jeudi 20 juillet 2017

Il existe d'autres mondes - Pierre Bayard

Chaque fois qu'elle se déshabille devant moi et que son corps surgit à mes yeux dans tout son éclat, je me demande ce qui me vaut cette chance inouïe de passer mes nuits avec Scarlett. [P.B.]
Pierre Bayard qui nous avait offert Comment parler des livres que l'on a pas lus? Pierre Bayard qui s'insinue dans le monde du livre et de la littérature en empruntant diverses portes, en choisissant divers parcours, en traitant le sujet selon des angles toujours plus originaux, nous entraîne ici, par cet essai littéraire, sur le terrain assurément mystérieux des univers parallèles. Il suscite notre curiosité, notre désir d'en savoir plus, de comprendre, si cela était imaginable, l'impact de la théorie des univers parallèles et les traces qu'elle aurait pu laisser sur la littérature, sur nos lectures et donc sur notre vie. Se situant à l'une des frontières multiples entre la science et la science-fiction, il nous convie à une exploration de cette hypothèse, maintenant partagée par plusieurs physiciens, pour y découvrir une possible solution à diverses énigmes que nous a laissées la littérature. Allant des paradoxes des voyages dans le temps au sentiment partagé de déjà-vu, du chat de Schrödinger à la théorie des passages et des glissements entre des univers partageant une grande part de réalité comme dans 1Q84 de Murakami, des écritures inspirées de vies parallèles au plagiat par anticipation, Bayard nous amène par cet exercice ludique de réflexion à saisir que nos lectures sont en quelque sorte des regards sur des univers issus de bifurcations et que souvent les auteurs font office de passeurs.

J'aurai vécu un très beau moment de lecture dans l'étrange univers de Bayard.

Mais qui peut dire avec certitude ce qu'est la lecture juste d'une oeuvre? [P.B.]
..., comme si la lecture donnait cette possibilité, à celui qui se laisse emporter par elle, de passer sans heurt d'un univers dans un autre. [P.B.]
Face aux différentes hypothèses proposées pour résoudre ces énigmes de l'expérience quotidienne, il est juste que, comme aux échecs ou en mathématiques, la solution la plus élégante et la plus simple l'emporte. [P.B.]
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Sur Rives et dérives, à propos de Bayard, on trouve :

Bayard

Pierre

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits

09/05/2021

Bayard

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05/02/2020

Bayard

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Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?

13/06/2009

Bayard

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Et si les œuvres changeaient d’auteur?

07/10/2019

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Le hors-sujet : Proust et la digression

07/09/2022

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08/11/2023

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Pierre

Le titanic fera naufrage

26/09/2020



lundi 10 juillet 2017

La femme qui fuit - Anaïs Barbeau-Lavalette

La première fois que tu m'as vue, j'avais une heure. [A.B.L.]
De mes dernières lectures, voilà sans aucun doute celle qui m'a le plus marqué. Un œil sur une histoire du Québec, un œil sur une histoire de l'art au Québec, un œil sur l'intime, un regard sur une relation particulière, sur un abandon en forme de fuite vers la liberté, sur une attache qui n'a pas vécu.

L'auteure, Anaïs Barbeau-Lavalette, s'adresse à la deuxième personne du singulier à sa grand-mère, Suzanne Meloche, poète du mouvement automatiste, rebelle, militante, passionnée, amoureuse de liberté. Cette forme particulière choisie par l'auteure génère une écriture directe faite de courtes phrases rythmées comme s'il s'agissait d'un dialogue. Mais, il n'y a pas de dialogue, il n'y a pas eu de dialogue. L'auteure n'a pas vraiment connu sa grand-mère et c'est grâce à de multiples recherches qu'elle peut maintenant lever le voile sur quelques éléments du parcours de celle qui n'a pas été en mesure de vivre mère ni grand-mère.
Comment as-tu fait pour ne pas mourir à l'idée de rater ses comptines, ses menteries de petite fille, ses dents qui branlent, ses fautes d'orthographe, ses lacets attachés toute seule, puis ses vertiges amoureux, ses ongles vernis, puis rongés, ses premiers rhums and coke? [A.B.L.]
Anaïs Barbeau-Lavalette n'aimait pas cette femme qui avait abandonné sa mère alors qu'elle était enfant. Pourtant, après sa mort, elle ressent le besoin de la retrouver, de la dire et de reconstruire ce volet manquant dans l'histoire de sa famille.

Je me suis vu happé par cette lecture, happé par le regard sur le Québec des années 40 et 50, happé par un parcours personnel fait de fuites, happé par la reconstitution d'une relation entre l'auteure et sa grand-mère.

Anaïs Barbeau-Lavalette conclut : Tu ne pourras plus t'enfuir.

jeudi 6 juillet 2017

La conjuration des imbéciles - John Kennedy Toole

Une casquette de chasse verte enserrait le sommet du ballon charnu d'une tête. [J.K.T.]
Permettez-moi d'utiliser ici le troisième droit du lecteur tel qu'il a été formulé par Daniel Pennac dans Comme un roman, celui de ne pas finir un livre.  Pennac établissait qu'il y a trente-six mille raisons d'abandonner un roman avant la fin. C'est l'une ou plusieurs de ces trente-six mille qui me portent ici à mettre de côté cette lecture. Je n'ai pas l'impression d'avoir perdu mon temps, mais il me semble qu'après avoir lu près de la moitié de ce roman, j'en ai vu l'essentiel et sa mécanique, bien qu'originale, sombre allègrement dans le répétitif. J'avais mis beaucoup (trop?) d'espoir dans la découverte de cet auteur disparu avant la publication de son seul roman. Plusieurs critiques et la préface même m'annonçaient une tumultueuse et gargantuesque tragi-comédie humaine, je n'y ai lu qu'une série de situations absurdes autour d'un personnage absolument déplaisant, misogyne, raciste et imbu de lui-même, une suite de tableaux qui sont, d'une certaine façon bien écrit, mais qui prennent leur source dans ce qui m'apparaissait être un humour collégien attardé. Cela ne m'a pas satisfait et la poursuite d'une telle lecture aurait été beaucoup plus pénible que le sentiment bizarre d'échec qu'entraîne la mise de côté de ce livre.
Les États-Unis ont besoin d'un peu de théologie et de géométrie, d'un peu de goût et de décence. [J.K.T.]

mardi 13 juin 2017

Au grand soleil cachez vos filles - Abla Farhoud

C'est à Sin el Fil que les Abdelnour ont débarqué, Sin el Fil, un quartier du sud-est de Beyrouth grouillant de vie, plein de soleil, de poussière, de bruits, de cris dès l'aube, en arabe en français en arménien; jupes courtes, foulards islamiques, druzes ou à la Brigitte Bardot, tarbouchs, jeans, djellabas, l'uniformité, ce n'est pas à Sin el Fil qu'on la trouve, ici rien n'est lisse ni propret, tout est mouvant, disparate, tout bouge et change, c'est ondulé, c'est crevassé, aucune ligne droite sauf les murs des immeubles, et encore...[A.F.]
Dans ce roman choral, Abla Farhoud donne la parole aux principaux membres de la famille Abdelnour au moment où ils se réinstallent au pays du soleil après une expérience québécoise dans les années 60. Chacune et chacun des membres de la famille a son regard personnel sur cette réinstallation, sur ce retour, sur l’adaptation que cela suppose, sur le quotidien à reconstruire, sur la vie et les espoirs à réanimer, sur le choc créé par sa propre culture, sur les codes et les signes des relations humaines, sur les contradictions de son peuple d'origine, sur la nouvelle organisation des liens familiaux, sur le soleil et ses effets sur la vie des filles.

Ce sont les membres de la famille Abdelnour qui s'expriment de chapitre en chapitre, mais j'entends le souffle d'Abla derrière. J'entends celle qui nous a offert le merveilleux roman Le bonheur a la queue glissante. On l'entend encore de façon plus criante dans la voix d'Ikram, cette jeune femme qui a entrepris une carrière de comédienne au Québec et qui tente, à l'encontre des codes et du Liban des années 60, de la faire revivre sous le soleil. J'ai l'impression qu'Abla reconstruit pièce par pièce les éléments de son identité et, généreuse, par la publication de ses romans, elle nous donne accès à ce chantier, elle nous donne à voir et à lire cette quête vers elle-même. J'espère d'autres volets de cette recherche.
Même si nous savons que le bonheur a la queue lisse, difficile à attraper et à garder, même si nous savons que le malheur, plus griffu qu'un bouton de bardane, colle à nos vêtements, à notre peau, même si nous savons que nos jours sont comptés, même si nous savons que l'argent n'est ni un fleuve ni un ruisseau, que rien n'est éternel et que la maladie peut frapper à n'importe quel moment, nous profitons au maximum de notre jardin d'Éden. [A.F.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Farhoud

Abla

Havre-Saint-Pierre

15/10/2023

Farhoud

Abla

Le sourire de la petite juive 

13/08/2012


lundi 5 juin 2017

Espèces d'espaces - Georges Perec


L'objet de ce livre n'est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu'il y a autour, ou dedans. Mais enfin, au départ, il n'y a pas grand-chose : du rien, de l'impalpable, du pratiquement immatériel : de l'étendue, de l'extérieur, ce qui est à l'extérieur de nous, ce au milieu de quoi nous nous déplaçons, le milieu ambiant, l'espace alentour. [G.P.]
Que dire d'Espèces d'espaces? C'est l'oeuvre, dont la lecture m'avait été suggérée par ma petite soeur que je ne remercierai pas assez de m'avoir ouvert cette porte et de m'avoir ainsi donner la chance dans les années 1980 de rencontrer Perec (elle-même en avait pris connaissance par l'intermédiaire d'une cousine que je vois trop peu souvent). C'est l'oeuvre qui a construit un pont entre deux de mes passions, la littérature et les mathématiques. C'est une lecture géométrique, c'est une topologie littéraire. C'est une incursion dans le monde de la pensée, de l'imagination, des listes et d'une certaine poésie non feinte. C'est une vision pleine de vertiges portant sur l'univers.

Perec a sa façon bien à lui d'interroger les faits du quotidien, l'anodin, l'infraordinaire, le signifié derrière l'insignifiant. Il dira le lit, la chambre, l'appartement, l'intérieur et l'extérieur, il investira et questionnera l'espace après avoir abordé la ville et son organisation. Ce sont ses exercices de style, ses exercices spatiaux, ses exercices euclidiens et non-euclidiens. Et, par ce parcours du domaine dans lequel il se situe, c'est lui-même qu'il raconte, ce sont ses projets, ses idéaux, ses vies.

À ma première visite à Paris, j'ai voulu voir certains des lieux de Perec. notamment, la rue où il avait habité au moment de l'écriture du roman Les choses, la rue de Quatrefages dans le 5e arrondissement. Ayant oublié mon carnet de notes à l'hôtel, je croyais me souvenir que l'adresse était 4 rue de Quatrefages, j'ai donc pris des photos de la porte d'entrée en question. De retour à l'hôtel après une promenade au Jardin des plantes tout près, je constate que Perec avait habité le 5 rue de Quatrefages. J'ai donc plusieurs photos de ce que voyait Perec lorsqu'il sortait de chez lui. L'espace et la mémoire s'étaient joués de moi.
Comment penser le rien ? Comment penser le rien sans automatiquement mettre quelque chose autour de ce rien, ce qui en fait un trou, dans lequel on va s'empresser de mettre quelque chose, une pratique, une fonction, un destin, un regard, un besoin, un manque, un surplus...? [G.P.]
Si j'en avais le temps, j'aimerais concevoir et résoudre des problèmes analogues à celui des ponts de Königsberg, ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, n'emprunterait que des rues commençant par la lettre C.[G.P.]

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De Perec ou à propos de Perec, sur Rives et dérives, on trouve :

Burgelin

Claude

Album Georges Perec

20/04/2022

Decout

Maxime

Cahiers Georges Perec, no 13, La Disparition, 1969-2019 : un demi-siècle de lectures

11/06/2021

Évrard

Franck

Georges Perec ou la littérature au singulier pluriel 

06/01/2015

Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

Perec

Georges

Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016