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mercredi 6 septembre 2023

La nageuse au milieu du lac - Patrick Nicol

J’aime cette femme qui court, affolée comme les poules sans tête de son enfance; j’aime ses parents, estropiés par l’usine ou les instruments du sol; j’aime sa famille assise autour de la table, emplissant les bancs jusqu’à déborder, jusqu’à couler entre les lattes du plancher.

De Patrick Nicol, je n’ai lu que récemment J‘étais juste à côté. J’ai été happé par son écriture et me suis bien promis de replonger dans l’un ou l’autre de ses écrits. Le hasard m’a fait croiser La nageuse au milieu du lac au détour d’une librairie de livres usagés. La décision fut rapidement prise et me voilà, de nouveau, en contact avec la plume de Nicol et je suis le parcours surprenant de sa pensée entre l’empathie et la critique sociale, entre l’expérience actuelle et la mémoire ranimée. La forme peut dérouter dans un premier temps, mais on accepte rapidement que La nageuse au milieu du lac se situe quelque part entre le roman et le recueil de textes, un magnifique collage où le fil rouge est constitué du rapport qu’entretient le narrateur, un enseignant de cégep, avec sa mère, qui, âgée de 80 ans, souffre de démence. Entre mémoire et souvenirs, entre enfance oubliée et vieillesse obligée, Patrick Nicol libère des moments de tendresse et nous offre ainsi un admirable ouvrage.

Dans un silence de Satie, on ne sait jamais quand la prochaine note tombera, ni laquelle ce sera. Malgré tous nos savoirs, et peut-être un peu à cause d’eux, nous l’attendons là où elle n’arrivera pas. Nous pensons compléter en esprit les phrases musicales, mais nous nous trompons. La note attendue arrive toujours à côté, plus haut, plus bas, en retard ou en avance. On dirait que l’artiste se moque de nous; je préfère croire qu’il nous taquine, et que ce jeu n’est possible, justement, que parce que l’auditeur a une certaine expérience de la musique.

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Nicol

Patrick

J’étais juste à côté

27/02/2023


 

vendredi 1 septembre 2023

Georges Perec en dialogue avec l'époque et autres entretiens - Georges Perec

Quel plaisir de lire ces entretiens que Georges Perec a tenus depuis la publication du roman Les choses en 1965 jusqu'en 1981, quelque temps avant son décès, des entretiens où il fait état de ses œuvres, du contexte de leur écriture, de l'état d'âme qui les a faites naître. On a là des entretiens qui sont parfois teintés d'un thème prédominant comme la mémoire, le jeu ou les contraintes, des entretiens qui souvent coïncident avec les dernières publications : Les choses, Un homme qui dort, La boutique obscure, Je me souviens ou La vie mode d'emploi. On lit l'importance que l'Oulipo a pu avoir dans sa démarche. 

Les réflexions de Perec sur sa production demeurent toujours exaltantes pour qui cette oeuvre est connue et essentielle. Je ne me cache pas d'être de ceux-là. J'ai donc savouré ces retours en arrière où Perec s'exprime sur ses projets aussi divers que pertinents. 
Si vous voulez : « Mourir d'amour me font, belle Marquise, vos beaux yeux », c'est le début de la littérature. Le résultat n'est pas très bon, mais c'est la même démarche : quand M. Jourdain comprend que la charge « poétique » de sa phrase change avec l'ordre de ses mots alors que le sens reste le même, il découvre la littérature. Et je crois que la première méthode que l'on peut mettre en œuvre pour aboutir à cette attitude, c'est le jeu. [«Et ils jouent aussi... Georges Perec», Propos recueillis par Jacques Bens et Alain Ledoux, Jeux & Stratégie, no 1, février 1980]

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Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

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Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

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Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016

 

dimanche 27 août 2023

Contes liquides - Jaime Montestrela (Hervé Le Tellier)

C'est un peu par hasard que je suis tombé sur un exemplaire des Contos aquosos du poète portugais Jaime Montestrela, alors que j'explorais la bibliothèque d'un ami lisboète à la recherche d'un de ces livres que l'on s'est promis depuis toujours de lire, mais que l'on n'aura généralement que le temps de feuilleter négligemment au coin d'un feu avant d'aller faire le quatrième au bridge. [H.L.T.] 

Depuis un certain temps, je cherchais cette édition des Contes liquides pour enfin la trouver tout bonnement à la bibliothèque. Montestrela est un auteur qu'Hervé Le Tellier dit avoir découvert, mais ce poète semble bien appartenir à la même catégorie que Jean-Baptiste Botul et sortir tout droit de l'imagination de son traducteur qui avoue candidement ne pas parler portugais. Cela n'enlève rien à la valeur intrinsèque de ces contes qui auraient ravi les membres de l'Oulipo, ceux-ci ayant d'ailleurs convié Montestrela à l'une de leurs réunions au titre d'invité d'honneur selon les dires de Le Tellier. Ces contes, ils tiennent chacun en quelques phrases, toujours moins d'une demi-page. On pourrait dire que la plupart sont de nature anthropologique, mais ils contiennent tous un haut degré d'absurde, de dérision et d'humour contenu. Ils se savourent à petites doses en feuilletant et se laissant guider, à la page suivante, vers un autre lieu, un autre univers, un autre versant du non-sens. Une lecture réjouissante, s'il en est.

Les chercheurs de l'Université de Leipzig, qui travaillent sur la discontinuité entre l'homme et l'animal, ont pu prouver qu'une rupture fondamentale s'est produite le 18 janvier 142 152 avant J-C, à 16h24. Ils cherchent désormais la nature exacte de l'événement. [J.M.]

Dans certaines régions d'Ishgabistan où la religion envahit toutes les sphères de la vie sociale, seuls les athées ont droit à une vie avant la mort. [J.M.] 

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Le Tellier

Hervé

La disparition de Perek

06/07/2022

Le Tellier

Hervé

L’anomalie

07/11/2020



lundi 7 août 2023

La diagonale Alekhine - Arthur Larrue

À cette époque, le champion du monde d'échecs s'appelait Alexandre Alexandrovitch Alekhine et il avait la coquetterie de ne pas vouloir porter de lunettes en dehors du jeu. [A.L.]

Je ne connaissais ni Alekhine ni Larrue, mais l'idée de ce roman tournant autour de la vie d'un champion d'échecs russe naturalisé français qui aura maintenu son titre avant et après la Seconde Guerre mondiale, qui aura été le premier champion du monde à reconquérir son titre et le seul à mourir alors qu'il le détenait, m'intriguait. J'ai trouvé là une intéressante histoire qui s'entretissait allègrement avec les chambardements du monde, avec l'absurdité de la guerre et les déclarations contradictoires qu'elle suscite. L'écriture est fluide, bien que le style et le registre employés par l'auteur semblent varier de chapitre en chapitre, ce qui m'a parfois déstabilisé. Dans l'ensemble, toutefois, j'aurai eu du plaisir à lire ce roman inspiré de ce personnage sombre et ambigu qu'aura été Alexandre Alexandrovitch Alekhine.

Alekhine ne semblait admettre aucune différence entre les guerres napoléoniennes qui avaient redessiné l'Europe et ses combats sur l'échiquier. Quand Alekhine parlait, Lupi avait l'impression que le jeu comptait autant que l'histoire réelle. L'influence dont Alekhine se sentait doté dépassait l'échiquier et le seul enjeu des tournois. Elle agissait directement sur le monde et sur les hommes. Par l'effet d'une sorte de confusion ancrée dans son esprit, les échecs n'étaient plus la métaphore d'une bataille, mais la bataille elle-même. [A.L.]

Staline tenait à jour des listes d'hommes à abattre, dressait des listes de bourreaux pour les abattre, puis des listes de bourreaux pour abattre les bourreaux, et ainsi de suite... [A.L.]

lundi 31 juillet 2023

La salle de bain - Jean-Philippe Toussaint

Lorsque j’ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m’y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. [J.-P.T.]

Comme avec Fuir que j'avais récemment lu, l'auteur nous déstabilise. On entre dans ce roman avec l'impression qu'il nous manque une clé, puis c'est ce manque qui prend toute la place. On l'apprivoise, on apprécie le décalage. Et puis, on y trouve un humour retenu, de l'absurde fellinien, un quotidien déjanté, une philosophie du temps qui passe. Un jeune homme est allongé depuis quelques moments dans sa salle de bain alors que des peintres polonais effectuent des travaux dans l'appartement que le protagoniste partage avec sa compagne, galeriste. À l'aide de touches minimalistes, l'auteur, dans la peau du narrateur, décrit comme un spectateur de sa propre vie les aléas d'un ensemble de faits divers qui basculent dans une fuite inexpliquée vers Venise et des rencontres incongrues. Tout cela est écrit avec toute la fluidité de la plume de Jean-Philippe Toussaint qui nous entraîne ainsi dans d'agréables moments de lecture.

Des débats ont été engagés, dirait l’ambassadeur, des suggestions émises, des conclusions tirées et des programmes adoptés. Ces projets, qui ont été élaborés dans le sens de l’harmonisation des textes, visent, à travers une définition précise des études préalables, à renforcer la mise en œuvre des dispositions établies lors de la précédente réunion. Les mêmes dispositions tendent, du reste, à inspirer aux participants une programmation plus rigoureuse de leurs activités d’étude pour une meilleure maîtrise des projets, de manière à mettre en œuvre les modalités d’une amélioration de l’efficacité pratique des capacités. [J.-P.T.]

L’ancien locataire, homme distingué, regardant la bouteille, estima que c’était du très bon vin, mais nous confessa avec un rire prudent qu’il n’aimait pas le bordeaux, préférant le bourgogne. Je répondis que moi, je n’aimais pas tellement la façon dont il était habillé. Son sourire fut gêné, il rougit. Il y eut un certain froid du reste, la conversation ne reprit pas tout de suite. [J.-P.T.]

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Toussaint

Jean-Philippe

Fuir

14/05/2023


 

mercredi 28 juin 2023

Le monde se repliera sur toi - Jean-Simon DesRochers

Cette phrase, qu'est-ce que je disais ? Fixant la moulure du plafond, Noémie cherche les mots qu'elle vient à peine de prononcer dans un rêve. [J.-S.D.]

La théorie des Six degrés de séparation émise en 1929 se voit régulièrement réformée par l'omniprésence des réseaux sociaux. Selon certains, on en serait à un peu moins de cinq. Jean-Simon Desrochers, l'auteur, notamment, de La canicule des pauvres qui se trouve dans ma pile de livres à lire, joue de ce principe pour nous offrir un roman qu'on pourrait dire « à relais ». Chaque chapitre constitue une parcelle du monde, un regard oblique sur la société, un interstice dans le théâtre de l'humain. Puis, un personnage de cette minuscule tragicomédie en est extrait pour devenir le cœur du chapitre suivant. Et le même procédé est répété de chapitre en chapitre, de ville en ville. C'est en cela que le monde se replie sur le lecteur. Avec quelque trois tours du monde, les minuscules récits concoctés par Desrochers participent à une magnifique polyphonie qui fait intervenir près de cinquante personnages s'entrecroisant, certains plus d'une fois. La scène globale que nous dépeint Desrochers est faite de solitudes, de dépossession, de terrorisme, de bonheurs cachés, d'écologisme militant, d'espoirs menacés. Et puis, on en conclut, après ce tour de force, que le monde est bien petit.

De Paris à Zhèngzhôu, l'illusion de proximité se gère à coups de fils de cuivre, de fibre optique et de serveurs informatiques, réalité que Feng a peine à se figurer autrement qu'en appuyant sur les icônes d'un écran; grâce à une magie sans mystère, son image peut se retrouver presque n'importe où. [J.-S.D.]

 

dimanche 25 juin 2023

Crépusculaires - Stanley Péan

L'autre soir, en songe, au milieu du labyrinthe où s'amalgament le présent, le passé et l'avenir, l'homme que je suis aujourd'hui a revu le jeune homme que j'étais au moment de ma découverte de Jorge Luis Borges. [S.P.]

Stanley Péan, cet homme de radio et d'écriture, renoue avec ce genre trop peu loué que sont les nouvelles. Et il le fait, dans des formats variant de quelques lignes à quelques pages, avec toute l'expérience qu'il transporte. En peu de mots, il sait faire naître des univers étranges, mystérieux, parfois oniriques, parfois bien ancrés dans le réel, des univers qui partagent avec le titre choisi ce clair-obscur caractéristique du peintre Caravage. On rencontre des êtres éprouvés, confrontés à la perte, cherchant tout de même des raisons de continuer au-delà du départ, plus loin que la mer, dans des zones insoupçonnées. La littérature et la musique ne sont jamais loin des inspirations de l'auteur et son écriture coule entre la mort et l'espoir, entre le passé et le renouveau, entre le blues et le jazz.

Accablée par un soleil de plomb tout l'après-midi, Montréal au grand complet donnait l'impression de suffoquer dans la quête désespérée d'un peu de fraîche, d'un peu d'ombre, d'une ondée bienfaisante.  [S.P.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Péan

Stanley

De préférence la nuit

28/12/2022

Péan

Stanley

Jazzman 

19/09/2010

 

mercredi 7 juin 2023

Les dieux ont soif - Anatole France

Évariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV, s'était rendu de bon matin à l'ancienne église des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siège à l'assemblée générale de la section. [A.F.]
La période postrévolutionnaire qu'a été La Terreur ne m'était pas bien connue. Je connaissais le rôle qu'y avait joué Maximilien Robespierre, mais je ne savais rien de la dérive qui avait mené là. Bien sûr, c'est un roman, bien sûr, plusieurs des personnes qui interviennent dans ce roman demeurent des personnages fictifs, mais je crois bien qu'Anatole France a su décrire de façon particulièrement juste l'atmosphère qui a pu régner dans les ans II et III de la jeune République française. En retraçant l'évolution du jeune peintre et citoyen patriote Évariste Gamelin, autant dans son quotidien et ses amours naissantes que dans ses convictions et ses positions politiques en regard de la république, c'est toute une société qui se cherche dont Anatole France a voulu brosser le tableau. On verra la foule parisienne s'émouvoir à la mort de Marat, la place de plus en plus grande qu'occupera le tribunal révolutionnaire, l'engagement comme juré du jusqu'au-boutiste Évariste Gamelin, sa dérive, transporté par la force des événements, de convaincu qu'il était à bourreau de ses proches. On constate le déraillement des meilleurs sentiments vers des actes d'atrocité portés par la guillotine. Voici donc un magnifique roman historique dont la lecture, à toute époque, amène son lot de résonance avec l'actualité et ne manque pas de provoquer des réflexions sur le monde.
La Révolution avait dans toutes les maisons renversé la marmite. Le commun des citoyens n'avait rien à se mettre sous la dent. [A.F.]

dimanche 4 juin 2023

Ma vie d'espion - Thierry Horguelin

En ce temps-là, j'aimais vivre ma vie comme un roman d'espionnage. [T.H.]

Quelque part entre la nouvelle et le roman se situe la novella. Ici, on aurait une délicieuse novella qui se déroule dans le monde de l'art contemporain et qui se prend pour un polar ou un roman d'espionnage.  On se laisse rapidement prendre par ce jeu qu'instaure le personnage principal qui consiste à s'imaginer comme acteur d'une intrigue impliquant filatures et services secrets. Puis, les aléas du quotidien du photographe d'art viennent, au détour d'expositions hors norme, attester le jeu de rôle qu'il s'imposait. Dans des cadres totalement inusités ont lieu des manifestations artistiques relevant du domaine de l'installation, manifestations sous la gouverne d'une mystérieuse galeriste aussi éphémère dans sa présence que les œuvres qu'elle promeut sans pourtant en autoriser la photographie.

On se laisse agréablement mener par une écriture allègre faite de phrases courtes comme pourrait l'imposer l'intention de style. Voilà donc une joyeuse lecture qui me laisse découvrir un auteur dont je ne connaissais pas la plume.

Manzoni [...] pratiquait une forme de radicalité. Elle travaillait avec peu de moyens et sans souci de se faire une place sur le marché de l'art. [...] elle professait une théorie de l'effacement. Visites sur invitation seulement. Pas de catalogues. Pas de site web. Pas de page Facebook. Jamais de photos des expos, défendu, verboten. Une exposition ne devait pas laisser d'autre trace que le souvenir d'une expérience dans la mémoire de ses visiteurs. [T.H.]

mercredi 31 mai 2023

Qui de nous deux ? - Gilles Archambault

Écrire ne m’a jamais consolé de quelque peine. [G.A.]
L'écriture de Gilles Archambault émeut toujours, mais jamais autant que lorsqu'il s'insinue dans le genre autobiographique, lorsque, comme ici, son discours intimiste relate un couple, le sien, qui se voit démembrer par l'arrêt de la vie. L'écriture de cette chronique, ce journal, est la voie qu'Archambault a trouvée pour faire face à la mort de sa conjointe des cinquante dernières années. Évocation de moments heureux, tendresse partagée, amours ordinaires, sincères et durables. Archambault relate les douleurs des derniers instants, la peine et le désarroi devant l'inévitable, mais aussi les souvenirs agréables d'un parcours de vie à deux. 
Je suis essentiellement un nostalgique. [G.A.]
Voilà donc un récit d'une tranquille délicatesse où l'auteur, bien qu'il se livre à cœur ouvert, fait discrètement intervenir ses amis de toujours les livres qui l'ont touché, les écrivains qui l'ont accompagné et des souvenirs de lecture. La littérature tout entière n'est-elle pas un effort pour rendre la vie bien réelle, tel que l'affirmait Fernando Pessoa ? 
« C’est chose tendre que la vie, et aisée à troubler », écrit Montaigne. La tendresse ne nous avait pas quittés. La vie nous menaçait. [G.A.]

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Archambault

Gilles

À peine un petit air de jazz

05/02/2018

Archambault

Gilles

En toute reconnaissance, Carnet de citations plutôt littéraires

14/04/2019

Archambault

Gilles

L’ombre légère 

29/01/2012


samedi 27 mai 2023

Les crépuscules de la Yellowstone - Louis Hamelin

Ce livre raconte la remontée d’un fleuve. [L.H.]

Que voilà un parcours intéressant, le périple de John James (Jean-Jacques) Audubon, l'auteur des magnifiques planches des Oiseaux d'Amérique, sur le Missouri et le Yellowstone, en territoire indien, en dessinant tout du long des espèces sauvages. Audubon, vieillissant, s'aventure en 1843, dans cette contrée mythique, accompagné du trappeur Étienne Provost dans l'espoir de garnir ses cahiers de dessins de quadrupèdes particuliers et d'oiseaux remarquables. Cela se fait dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. S'ils traversent des territoires indiens peu explorés, Audubon, son équipe, Provost et les chasseurs métis qui les accompagnent sont à l'affut des troupeaux de bisons. Les règles respectées dans une expédition naturaliste de l'époque sont à des années-lumière de celles d'aujourd'hui. Le contexte est plutôt celui d'un prédateur en chasse, ce qui anticipe le massacre qui suivra. Beau paradoxe. Mais, cela est magnifiquement raconté par un auteur qui, lui-même ornithologue, manifeste du respect devant le chant d'un oiseau et les lithographies réalisées par Audubon. 

D'ailleurs, on accompagne également le narrateur dans sa démarche, ses souvenirs et sa visite des mêmes terres maintenant parsemées de puits de pétrole, la destruction se poursuit. Les crépuscules de la Yellowstone est un roman à nul autre pareil. L'auteur le qualifie de western écologique, c'est aussi un regard sur l'histoire du fait français en Amérique.

Je feuillette lentement les reproductions des lithographies originales, avec le mélange de studieux respect et de dévotion admirative qui convient à la lecture d’un livre sacré. Ces oiseaux qu’il massacrait pour mieux les peindre, personne, avant lui, ne les avait rendus aussi vivants. [L.H.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]

dimanche 14 mai 2023

Fuir - Jean-Philippe Toussaint

Serait-ce jamais fini avec Marie?  [J.-P.T.]

Des mystères, des hasards, quelques circonstances et coïncidences, et l'étrange sensation que le monde se déroule en dehors de nous, voilà ce qu'on peut ressentir devant cette nébuleuse mission professionnelle réalisée pour Marie, la femme avec qui le protagoniste dépassé du roman vient de rompre, lui qui est entraîné dans un tourbillon incontrôlable et l'étrangeté d'un parcours de train entre Shanghai et Pékin, en passager sur une moto endiablée près de la Cité interdite, puis sur l'île d'Elbe pour accompagner le deuil de Marie. Ce court roman est magnifiquement écrit d'une plume qui assume totalement son décalage. J'ai aimé me laisser guider par ce narrateur qui ne semble pas comprendre plus que moi et qui transmet son désarroi dans cette fuite en écriture.

Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée). [J.-P.T.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Toussaint

Jean-Philippe

La salle de bain

31/07/2023




dimanche 5 février 2023

Le sanatorium des écrivains - Suzanne Myre

Exaspérée de m'entendre soupirer aux dix secondes, Corinne, ma « copine », avait ramassé ses affaires aussi vite qu'un typhon à deux bras (c'est l'image qui m'est restée) pour s'en retourner vivre chez elle, emportant dans son maelström mon pote, son chat. [S.M.] 
Le thème m'attirait. Je connaissais l'auteure de nom et j'en avais une opinion favorable sans avoir lu l'une ou l'autre de ses productions, principalement des nouvelles. Pourquoi ne pas me lancer dans cette lecture québécoise ? Je ne l'aurai pas regretté. J'ai souri et même ri plus d'une fois aux pointes d'humour, de cynisme et de satire qui visent le milieu littéraire. J'ai suivi avec intérêt les déboires de Christian Granger avec l'écriture, la critique et la fuyante inspiration devant le projet d'un deuxième livre. Il est attiré par la réclame d'un centre pour auteurs désespérés, un sanatorium pour écrivains en panne. Les yeux bandés, il est introduit, après avoir laissé son cellulaire en consigne, dans le mystérieux lieu où les auteurs en manque de souffle doivent se choisir un pseudonyme au nom d'un auteur décédé. Pour lui, ce sera Edgar Allan Poe. Il côtoiera notamment Arthur Rimbaud, Gabrielle Roy, Daphné du Maurier, Tatiana de Rosnay et J. D. Salinger, les pseudonymes de ses collègues. Sont organisés des ateliers d'écriture, des marches en nature et un ensemble d'activités voulant stimuler la créativité des auteurs qui apparaissent comme autant de personnages décalés. Puis une trame plus inquiétante se glisse dans l'expérience qui se déroule dans cette « bâtisse digne du château de Dracula ». Edgar et Daphné vont amorcer une enquête. Mais que vient faire David Foenkinos dans cette galère ?

Voilà donc un récit fantaisiste qui contient une bonne part d'autodérision.

mercredi 11 janvier 2023

Le théorème de Kropst - Emmanuel Arnaud

Laurent Kropst avale son bol de lait, glisse sur la rampe de l'escalier tournant de son foyer de pierres et s'imprègne de l'humidité des pavés du dehors, tout juste lavés par les services municipaux de propreté. [E.A.]

Mon expérience d'études universitaires en mathématiques se situe dans un autre lieu, dans une atmosphère très différente, avec une approche bien distincte en ce qui regarde la compétition et la hiérarchie. Le contexte était tout autre, mais, tout de même, la lecture de ce premier roman d'Emmanuel Arnaud m'a replongé dans cette époque où je partageais avec mes collègues le bonheur d'une résolution accomplie, le ravissement devant une démonstration bien ficelée, le plaisir esthétique ressenti face à l'élégance mathématique, l'étincelle de joie lorsque l'intuition était fructueuse. Cela m'a rappelé les différences dans les approches qu'on pouvait avoir devant un problème à résoudre. Certains se lançaient selon le premier angle perçu dans des calculs à ne plus finir, ils utilisaient une force brute pour attaquer le problème jusqu'à ce qu'une solution se présente, quelle qu'en soit l'allure. D'autres méditaient devant le problème, cherchaient l'interstice par lequel se faufiler, tentaient de voir plus grand que le contexte du problème, cherchaient la belle solution, celle devant laquelle on ne pouvait que s'exclamer. Parfois, l'éclair ne venait pas, mais lorsqu'elle se présentait, cela devenait l'évidence, une évidence raffinée, et on se demandait comment il était possible d'être passé à côté tant de fois sans la voir. 

Pour en revenir au roman d'Emmanuel Arnaud, on accompagne Laurent Kropst dans sa formation de maths-sup à Louis-le-Grand. Il est confronté à la compétition en vue d'atteindre les grandes écoles. Le roman porte plus sur l'environnement brut des élèves que sur l'expérience d'études des mathématiques bien qu'on trouve de belles descriptions de l'intuition et des divers fonctionnements face à un examen. Kropst sera séduit par une autre version du monde, celle des filles des classes littéraires. Il trouvera peut-être là une solution à son problème de notes. Voilà donc un roman agréable qui décrit une expérience de découverte et d'initiation.

[...] il est sur le point de tousser lorsque brusquement, comme par magie, il reçoit cette offre de la pensée aléatoire qu’on appelle parfois une “illumination”. Il regarde les équations gigantesques inscrites sur ses feuilles volantes, l’“ENTROPIE”, la “THERMODYNAMIQUE”, le “SECOND PRINCIPE”, les sommes infinies, les alignements grecs. Il vient de songer une seconde, une seconde seulement, de façon détachée à son “intuition”. Il a été extérieur à lui-même pendant un laps de temps infime, mais cela a suffi. [E.A.]
Je ne suis pas Cédric Villani. Je suis un simple sup à Louis-le-Grand, c’est-à-dire une grosse branche informe. Mais une branche également infiniment maligne… [E.A.]

Tous ces romans que lisent les khâgneux ne sont pas seulement des histoires, ce sont des modes d’apprentissage du monde. Ce ne sont pas seulement des plaisirs, ce sont des exemples. Les livres sont les modes d’apprentissage des voies de traverse de la vie, voilà pourquoi elle me les fait lire…  [E.A.]

Est-ce que les mathématiques n’auraient donc toujours été pour lui qu’un simple vecteur de “rébellion” ? [E.A.]

mercredi 28 décembre 2022

De préférence la nuit - Stanley Péan

Qu'est-ce que cette chose appelée jazz ?   

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment à cette question que répondent ces textes de Stanley Péan, à moins que ce ne soit de façon détournée et peut-être plus parlante, en nous faisant sentir l'époque, la société dans la marge de laquelle fourmillaient des orchestres naissants, des interprètes inspirés et des musiciens enflammés. Stanley Péan adopte un ton personnel pour nous faire vivre des parcours hors du commun, notamment ceux de Clifford Brown­­­, de Art Blakey, de Lee Morgan, ou encore Miles Davis, des parcours qui s'expriment dans un contexte de lutte pour les droits civiques des Afro-américains, des parcours qui se sont inscrits de diverses façons dans l'histoire culturelle, que ce soit au cinéma ou en littérature. Stanley Péan rapporte dans ces quelques récits ces magnifiques croisements et interfaces entre l'histoire du jazz, l'évolution de la société et celle de la culture. Voilà donc une lecture qui s'écoute, même si parfois elle peut paraître réservée aux connaisseurs, il faut se laisser secouer par le hard bop revendicateur qui propulsait une nouvelle voix au devant de la scène.

Et pour citer le pianiste Thelonious Monk, à qui l'on doit une centaine de compositions majeures du répertoire moderne, il faut, au moment d'entamer un chorus, avant de jouer la moindre note, s'assurer que celle-ci est véritablement préférable au silence. [S.P.]

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