobiographique dans cette œuvre qui sera la dernière écrite par Zweig et ne sera publiée qu'à titre posthume. Zweig, en exil, vivait en effet en solitaire et rejouait systématiquement des parties d'échecs de grands maîtres, tel l'énigmatique docteur B.
En somme, aux échecs, vouloir jouer contre soi-même, c’est aussi paradoxal que de vouloir sauter par-dessus sa propre ombre. [S.Z.]

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Zweig

Stefan

Montaigne

07/02/2021


dimanche 17 décembre 2023

Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable - Hervé Le Tellier

Je pense que vous tenez entre les mains une réédition des Amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable, ou mille réponses à la question « À quoi tu penses ? » [...]. [H.L.T.]

Voici encore un ouvrage hors norme, digne du Papou (dans la tête) qu'était Hervé Le Tellier, digne de l'oulipien qui ne recule pas devant les défis que peuvent représenter des contraintes un peu folles, digne d'un auteur qui ne répugne pas la forme courte. Ces mille réponses à la question « À quoi tu penses ? » ratissent large, s'insinuent dans plein de recoins inhabituels, prennent la forme de réflexions inattendues portant sur des sujets tout aussi improbables, se répercutent dans nos propres ruminations et provoquent des sourires en coin qu'on ne peut réprimer. J'ai adoré ce joyeux parcours à petite dose dans les pensées de cet auteur à l'œuvre protéiforme.

Je pense qu'à raison d'un livre par semaine, on finit par en lire trois mille en une vie, et que ce ne sont sans doute pas les bons. [H.L.T.]
Je pense que c'est très facile de démontrer que racine de deux est irrationnel, et que pourtant le concept d’irrationalité a été difficile à admettre. [H.L.T.]
Je pense que Dieu n'a jamais eu complètement le temps de finir l’ornithorynque, parce qu'il lui manque des ailes et une hélice. [H.L.T.]
Je pense que si on me demandait quels livres j’emporterais sur une île déserte, je citerais des livres que j'ai déjà lus, alors que je ferais mieux de choisir des livres que je n'ai jamais lus. [H.L.T.]

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Le Tellier

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27/10/2023

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La disparition de Perek

06/07/2022

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L’anomalie

07/11/2020