jeudi 15 septembre 2016

Évariste - François-Henri Désérable



 
On ne se méfie jamais assez des doigts. [F.-H.D.]
Jeune auteur français, François-Henri Désérable s'attaque ici à un sujet qui m'est cher, la courte vie du plus romantique des mathématiciens, Évariste Galois. Au Québec, Geneviève Billette l'avait fait vivre avec bonheur sur les planches du Théâtre d'aujourd'hui dans Contre le temps. Ici, avec Évariste, nous avons un tout autre traitement. Désérable se lance dans une biographie romancée, une espèce de broderie autour du peu que l'on sait des événements qui ont mené Évariste à se présenter à ce duel. Un duel qui aura mis fin à la vie d'un mathématicien d'exception, à la vie d'un être entier et révolutionnaire dans toutes les sphères de son bref passage ici.
[...] et lui qui n'avait jamais cru en rien, pas même à la poésie, voilà qu'il croyait aux mathématiques, qu'il y voyait l'alphabet grâce auquel, après le claquement de doigts originel, l'univers fut écrit [...] [F.-H.D.]
Évariste est écrit en utilisant un style surprenant. On se sent parfois en déroute avec cette écriture qui passe sans préavis de l'ampoulé très XIXe siècle au populaire actuel, qui parfois s'adresse à une lectrice imaginée qu'il faut séduire, qui toujours hésite sur les limites de ce que l'on peut inventer autour du peu que l'on connaît de la réalité.
Tout cela n'est qu'une hypothèse, bien entendu. En vérité, on ignore ce qu'il s'est passé rue de l'Ourcine au printemps 1832. On ne sait pas si Évariste fit la rencontre de Stéphanie sous un arbre du jardin. On ne sait pas s'il y avait un arbre dans le jardin. Et pour tout dire, on n'est même pas certain qu'il y eut un jardin. (C'est dire si on ne sait rien.) [F.-H.D.]
Je ne prétends pas savoir ce qu'il s'est passé, au mois de mai 1832, dans la pension Faultrier. À vrai dire, je ne suis même pas certain de le vouloir. Je préférerai toujours le mystère aux certitudes bien forgées, le champ des possibles à l’indéniable vérité. [F.-H.D.] 
Désérable, malgré son style déconcertant et sa plume virevoltante, réussit à rendre une époque et à nous peindre l'éclair d'une brève mais combien significative vie dans cette époque mouvementée. Ce fut une lecture réjouissante.
[...] il est cinq heures ; la marquise, étonnamment, n'est pas sortie [...] [F.-H.D.] 


____________Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Désérable
François-Henri
Un certain M.Piekielny

lundi 5 septembre 2016

L'attentat de Sarajevo - Georges Perec

Si je prends aujourd'hui la parole devant vous, c'est pour m'élever contre certaines interprétations abusives et erronées qui ont été données de l'attentat perpétré le 28 juin 1914, à Sarajevo, contre l'archiduc héritier, François-Ferdinand. [G. P.] 
Il s'agit ici d'une oeuvre de jeunesse de Georges Perec dont le tapuscrit a récemment été mis à jour par la cousine germaine de l'auteur, Ela Bienenfeld, qui veille à la publication des écrits de Perec. Une oeuvre de jeunesse, mais aussi une oeuvre toute personnelle où l'auteur de retour d'un voyage à Belgrade, la capitale yougoslave en 1957, où il avait suivi un groupe d'intellectuels et d'artistes duquel il s'était approché, narre une aventure de déception amoureuse en la plaçant en parallèle avec un événement bien réel celui-là, l'attentat contre l'archiduc François-Ferdinand. Le voyage à Sarajevo sera celui d'un idéaliste qui se lance à la conquête d'un cœur déjà pris. Il veut séduire Mila, compagne de Branko, déjà par ailleurs marié. Le protagoniste fomentera également son attentat, l'élimination de Branko par personne interposée.
Elle me glissait sans cesse entre les doigts, échappait toujours à la définition dans laquelle je tentais de l'encercler. C'est peut-être en partie pour cela que j'en devins amoureux.  [G. P.]
Le Georges Perec de vingt et un ans n'a pas l'habileté d'écriture qu'il développera par la suite, mais il utilise ici un artifice qui reviendra plus d'une fois dans son oeuvre, l'écriture en contrepoint de deux univers. Comme le souligne Claude Burgelin en préface de cette édition, il demeure pertinent pour un perecquien amateur (ce que je crois bien être) de plonger dans la lecture du premier roman abouti de Perec pour y trouver ici et là des traces presque imperceptibles de ce que deviendra son écriture.
Dans les multiples branches de l'arbre Perec, beaucoup de lecteurs se sont délectés à grimper ou se nicher. En voici une des racines. Elle plonge loin - et dans les terreaux que Perec n'a plus guère remués par la suite. Mais on voit bien quelle sève elle a pu envoyer dans les branchages que nous connaissons. [Claude Burgelin, dans la préface] 
_____________

Sur Rives et dérives, de Perec ou à propos de Perec, on trouve :

Burgelin

Claude

Album Georges Perec

20/04/2022

Decout

Maxime

Cahiers Georges Perec, no 13, La Disparition, 1969-2019 : un demi-siècle de lectures

11/06/2021

Évrard

Franck

Georges Perec ou la littérature au singulier pluriel 

06/01/2015

Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

Perec

Georges

Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

Perec

Georges

Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016




mercredi 31 août 2016

Voyage au Maghreb en l'an mil quatre cent de l'hégire - Louis Gauthier

Je n'avance plus. Je ne sais plus du tout où aller et je me rends bien compte que je suis parfaitement ridicule, et je rirais volontiers de moi si je n'étais aussi malheureux. [L. G.]
J'ai connu Louis Gauthier en 1970 avec Les aventures de Sivis Pacem et de Para Bellum, une oeuvre
éclatée ou les personnages se révoltent contre l'auteur. Comme le disait la promotion : Sivis Pacem est un oiseau rare et Para Bellum est un drôle de pistolet.

J'ai vécu l'attente interminable mais jouissive d'Anna et puis, j'ai amorcé une traversée avec Louis Gauthier. 

La série des voyages fait partie d'un tout autre projet. On y trouve :
  • Voyage en Irlande avec un parapluie
  • Le pont de Londres
  • Voyage au Portugal avec un Allemand
Ces trois premiers récits repris dans :
  • Voyage en Inde avec un grand détour
Et enfin, le quatrième volet de cette quête c'est :
  • Voyage au Maghreb en l'an mil quatre cent de l'Hégire.
Déjà conquis par les trois premières escales de ce trajet initiatique, je retrouvais Louis Gauthier qui, de sa plume sobre et précise, raconte la recherche de soi qui l'a mené vers l'Inde. Dans le détour de cette étape, il passera du Portugal au Maroc, en l'an 1400 (de l'Hégire) en ayant parfois l'impression d'un certain moyen âge. Ses surprenantes rencontres sur un parcours qui va de Marrakech à la Tunisie en passant par l'Algérie ne contribuent malheureusement pas à l'approcher de son ultime objectif, le pays de Gandhi. Mais, est-ce qu'il tient vraiment à se rendre en Inde? On ne sait plus. Il ne sait plus. L'auteur en quête de mots, l'homme blessé zigzague de villes en villes.
Je ne suis pas non plus un écrivain public, je suis un écrivain privé. Privé d'argent, d'amour, de gloire, privé de tout. [L.G.]
On suit cet écrivain dans sa recherche, dans sa quête, et dans son parcours alambiqué alors que se tiendra bientôt (on est en 1980) au Québec un référendum qui pourrait donner le coup d'envoi à une nouvelle nation.
Je considère quant à moi que toute fiction est une autofiction, puisqu'on ne peut jamais sortir de soi. J'ajouterais même que toute vie est une fiction, puisque nous inventons notre réalité. Mais il est évident que certaines autofictions le sont plus que d'autres, ce qui est le cas de cette série des « Voyages », écrits à partir d'un voyage que j'ai réellement fait en 1979-1980. [L. G. cité dans une entrevue pour Le Libraire]
J'aurai suivi Louis Gauthier tout au long de ce pèlerinage et je suis loin de le regretter.

mercredi 24 août 2016

Sucre de pastèque et La pêche à la truite en Amérique - Richard Brautigan

À Sucre de pastèque les jeux étaient faits et refaits comme ils le sont dans ma vie à sucre de pastèque. [R. B.]

Éric Plamondon avec Mayonnaise m'avait mis sur la piste. Je ne pouvais plus reculer. Il était maintenant de mon devoir de lire du Richard Brautigan. C'est Sucre de pastèque qui m'a séduit, plus que La pêche à la truite en Amérique qui est pourtant son ouvrage le plus connu. En fait j'ai débuté la lecture de ce recueil par Sucre de pastèque et j'y ai retrouvé les morceaux d'univers éclaté que Plamondon nous avait annoncés. J'ai plongé tête première dans ce conte poétique en fragments de sucre de pastèque. J'y ai trouvé des tigres parlants qui excellent en arithmétique, de vieilles truites sages, des statues légumières et des cercueils plongés au fond du ruisseau. J'y ai trouvé une poésie surréaliste proche de l'absurde et une ribambelle de belles tournures de phrases.
Parfois, je reste des heures au même endroit, presque sans bouger. (J'ai même vu le vent s'arrêter dans ma main.) [R. B.]
J'avais neuf ans et des difficultés en arithmétique. [Un zeugme de R. B.]
De son corps montait une douce odeur de sommeil. [R. B.]
Les mains. Nous sommes rentrés à Pensemort à pied, en nous donnant la main. Les mains

c'est très gentil surtout quand elles reviennent de faire l'amour.
[R. B.]
En préface à l'édition française, Michel Doury tentait de décrire la tenue de plume de Brautigan. Quand on lit cette description, on s'aperçoit qu'elle aurait très bien pu concerner l'écriture de Plamondon dans Mayonnaise.
Il procède par anecdotes, historiettes, notes que l'on imagine prises sur de petits bouts de papier retrouvés au fond des poches, et qui finissent par faire un livre, un livre avec beaucoup de blancs, des blancs qui donnent de l'air et relient ces chapitres entre eux, livre à lire en marchant, ou même en voiture aux feux rouges. [Michel Doury en préface à l'édition française de La pêche à la truite en Amérique]

_____________________

De Brautigan, sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Brautigan

Richard

L’avortement, une histoire romanesque en 1966

18/07/2020

Brautigan

Richard

Un privé à Babylone

13/12/2016

samedi 20 août 2016

Mayonnaise - Éric Plamondon

 Puis un jour j'y suis arrivé. J'ai réussi à faire une mayonnaise. [É.P.]
À l'occasion d'une visite très appréciée de la toute nouvelle et magnifique Maison de la littérature à Québec, je m'attarde à un présentoir et j'y trouve en montre ce volume II de la trilogie 1984 d'Éric Plamondon, Mayonnaise. Au moment de sa sortie en librairie, il m'avait intrigué, mais, sans savoir pourquoi, son clin d’œil n'avait pas été suffisamment convaincant pour que je me l'approprie. Dans une disposition, ce jour là, plus qu'adéquate, je feuillette donc l'ouvrage et m'assoie confortablement pour en débuter une lecture intéressée. Je découvre alors une écriture particulière, faite de fragments, de minuscules réflexions, de tranches de vie, d'éléments d'histoire, de poésie en haïku, de miniatures d'essai. Bien appâté, cette fois-ci, j'en conclurai que je dois lire Mayonnaise.

Dans les jours qui suivent, je plonge. Sur quoi portent donc ces morceaux d'écriture qui m'avaient attisé? Sur le personnage de Gabriel Rivages et ses questionnements existentiels, sur son engouement pour l'écriture et la vie mouvementée de Richard Brautigan, le dernier des beatniks, et ... sur la façon de faire lever une mayonnaise.

À quarante et un ans, je ne serai jamais quelqu'un d'autre que moi-même, Gabriel Rivages.
Ai-je pour autant raté ma vie?
  [É.P.]
Il faut que j'avoue, je ne connaissais pas Richard Brautigan, ni son livre le plus populaire La pêche à la truite en Amérique. Plamondon et Rivages m'auront fait découvrir et apprécier cet auteur iconoclaste.
Dans l'euphorie générale, Brautigan reprend le micro et s'exclame : " I love chaos! ".  [É.P.]
Plus j'en apprenais sur Brautigan et plus je m'avançais dans la lecture de Mayonnaise, plus je comprenais que Plamondon avait adopté le style et la façon de Brautigan pour en parler. Comme le mentionnait un libraire du Port de tête : « Ça ressemble à du Brautigan, ça parle de Brautigan, ça goûte le Brautigan, mais ce n'est pas du Brautigan. C'est le Mayonnaise, et c'est très bon. »
Brautigan écrit comme il pêche. Il nous appâte avec un détail et file dans la vie et la mort. Au dernier moment, il ferre d'un trait d'humour. Il nous tire de la rêverie comme une truite hors du torrent. [É.P.]
J'ai couru chercher La pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan.

Est-ce que je peux conclure en précisant que j'ai apprécié cette Mayonnaise? Je crois assurément qu'elle a bien pris.
Il y a deux sortes d'écrivains. Ceux qui ont du talent et ceux qui ont besoin d'une bonne psychanalyse. [É.P.]