mardi 7 février 2017

Le passage de la nuit - Haruki Murakami

La ville s'offre à notre regard. [H.M.]
Haruki Murakami nous offre ici une tranche de nuit, une tranche de vie dans un Tokio à la fois réel et imaginé, à la fois sombre et lumineux, un clair-obscur où se joue le présent de deux soeurs et de celles et ceux qui tournent autour, de celles et ceux qui apparaissent et disparaissent dans cette nuit se prolongeant jusqu'au blême matin.

Celui qui nous raconte cette nuit, celui qui la décrit, c'est un narrateur impersonnel qui a un point de vue mobile ayant bizarrement conscience de sa propre existence en tant que point de vue.
Cela a été dit, mais nous ne sommes qu'un simple point de vue. Nous sommes dans l'incapacité d'agir sur la situation, quelles que soient les circonstances. [H.M.]
Nous, point de vue acéré et pur, ... [H.M.]
Nous sommes dans une oeuvre de Murakami, on retrouve donc les questionnements propres à la jeunesse sur le passé et l'avenir, les interrogations existentielles et l'épreuve des choix.
Le monde avance sans à-coups en suivant son cours. La logique et l'action s'enchaînent sans intervalle. Du moins pour le moment. [H.M.]
Takahashi, lui non plus, ne parvient pas à déterminer clairement de quel côté du monde se situe son centre de gravité. [H.M.]
Tu sais, nos vies ne sont pas découpées simplement en «sombre» et «lumineux». Il y a une zone intermédiaire qui s'appelle «clair-obscur». La saine intelligence consiste à en distinguer les nuances, à les comprendre. [H.M.]
Mais Murakami, cela veut aussi dire que le lecteur baigne dans un important environnement musical. Du personnage jeune tromboniste dont les répétitions se font de nuit dans un obscur local jusqu'au fond sonore des bars plus ou moins fréquentés. C'est donc encore une oeuvre de Murakami qu'on prend plaisir à lire autant qu'à écouter.
Ni Mick Jagger ni Eric Clapton ne sont devenus des stars avec un trombone. Est-ce que Jimi Hendrix ou Pete Townshend ont brûlé ou cassé des trombones sur une scène? Non, bien sûr, c'étaient toujours des guitares électriques. Avec un trombone, ç’aurait été ridicule. [H.M.]
Le disque se termine. L'aiguille se relève et le bras retourne sur son support. Le barman va jusqu'à la platine. D'un geste tranquille, il prend le vinyle et le glisse dans sa pochette. Puis en sort un autre, vérifie la surface sous une lampe et le pose sur la platine. Il appuie sur le bouton, l'aiguille descend dans son sillon. Un scratch à peine perceptible. Débute alors «Sophisticated Lady» de Duke Ellington. Avec un solo nonchalant de Harry Carney à la clarinette basse. [H.M.]

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Sur Rives et dérives, à propos de Haruki Murakami, on trouve :

Murakami

Haruki

1Q84 

31/07/2015

Murakami

Haruki

Kafka sur le rivage

07/11/2016

Murakami

Haruki

La ballade de l’impossible

29/01/2018

Murakami

Haruki

La course au mouton sauvage

28/09/2022

Murakami

Haruki

Le Meurtre du Commandeur

26/05/2019

Murakami

Haruki

L’éléphant s’évapore

27/07/2017

Murakami

Haruki

Les amants du Spoutnik

27/11/2019

Murakami

Haruki

L’étrange bibliothèque

21/10/2016


mardi 31 janvier 2017

Romanesque - Tonino Benacquista

Jadis ces amants-là, après une nuit vagabonde, jetaient un dernier regard sur le monde encore assoupi, comme s'ils en avaient la charge. [T.B.]
Tonino Benacquista nous convie dans ce roman à un voyage à travers le temps, à travers l'espace, à travers les époques, à travers les territoires tout en investissant l'âme humaine, l'amour fou, la passion inexplicable et inexpliquée et les réactions que cela provoque chez ceux et celles qui en sont témoins. Roman ou conte? Théâtre ou réalité? Légende ou rumeur?

Quoi qu'il en soit, Benacquista s'aventure ici dans un genre où il n'a pas ou peu laissé sa trace. Sa plume prend, il me semble, une tournure inhabituelle. Ses phrases présentent un arrondi que je ne lui connaissais pas. Cela m'a pris plusieurs pages pour me faire à l'idée, pour me plonger dans cet univers qui se moque de la ligne du temps, pour m'investir de l'argument et me confier aux volontés de l'auteur qui ne cherche qu'à raconter. Mais cela a fonctionné, la magie a opéré, j'y ai cru et j'ai conclu cette lecture en suivant haletant la virée passionnelle hors du temps et du commun d'un couple.
Le réel vacille lentement vers un autre temps, celui du conte, où tout peut advenir, où tout est accepté, même l'extravagant, on y vient pour ça, le réel attend dehors, tapi, interdit d'entrée, les spectateurs en sont hors d'atteinte. [T.B.]

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 Sur Rives et dérives, à propos de Benacquista, on trouve:

Benacquista

Tonino

Homo erectus 

05/09/2011

Benacquista

Tonino

Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une

06/12/2020

samedi 28 janvier 2017

Vertiges - Fredric Gary Comeau

Une gare. Plus précisément, une petite gare dans une grande ville. [F.G.C.]
Vertiges est un roman choral, un roman qui suit plusieurs axes, plusieurs vies, plusieurs parcours. Lors de sa lecture, j'ai eu l'occasion d'entendre Christian Vézina dans un clip radiophonique s'intitulant La synchronicité (à la première chaîne de Radio-Canada. J'ai trouvé une parenté très particulière avec ma lecture. Était-ce là une manifestation de cette synchronicité?
Elle ne pense pas à ce qu'elle est en train d'écrire. Elle laisse simplement son poignet et ses doigts danser comme ils le veulent. [F.G.C.]
Le français, c'est une lumière de fin d'après-midi dans une cathédrale gothique pendant un récital de clavecin.  [F.G.C.]
On lit Vertiges par petites bouchées, par de petites incursions dans des cheminements qui semblent se profiler en parallèle vers l'horizon. On est confronté à des questionnements, à des pulsions, à des vertiges. On est confronté à des tranches de vie qui se superposent et se construisent devant nous pour créer un univers propre à l'auteur, un univers ancré dans la poésie du réel.
Il se soûlera seul sur les syllabes de son texte émergeant. [F.G.C.]
Le soleil se couche quelque part dans le monde. [F.G.C.]

dimanche 22 janvier 2017

Le pigeon - Patrick Süskind

[Archives Décembre 1990]
Lorsque Jonathan eut ainsi compris que l'essence de la liberté humaine consistait en la jouissance d'un w-c à l'étage et qu'il jouissait, lui, de cette liberté essentielle, il fut envahi d'un sentiment de profonde satisfaction. [P. S.]
C'aurait pu s'appeler «Éloge de la médiocrité». Voilà une journée dans la vie d'un homme ordinaire vivant les moments les plus exaltants de médiocrité que l'on puisse imaginer.

Et pourtant, on se reconnait dans ce Jonathan Noël. On a chacun, je crois, notre quantum de médiocrité et Süskind nous le renvoie en pleine figure en une caricature aussi grotesque que pleine de réalisme.


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Sur Rives et dérives, à propos de Patrick Süskind, on peut lire aussi ;

Süskind
Patrick
La contrebasse 

jeudi 19 janvier 2017

L'usage du monde - Nicolas Bouvier, illustrations de Thierry Vernet

« Ce matin, soleil éclatant, chaleur; je suis monté dessiner dans les collines.»  [N.B.]
Je ne sais pas avec exactitude quel est l'élément qui a fait que je ne me suis pas senti interpellé comme j'aurais pu le croire par ce classique de la littérature de voyage. Pourtant, il m'avait été chaudement recommandé, il a été maintes fois décrit comme un carnet de voyage exceptionnel, il fait partie de la bibliothèque idéale du voyageur. En ces jours où de larges contingents de peuples vivent l'errance et sont confrontés au contact de l'autre, L'usage du monde, cette description d'un voyage vers la Turquie, l'Iran et l'Afghanistan accompli en 1953 par deux jeunes suisses, aurait dû susciter mon intérêt. 
Un bonheur fourbu nous faisait taire. Partout craquaient des ramures. Le monde était rempli d'arbres. [N.B.]
Est-ce la langue, la tournure des phrases, le style? Je l'ai pensé pendant un certain temps. Est-ce le sentiment que j'avais à la lecture que l'auteur conservait une distance inexplicable face à ce qu'il décrivait? Est-ce l'amalgame de petits moments, la suite de petits événements qui, à la limite, semblent indépendants? Je ne verrais pas pourquoi puisque mes lectures récentes en sont imprégnées et cela ne me gêne aucunement. Et puis, plus investi dans les derniers chapitres qui ont profité de moments de lecture intensive, je peux dire que j'en garde tout de même un souvenir positif.
Mais voilà, il y a les mouches! J'aurai longtemps vécu sans savoir grand-chose de la haine. Aujourd'hui j'ai la haine des mouches. [N.B. dans un long passage exalté à propos des mouches d'Asie]
En toute probabilité, je n'ai pas lu L'usage du monde au bon moment et dans des conditions qui m'auraient permis de l'apprécier à sa juste valeur. C'est malheureux.
Ici, prendre son temps est le meilleur moyen de n'en pas perdre. [N.B.]