mercredi 14 septembre 2022

L'Étoffe du diable : Une histoire des rayures et des tissus rayés - Michel Pastoureau

« Cet été, osez le chic des rayures. » Dans ce slogan quelque peu tapageur, qu’une campagne publicitaire a largement répandu il y a plusieurs mois sur les murs du métro parisien, tous les mots sont importants.  [M.P.]

Pastoureau est un médiéviste français dont l'œuvre s'intéresse particulièrement aux couleurs, aux symboles, à l'héraldique et aux emblèmes présents au Moyen Âge. Depuis longtemps, j'étais tenté par ses ouvrages. C'est par ce bref essai que je m'ouvre à son univers. J'étais curieux de découvrir cette plongée dans la symbolique médiévale des tissus rayés et l'évolution de leur perception au cours de l'histoire. Je n'aurai pas été déçu même si, plus d'une fois, l'analyse repose sur une lecture hypothétique dont l'interprétation pourrait être contestée. Il faut, je crois, accepter le risque d'une possible dérive dans la thèse avancée à moins de n'en proposer aucune et de se dire incapable de se faire une représentation du cadre emblématique du passé. Je préfère apprécier les conjectures de l'auteur qu'elles soient savantes ou même ludiques et me laisser guider par ses soins de la rayure infamante des exclus à celle hygiénique des pyjamas en passant par sa déclinaison marine, celle qui s'inscrit dans les sports, ainsi que toutes les transgressions qu'elle peut receler.

Nombreux sont dans l’Occident médiéval les individus – réels ou imaginaires – que la société, la littérature ou l’iconographie dotent de vêtements rayés. Ce sont tous, à un titre ou à un autre, des exclus ou des réprouvés, depuis le juif et l’hérétique jusqu’au bouffon ou au jongleur, en passant non seulement par le lépreux, le bourreau ou la prostituée, mais aussi par le chevalier félon des romans de la Table ronde, par l’insensé du livre des Psaumes ou par le personnage de Judas. Tous dérangent ou pervertissent l’ordre établi ; tous ont plus ou moins à voir avec le Diable. [M.P.]
« Peigner la girafe », n'est-ce pas mettre en ordre ses taches, tenter d'en faire un zèbre ? [M.P.]

mercredi 7 septembre 2022

Le hors-sujet, Proust et la digression - Pierre Bayard

Proust est trop long. [P.B.]

C'est par cette phrase volontairement tranchante que Pierre Bayard ouvre sa discussion sur le hors-sujet et la digression. Il prend l'œuvre de Proust, en particulier À la Recherche du temps perdu [la Recherche], comme étalon, pour y repérer les digressions volontaires ou non, annoncées ou non, prévisibles ou non, disruptives ou non, et en discuter la pertinence, la nécessité, l'inexorabilité. Si, par certains aspects, cet essai apparaît d'un sérieux théorique plus soutenu, il avance aussi sur un terrain hors-norme et plus divertissant en se donnant le mandat de réduire Proust, d'y retirer toutes les digressions pour n'en conserver que la substantifique moelle. Bayard cite, à cet égard, Gérard Genette qui faisait de la Recherche un résumé radical : Marcel devient écrivain

C'est donc un essai provocateur que Bayard nous propose, un essai comportant sa part de digressions, sa part de défi, sa part de jeu et peut-être, selon moi, une part trop importante de lecture psychanalytique. Mais, l'un dans l'autre, comme on dit, je me suis régalé dans les pages de cet essai et j'ai aimé y retrouver une référence à Laurence Sterne qui, avec La vie et les opinions de Tristram Shandy, nous offre un roman essentiellement constitué de digressions, de parenthèses et d'écarts.

Tout essai sur la digression a, notons-le, vocation encyclopédique. [P.B.]

Aussi la tentation est-elle grande, pour l'essayiste, d'insérer dans son texte les développements qu'il n'est pas parvenu à placer ailleurs. Nous nous sommes efforcé de ne pas abuser de cette situation, même si nous avons été conduit à avancer quelques réflexions sur La Princesse de Clèves, l’épistémologie de Karl Popper et l’histoire des guerres napoléoniennes : tous sujets qui, ne semblant pas s’imposer dans un essai sur la digression chez Proust avec une absolue nécessité, y trouvent, de ce fait, leur place naturelle.  [P.B.]

[...] une digression utile, voire nécessaire, demeure-t-elle une digression ? [P.B.] 

Ce qui est en jeu ici est ce que l’on appelle en théorie littéraire l’intertextualité. Tout texte entretient avec un certain nombre de textes précédents de la littérature des liens d’influence, volontaires ou involontaires. [P.B.]

Non seulement tout texte emprunte à d’autres et se situe dans un rapport objectif, en soi, avec d’autres textes de la littérature, mais il emprunte, pour le lecteur, à d’autres textes qui ont marqué celui-ci et se trouvent de ce fait, subjectivement parlant, dans une relation de dépendance avec lui. [P.B.]

La comparaison entre Proust et des auteurs « digressionnistes » comme Diderot ou Sterne est instructive. [P.B.] 

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vendredi 2 septembre 2022

L’Indifférent - Marcel Proust


Madeleine de Gouvres venait d'arriver dans la loge de Mme Lawrence.
[M.P.]


Proust aurait écrit cette nouvelle vers l'âge de vingt-deux ans. Initialement publiée dans La vie contemporaine, elle aurait été oubliée de tous jusqu'à ce que Philip Kolb, un spécialiste de la correspondance de l'auteur, la récupère. On retrouve sans surprise dans ces quelques pages des thèmes proustiens comme l'amour non partagé, mais l'intérêt se situe aussi dans la préface ou on a l'histoire de sa découverte et l'identification des passages qui sont en lien avec l'œuvre maîtresse, la Recherche. Je crois que cela vaut le court détour.


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vendredi 5 août 2022

Sommes-nous ce que nous lisons ? - Georges Orwell

À l’époque où je travaillais dans une bouquinerie – un endroit que l’on imagine souvent, lorsqu’on n’y travaille pas, comme une sorte de paradis où de vieux messieurs charmants feuillettent à jamais des volumes reliés dans du cuir de veau –, ce qui ne laissait pas de m’étonner était l’extrême rareté des véritables amateurs de livres. [G.O.]
Cette petite plaquette regroupe quatre textes écrits par l'auteur de 1984 et des récits Hommage à la Catalogne et Dans la dèche à Paris et à Londres, quatre textes qui s'intéressent au rapport aux livres : Souvenirs de librairieConfessions d’un critique littéraireLes bons mauvais livres et Des livres ou des cigarettes. C'est dans un style simple, direct qu'Orwell nous fait part, avec une pointe d'humour, de ses expériences de libraire et de critique. On ne peut que constater la pertinence toujours actuelle de ses propos et cela nous questionne sur notre propre relation aux livres et au monde littéraire.

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George

Dans la dèche à Paris et à Londres

11/05/2017


lundi 1 août 2022

Le lectueur - Jean-Pierre Ohl

- Alors, Herr Professor, on a bien mis sa couche ? On est prêt pour le dodo ? [J.P. O.]

Un trio improbable enquête à propos d'une guillotine littéraire et bordelaise. Des messages attribués au lectueur et adressés à des auteurs dont l'histoire de vie n'est pas toujours claire, quelques décès suspects et des symboles sortant du passé viennent titiller le groupe qui s'articule autour d'un vieux libraire écossais et bourru, son ami flic à la retraite ainsi qu'une étudiante en classe préparatoire qui tente de réorganiser la petite librairie débraillée. Voilà, le décor est dressé pour propulser une recherche qui s'aventurera dans d'autres époques, à l'intérieur de milieux littéraire, critique et universitaire qui se laissent bien décrire avec une touche sarcastique tout à propos. J'ai bien aimé ce voyage rue Porte-Dijeaux accompagné de personnages savoureux dans un cadre relevant du polar comme de l'érudition littéraire. Les personnes qui m'ont offert cet exemplaire ne se sont pas trompées.