mercredi 11 septembre 2019

À propos du style de Genette - David Turgeon


J'avais lu quelques romans de David Turgeon et j'y avais trouvé un grand plaisir. Et puis, cet essai est venu à ma connaissance. Je n'avais jamais entendu parler ni de Genette, ni de la narratologie, mais, je ne sais pourquoi, cela m'attirait. M’engager dans la lecture de cet essai aurait pu être difficile. J'aurais pu m'empêtrer dans les concepts, me perdre dans une théorie absconse et n'être plus capable de trouver la voie de sortie. Eh bien non, les réflexions de David Turgeon m'ont fait agréablement découvrir tout un monde, celui de l'art du récit, celui qui tente de nommer des concepts pour l'analyse des structures de l'oeuvre littéraire. J'ai aimé y découvrir, par exemple, les réflexions sur les différents types de narrateurs et l'impact que cela peut avoir sur la façon dont est rendu le récit.

Cette théorie analytique, Turgeon s'est permis de l'appliquer aux propres textes théoriques de Gérard Genette, l'un des fondateurs de la narratologie. La prétention, ici, est que l'on peut fourbir les outils relevant de l'analyse stylistique même lorsqu'il s'agit d'un essai théorique.

Que peut-on dire du style d’un essai théorique? [D.T.]
Le défi m'est apparu relevé, selon l'humble analyse que je peux me permettre.
N’importe quel livre, en théorie, est une porte d’entrée vers la bibliothèque de tous les textes existants. [D.T.]
En parlant de Barthes, David Turgeon s'exclame : « Le propos de Barthes m’est souvent obscur, mais il est un écrivain dont la lecture me procure souvent beaucoup de plaisir, qui donne du grain à moudre à ma pensée. ». Je pourrais probablement exprimer quelque chose de semblable concernant cet essai de David Turgeon; il est clair, vu mon inexpérience dans le domaine, que je n'ai pas tout saisi des idées avancées, mais cette lecture m'a donné matière à réfléchir et j'en suis reconnaissant à l'auteur.


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mardi 3 septembre 2019

La transparence du temps - Leonardo Padura

La lumière crue de l'aube tropicale, filtrée par la fenêtre, tombait comme un éclairage de théâtre sur le mur où était accroché l'almanach avec ses douze cases parfaites, réparties en quatre colonnes de trois rectangles chacune. [L.P.]
Quel plaisir de parcourir pendant un moment le chemin que nous trace un nouvel auteur apparu dans notre bibliothèque! Quand cette nouveauté de personnages, d'intrigues et d'histoires se pare et se déploie dans un lieu qu'on vient de croiser, dans un espace qu'on veut découvrir encore plus, le bonheur est d'autant plus affirmé. Voilà ce que m'a permis la lecture récente de ce polar cubain. On y perçoit la ville de La Havane d'une façon beaucoup plus riche que ce que m'aura permis le court séjour que j'y ai fait il y a quelques semaines. Mais, il est toujours agréable de croiser au fil des pages des places, des lieux, des artères qui font images en accord avec notre mémoire. Mario Conde, ex-policier devenu revendeur de livres et, à l'occasion, enquêteur privé, approche avec difficulté la soixantaine. Il parcourt les rues et ruelles de La Havane. Il cherche, comme la plupart de ses amis havanais, une manoeuvre sinon une manigance pour se maintenir et éviter les ennuis. Puis, un ancien collègue se présente à lui et lui demande de dénouer une affaire où se croisent l'histoire, le marché de l'art, les bidonvilles et des milieux louches. Conde et son groupe d'amis plongent dans cette enquête armés de caféine et de bouteilles de rhum dans la cité de La Havane où une surprenante richesse côtoie parfois la misère.
Poussé par ses urgences urinaires et la nécessité de survivre, il assuma sa décision de sortir du lit, d'ignorer son envie de se plonger dans un bon livre (il y en avait tellement à lire mais il restait de moins en moins de temps pour les terminer !) et même son désir persistant de se lancer lui aussi dans l'écriture.  [L.P.]
La conviction que l'écriture n'est guère plus que la possibilité de construire d'autres êtres à partir de ce que tu as été et de ce que tu es t'avait servi pour tenter de prendre de la distance envers toi-même, pour te voir dans une perspective qui fut finalement révélatrice, à la fois agréable et douloureuse. [L.P.]
Il y a des choses que je sais... mais beaucoup d'autres que j'ignore... [L.P.] 

jeudi 22 août 2019

Le voyage d'hiver et ses suites - Georges Perec / Oulipo

Dans la dernière semaine d'août 1939, tandis que les rumeurs de guerre envahissaient Paris, un jeune professeur de lettres, Vincent Degraël, fut invité à passer quelques jours dans une propriété des environs du Havre qui appartenait aux parents d'un de ses collègues, Denis Borrade.
Il s'agit là de la première phrase d'une courte nouvelle de Georges Perec, Le Voyage d'hiver, une nouvelle parue en 1979. Perec raconte ici comment Degraël découvre un mystérieux recueil signé par un auteur inconnu, Hugo Vernier, et comment ce recueil vient chambouler totalement l'histoire de la littérature française du XIXe siècle.

Ce court texte par son originalité comme par sa potentialité a engendré une déferlante chez les oulipiens. Les auteurs de l'Ouvroir ont, l'un après l'autre, enrichi l'idée, fourni des compléments, corrigé des éléments, transporté l'histoire, augmenté, métamorphosé, transmué, converti l'univers imaginé initialement par Perec jusqu'à le truquer, le travestir sinon le remanier. Ce projet littéraire partagé, cette oeuvre commune, ce roman collectif s'est réalisé sur plusieurs années par l'ajout successif de textes, d'idées, de lettres, de nouvelles écrites par autant d'auteurs réels ou fictifs de la galaxie oulipienne. Cela résulte en un joyeux amalgame où le parcours des méandres des divers développements inattendus forme la trame d'un roman hors-norme, une aventure littéraire comme une expérience d'écriture.

Comme il est agréable de se perdre dans les multiples et délicieuses ramifications que les oulipiens ont construites pour donner des suites à la nouvelle de Perec, Le Voyage d'hiver!

Le pire était l’affaire Si par une nuit d’hiver. Ce livre est à moi, je n’y peux rien, c’est pour moi que Calvino l’a écrit. Je suis la lectrice de Si par une nuit d’hiver un voyageur. Et ils ont réussi à avoir mêlé mon livre à leurs histoires. [Michèle Audin, IV-R-16]  
À qui sait les lire, les textes de Georges Perec n’offrent pas seulement un plaisir d’une qualité rare. Ils peuvent aussi, à l’occasion, faire un don plus précieux encore : c’est une espèce de fièvre, légère mais tenace, et dont on ne guérit, comme à regret, que plume en main. [Marcel Bénabou, se citant lui-même dans Le voyage disert

Tout cela me semblait en parfaite harmonie avec l’image que je m’étais depuis longtemps formée de l’oeuvre de Perec. Si cette oeuvre, me disais-je, est un chantier dans lequel on peut puiser pour reconstruire, c’est que les éléments qui la composent sont assez solides pour supporter d’être ainsi transférés et recyclés.  [Marcel Bénabou, Le voyage disert
Intertextualités

Il n'y a pas si longtemps, je ne connaissais ni Gérard Genette ni la narratologie. Je lisais alors parallèlement Le voyage d’hiver et ses suites ainsi qu’À propos du style de Genette de David Turgeon. Or, voilà t’y pas que dans la suite due à Marcel Bénabou dans le roman collectif, on trouve une référence claire à Genette et à Palimpsestes! Aussi, au même moment, dans une autre lecture parallèle, La Montagne magique de Thomas Mann, le principal protagoniste, Hans Castorp, découvre un lied issu du Voyage d’hiver de Shubert.  Que j'aime me laisser séduire par ces interactions textuelles!

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mardi 23 juillet 2019

Vers la beauté - David Foenkinos

Le musée d'Orsay, à Paris, est une ancienne gare. [D.F.]
Le protagoniste de ce roman, professeur aux Beaux-Arts à Lyon, se reconvertit en gardien de musée. On comprendra assez rapidement que c'est une meurtrissure de l'âme qui l'a amené ainsi à se réfugier loin de sa propre existence et c'est devant un portrait de Jeanne Hébuterne réalisé par Modigliani qu'il jongle avec ses incertitudes existentielles.  Le roman repose sur quatre parties. Alors qu'on tentait dans les deux premières de déchiffrer ce qui a pu faire basculer le personnage principal, dans la troisième, on se tourne vers le passé trouble d'une jeune personne nommée Camille qui, elle aussi, a tenté de s'exprimer par l'art et sa beauté. Vers la beauté c'est en quelque sorte deux appels au secours, deux cris de détresse, deux difficultés à vivre, exprimés avec une grande sensibilité. Toutefois, bien que j'ai été happé tout du long par cette lecture, je ne sais pourquoi, j'ai ressenti comme un manque, comme si un volet de la situation n'avait pas été abordé dans toute sa potentialité.
La curiosité délimite le monde des vivants et celui des ombres. [D.F.]

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Sur Rives et dérives, on trouve :



Foenkinos
David
Le mystère Henri Pick
Foenkinos
David
Qui se souvient de David Foenkinos ? 

jeudi 11 juillet 2019

La promesse de l'aube - Romain Gary

C'est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l'endroit même où je suis tombé. [R.G.]
Je ne sais comment cela a pu se faire, mais je n'avais pas croisé l'oeuvre de Gary (ni celle d'Ajar) avant il y a quelques mois. Je m'aperçois maintenant qu'un univers m'attend et je compte bien m'y aventurer. J'ai osé commencer par La promesse de l'aube, cette oeuvre où Gary se raconte, où surtout il met en lumière tout ce qui le liait à sa mère. En fait, c'est par la voie d'un personnage secondaire, discret et effacé apparaissant au chapitre 7, un habitant du même immeuble que Gary alors qu'il était enfant à Wilno, que cette lecture s'est imposée. Ce personnage, c'est François-Henri Désérable qui le rend intrigant sous sa plume alors qu'il en fait son argument principal pour son magnifique roman Un certain M. Piekielny où il revisite l'oeuvre de Gary à travers une enquête et des réflexions sur l'écriture. La trame imaginée par Désérable présente probablement autant de latitudes que celle mise sur papier par Gary lui-même, mais il a suscité en moi le désir de m’engager dans cette lecture. Gary présentait une tendance à la fabulation et ce n'est pas seulement dans la création de son alter ego Émile Ajar que cela se manifeste. Mais, on ne lit pas La promesse de l'aube pour connaître le pedigree exact de Gary, on lit un roman et on se laisse emporter par le flot de l'amour, de la tendresse et du lien qui s'étale devant nous dans un style simple, riche et teinté d'humour.
[...] après avoir longuement hésité entre la peinture, la scène, le chant et la danse, je devais un jour opter pour la littérature, qui me paraissait le dernier refuge, sur cette terre, de tous ceux qui ne savent pas où se fourrer. [R.G.]
M. Piekielny ressemblait à une souris triste, méticuleusement propre de sa personne et préoccupée; il avait l'air aussi discret, effacé, et pour tout dire absent, que peut l'être un homme obligé malgré tout, par la force des choses, à se détacher, ne fût-ce qu'à peine, au-dessus de la terre. [R.G.]
- Eh bien! quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire... Une flamme d'ambition insensée brilla soudain dans les yeux de la souris. - Promets-moi de leur dire: au no 16  de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny... [R.G.]
J'étais assis dans ma chambre, au rez-de-chaussée de l'hôtel, devant la fenêtre ouverte, occupé à polir le dernier chapitre du roman auquel je travaillais. C'était un superbe dernier chapitre, et je regrette aujourd'hui encore de n'avoir jamais réussi à écrire ceux qui devaient le précéder. À l'époque, j'avais déjà au moins vingt derniers chapitres à mon actif. [R.G.]
Je prenais encore la vie pour un genre littéraire. [R.G.]