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mercredi 1 décembre 2021

Un père étranger - Eduardo Berti

Quelques heures avant l’enterrement de ma mère, l’après-midi où on la veillait, et alors que l’usage aurait voulu qu’on expose son cadavre, mon père donna l’ordre de laisser le cercueil fermé. [E.B.] 
Voilà un livre mystérieux, un roman en partie autobiographique qui navigue entre les concepts d'identité, d'altérité, de migration, de paternité et d'écriture. Eduardo Berti constate à la mort de son père, un Roumain réfugié en Argentine, que celui-ci tentait d'écrire en espagnol un roman à propos d'ouvriers roumains. Le fait ainsi d'écrire dans la langue de son pays d'accueil l'amène à tracer un parallèle avec un de ses projets, celui de tracer le parcours de l'auteur polonais et britannique Joseph Conrad (Józef Konrad) qui écrivait pour sa part en anglais. Voilà autant d'occasions, en parlant de son père, de Conrad ou du livre qu'il est en train d'écrire, de s'exprimer sur la langue, sur la littérature, sur le statut d'écrivain et sur le fait d'être étranger en son monde tout en portant en soi toute une bibliothèque. Voilà un auteur, membre récent de l'Oulipo, dont j'ai bon espoir de croiser encore l'œuvre sous peu.

À l’époque, j’aimais bien la notion selon laquelle la « patrie » d’un écrivain est sa langue natale. Aujourd’hui, avec plus d’ancienneté comme étranger, je préfère l’idée que son véritable pays se trouve dans ses livres : ceux qu’il a lus ou désire lire (sa bibliothèque), ceux qu’il a écrits ou rêve d’écrire (certains appellent cela une « œuvre »).  [E.B.]

Les lecteurs cherchent et voient les ressemblances entre les livres, nombreux ou non, d’un écrivain ; l’écrivain, de son côté, voit surtout leurs différences. [E.B.]

Je n’ai pas lu Jouhandeau : il fait partie de la longue liste d’écrivains que, je suppose – sauf miracle ou cas de force majeure – je ne lirai jamais ; c’est impossible, il faudrait vivre mille ans ou, plutôt, ne pas vivre et ne faire que lire, lire et lire. Lire qui, d’accord, est aussi vivre. Mais qui ne l’est pas si on ne fait que ça.  [E.B.]

 

mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Calvino

Italo

La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

Calvino

Italo

Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016

 

mercredi 11 août 2021

L'homme-dé - Luke Rhinehart


Au physique, je suis un homme grand et fort, avec de grosses mains de boucher, des cuisses comme des troncs, une mâchoire taillée dans le roc, et des lunettes massives aux verres épais. [L.R.]

Il y avait déjà plusieurs années que L’homme-dé faisait partie de ma liste de livres à lire, je ne sais pour quelle raison obscure j’hésitais à l’entreprendre. Puis le hasard (tiens, tiens!) a fait qu’il a croisé de nouveau ma route et je n’ai pu me retenir plus avant. J’ai donc plongé dans cette lecture qui m’avait plus d’une fois été recommandée (merci à celles et ceux qui ont insisté). 

Quel livre étrange! Le personnage principal porte le même nom que l’auteur s’est donné comme pseudonyme, ce serait ainsi un roman en partie autobiographique. On dirait peut-être maintenant une autofiction.  Luke Rhinehart, le personnage, est psychanalyste. Il se sent piégé dans sa vie, piégé dans le rôle qu’il doit y jouer, piégé par la trame de son récit et l’avenir que lui impose l’image qu’il projette comme celle que les autres lui assignent. À la recherche de ses autres personnalités, des autres avenues de son parcours, des voies de traverse, des espaces insoupçonnées, il confie quelques-unes de ses décisions au Hasard et une Voie Royale s’ouvre à lui. Voilà la façon d’exprimer chacune des infinies facettes d’un itinéraire sans tracé, d’un parcours aléatoire, d’une vie ouverte.  

Puis, une nouvelle philosophie naît de ce dé. Rhinehart essaime et propage sa façon d’être en imaginant des dé-thérapies pour ses amis comme pour ses patients. Des dé-centres, ces institutions qui transforment les gens en personnes de hasard, sont établis. Seul le Hasard peut dé-terminer jusqu’où se propagera cette manière d’être, ces existences aléatoires, ces personnes-dés.

Livre culte dans les années 70, L’homme-dé n’a rien perdu de sa verve iconoclaste. Quel que soit le résultat du dé, on embarque et on se laisse mener toujours plus loin dans la dé-mesure.

« Le style fait l’homme », dit un jour Richard Nixon, et il passa sa vie à ennuyer ses lecteurs. [L.R.] 

C’est la façon dont un homme choisit de se limiter qui détermine son personnage. Un homme sans habitudes, sans cohérence, qui ne se répète pas, donc ne s’ennuie pas, n’est pas humain. Il est fou. [L.R.] 

dimanche 18 juillet 2021

Le banquier anarchiste - Fernando Pessoa


Nous finissions de dîner. En face de moi, mon ami le banquier, commerçant et accapareur notoire, fumait, l'air absent. [F.P.]

Voici un roman qui se présente tel un dialogue où l’ami banquier avance une suite d’argumentaires logiques, comme un enchevêtrement d’énoncés construisant peu à peu un raisonnement rappelant la façon de faire de Dupin dans Double assassinat sur la rue Morgue d’Edgar Allan Poe. Toutefois, les diverses conclusions, les étapes de cet échafaudage de syllogismes, s’empilent et se bousculent pour mener à une chute pour le moins paradoxale. La chute ne surprend pas en elle-même, elle est annoncée dès l’ouverture, c’est la fabrication de l’édifice logique qui constitue le sujet littéraire de ce roman. Mais, au-delà de ce tour de force, Pessoa avance les critiques de son monde. Du même geste, il dénonce la société bourgeoise et le communisme montant. Écrit et publié en 1922, par certains de ses thèmes, Le banquier anarchiste pourrait rappeler Le monde qui pourrait être de Bertrand Russell édité en 1918.

« Au fait : on me disait l'autre jour qu'autrefois, vous aviez été anarchiste...
- Que j'ai été, non : je l'ai été et je le suis toujours. Je n'ai pas changé sur ce point. Je suis anarchiste.»
[F.P.]

mardi 13 avril 2021

Le chasseur d'histoires - Eduardo Galeano

Le vent efface les traces des mouettes. Les pluies effacent les traces de pas des hommes. Le soleil efface les traces du temps. [E.G.]
Il est difficile de décrire cet objet livre, car il ne répond à aucun classement. À moins qu'on ne le catégorise comme un recueil de poèmes, la catégorie poésie étant, selon moi, moins empreinte de normes, plus libre et plus ouverte à l'expérimentation. Voici donc un opuscule regroupant des pensées, des avis sur de petites tranches d'histoires, une mosaïque de regards sur le monde, des opinions politiques, sociales, un ensemble de récits, d’anecdotes, de légendes où mémoire, morale et sens de la vie s’inscrivent dans de courts textes souvent sud-américains, mais pas uniquement. On peut l'ouvrir sur n'importe quelle page pour entrebâiller une nouvelle fenêtre et recevoir un vent frais chargé d'idées.

C'était ma première lecture de cet auteur uruguayen. J'ai hâte de me replonger dans son univers multiple et d'en découvrir d'autres aspects.

L'entraide et la conscience communautaire ne sont peut-être pas des inventions humaines. Les coopératives de logements, par exemple, ont peut-être été inspirées par les oiseaux. [E.G.]

À Kashi, ville saine des Tamouls de l'Inde, vivait et jouait le flûtiste qui jouait le plus faux au monde. On le payait très bien, pour qu'il joue très mal. Au service des dieux, sa flûte torturait les démons. [E.G.]

Un jour de l'an 1911, La Joconde disparut du Musée du Louvre. Quand la disparue reparut, après deux ans de recherches, on constata que le vol n'avait pas effacé le sourire le plus mystérieux du monde : il avait multiplié son prestige. [E.G.] 

Pour vaincre sa peur, un des enfants, le plus savant, expliqua ce qu'était la mer : - C'est une rivière avec une seule rive. [E.G.] 

Appréciation : 4,5/5 

lundi 15 mars 2021

Le traducteur cleptomane et autres histoires - Dezsö Kosztolányi

 

Nous parlions de poètes et d’écrivains, d’anciens amis qui avaient commencé la route avec nous, jadis, ils étaient ensuite restés en arrière et leur trace s’était perdue. [D.K.]

Voici un ouvrage original. Dezsö Kosztolányi, auteur hongrois du début du XXe siècle, y met en scène un personnage qui pourrait être son double, son alter ego. Kornél Esti est le fil conducteur de ces onze nouvelles. C'est souvent le protagoniste ou celui qui narre l'épisode qui s'amorce. Chacune des nouvelles de ce recueil présente une certaine sensibilité envers la langue ou la communication, on en fait l'éloge tout en y relevant les incongruités. Chaque épisode est raconté avec une certaine distance qui rend l'humour ou l'ironie encore plus décalés. Mais, derrière l'insolite, on trouve une certaine critique de la société. On met en lumière ses incohérences et, par là, les textes de Kosztolányi rappellent Kafka alors même qu'on peut y déceler une ressemblance avec Calvino. J'ai adoré cette incursion dans le monde étrange de Kosztolányi et me promets d'explorer d'autres aventures de cet énigmatique Kornél Esti.

Appréciation: 3,5/5