vendredi 1 septembre 2023

Georges Perec en dialogue avec l'époque et autres entretiens - Georges Perec

Quel plaisir de lire ces entretiens que Georges Perec a tenus depuis la publication du roman Les choses en 1965 jusqu'en 1981, quelque temps avant son décès, des entretiens où il fait état de ses œuvres, du contexte de leur écriture, de l'état d'âme qui les a faites naître. On a là des entretiens qui sont parfois teintés d'un thème prédominant comme la mémoire, le jeu ou les contraintes, des entretiens qui souvent coïncident avec les dernières publications : Les choses, Un homme qui dort, La boutique obscure, Je me souviens ou La vie mode d'emploi. On lit l'importance que l'Oulipo a pu avoir dans sa démarche. 

Les réflexions de Perec sur sa production demeurent toujours exaltantes pour qui cette oeuvre est connue et essentielle. Je ne me cache pas d'être de ceux-là. J'ai donc savouré ces retours en arrière où Perec s'exprime sur ses projets aussi divers que pertinents. 
Si vous voulez : « Mourir d'amour me font, belle Marquise, vos beaux yeux », c'est le début de la littérature. Le résultat n'est pas très bon, mais c'est la même démarche : quand M. Jourdain comprend que la charge « poétique » de sa phrase change avec l'ordre de ses mots alors que le sens reste le même, il découvre la littérature. Et je crois que la première méthode que l'on peut mettre en œuvre pour aboutir à cette attitude, c'est le jeu. [«Et ils jouent aussi... Georges Perec», Propos recueillis par Jacques Bens et Alain Ledoux, Jeux & Stratégie, no 1, février 1980]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

Perec

Georges

Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation

15/03/2009

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

Perec

Georges

Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016

 

dimanche 27 août 2023

Contes liquides - Jaime Montestrela (Hervé Le Tellier)

C'est un peu par hasard que je suis tombé sur un exemplaire des Contos aquosos du poète portugais Jaime Montestrela, alors que j'explorais la bibliothèque d'un ami lisboète à la recherche d'un de ces livres que l'on s'est promis depuis toujours de lire, mais que l'on n'aura généralement que le temps de feuilleter négligemment au coin d'un feu avant d'aller faire le quatrième au bridge. [H.L.T.] 

Depuis un certain temps, je cherchais cette édition des Contes liquides pour enfin la trouver tout bonnement à la bibliothèque. Montestrela est un auteur qu'Hervé Le Tellier dit avoir découvert, mais ce poète semble bien appartenir à la même catégorie que Jean-Baptiste Botul et sortir tout droit de l'imagination de son traducteur qui avoue candidement ne pas parler portugais. Cela n'enlève rien à la valeur intrinsèque de ces contes qui auraient ravi les membres de l'Oulipo, ceux-ci ayant d'ailleurs convié Montestrela à l'une de leurs réunions au titre d'invité d'honneur selon les dires de Le Tellier. Ces contes, ils tiennent chacun en quelques phrases, toujours moins d'une demi-page. On pourrait dire que la plupart sont de nature anthropologique, mais ils contiennent tous un haut degré d'absurde, de dérision et d'humour contenu. Ils se savourent à petites doses en feuilletant et se laissant guider, à la page suivante, vers un autre lieu, un autre univers, un autre versant du non-sens. Une lecture réjouissante, s'il en est.

Les chercheurs de l'Université de Leipzig, qui travaillent sur la discontinuité entre l'homme et l'animal, ont pu prouver qu'une rupture fondamentale s'est produite le 18 janvier 142 152 avant J-C, à 16h24. Ils cherchent désormais la nature exacte de l'événement. [J.M.]

Dans certaines régions d'Ishgabistan où la religion envahit toutes les sphères de la vie sociale, seuls les athées ont droit à une vie avant la mort. [J.M.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Le Tellier

Hervé

La disparition de Perek

06/07/2022

Le Tellier

Hervé

L’anomalie

07/11/2020



vendredi 25 août 2023

Le marque-page - Sigismund Krzyzanowski

L’autre jour, comme j’examinais mes vieux livres et mes manuscrits rangés en piles étroitement ficelées, il se glissa de nouveau sous mes doigts : un corps plat, tendu de soie bleu pâle, piqué de broderies et terminé par une traîne à deux pointes. [S.K.]

Des comparses lecteurs m'avaient signalé ce Sigismund Krzyzanowski comme un auteur à découvrir en constatant que j'appréciais les livres de Gonçalo M. Tavares. C'est tout autre chose, dans un autre espace et dans un autre temps, mais je comprends qu'on puisse faire le rapprochement. Krzyzanowski est encore très peu connu. Certains disent que le secret de cet écrivain fantastique est une pépite de libraire. Cet auteur russe décédé en 1950 à l'âge de 64 ans n'a jamais été publié de son vivant et ce n'est que depuis les années 1990 qu'on trouve des traductions françaises de quelques-unes de ses œuvres. J'ai décidé d'amorcer ce périple de découverte par le premier recueil de nouvelles qui fut traduit du russe par Catherine Perrel et Elena Rolland-Maïski, Le marque-page. Voilà donc un auteur surprenant de modernité dont certains ont signalé la parenté avec Kafka ou avec Borges. Ses thèmes sont variés, philosophiques, et portent un regard satirique sur la société. En ouverture du Marque-page, il se dote d'ailleurs d'un chasseur de thèmes très efficace. La touche fantastique va à la rencontre du scientifique et nous propulse dans un monde où un produit novateur comme la superficine permet de faire grandir les pièces dans une société où les célibataires n'avaient droit qu'à 8 mètres carrés. Dans une autre nouvelle, La houille jaune, la planète est en manque de combustible et une commission pour la recherche de nouvelles énergies lance un concours. Un ingénieur propose d'utiliser l'énergie de la haine partagée dans la société, une source presque inépuisable. L'intrigant parallèle qu'on peut faire avec la société d'aujourd'hui fait sourire, mais c'est un sourire inquiet.

Chez l’homme, l’amour est timoré et papillote des yeux : il se réfugie dans le crépuscule, court les recoins obscurs, chuchote, se cache derrière les rideaux et coupe la lumière. [S.K.]

Il y avait eu deux tremblements de terre et un tournoi d’échecs : tous les jours deux blancs-becs prenaient place devant soixante-quatre cases – l’un avait une tête de boucher, l’autre de commis de magasin de mode – et par on ne sait quel mystère, blancs-becs et cases se retrouvaient au centre de toutes les préoccupations intellectuelles, de tous les intérêts et de tous les espoirs.  [S.K.]

La fournaise enflammait les forêts. Les selves d’Amérique et les jungles des Indes flambaient, noires de fumée. [S.K.] 

mercredi 16 août 2023

Marcher droit, tourner en rond - Emmanuel Venet

Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu’il y a une vie après la mort et que le défunt n’avait, de son vivant, que des qualités. [E.V.]

Emmanuel Venet est psychiatre et romancier et sans que cela insère de la lourdeur dans ses écrits, on sent bien que les deux volets de son être collaborent constamment. Le narrateur de Marcher droit, tourner en rond présenterait des symptômes de la stéréotypie idéocomportementale fréquemment en lien avec le syndrome d'Asperger, mais surtout il présente un rapport à la vérité qui n'est que d'un bloc et sans compromis. Autant dire qu'il a du mal avec la société en général et que l'exaspération est souvent présente, notamment dans cette cérémonie de funérailles pour sa grand-mère Marguerite. Les réflexions du narrateur au moment de cette cérémonie constituent l'amorce du texte ainsi que l'essentiel. Sa révolte s'exprime devant l'incohérence du monde, devant les choix discordants, devant les contradictions les plus évidentes des êtres qu'il côtoie, les membres de sa famille. Un texte fort, plein de décalages, de dénonciations, d'humour et d'ironie.

Cependant il me semble qu’il serait plus sain de préférer la vérité au mensonge, et que l’humanité devrait plutôt s’attacher à dessiller les crédules et à punir les profiteurs qui entretiennent le climat de duplicité et de tromperie dans lequel, pour notre plus grand malheur, notre espèce baigne depuis la nuit des temps. [E.V.]

Autour de moi, chacun vit comme si les choses sérieuses se cantonnaient aux signes extérieurs de richesse, à l’incessant échange d’opinions rebattues et à l’ostentation de plaisirs ignorant tout des sentiments. On parle garde-robe, cac40, taux de triglycérides, Vatican II, tarifs du vétérinaire, produits touristiques équitables ou nouvelles techniques de fitness, mais on évite soigneusement d’évoquer le besoin d’aimer, le bonheur de s’abandonner l’un à l’autre, l’exaltation que procure la vie à deux ou l’impeccable rationalité du crime passionnel assumé, tel que le journal en rapporte chaque semaine au moins un exemple. [E.V.] 

lundi 7 août 2023

La diagonale Alekhine - Arthur Larrue

À cette époque, le champion du monde d'échecs s'appelait Alexandre Alexandrovitch Alekhine et il avait la coquetterie de ne pas vouloir porter de lunettes en dehors du jeu. [A.L.]

Je ne connaissais ni Alekhine ni Larrue, mais l'idée de ce roman tournant autour de la vie d'un champion d'échecs russe naturalisé français qui aura maintenu son titre avant et après la Seconde Guerre mondiale, qui aura été le premier champion du monde à reconquérir son titre et le seul à mourir alors qu'il le détenait, m'intriguait. J'ai trouvé là une intéressante histoire qui s'entretissait allègrement avec les chambardements du monde, avec l'absurdité de la guerre et les déclarations contradictoires qu'elle suscite. L'écriture est fluide, bien que le style et le registre employés par l'auteur semblent varier de chapitre en chapitre, ce qui m'a parfois déstabilisé. Dans l'ensemble, toutefois, j'aurai eu du plaisir à lire ce roman inspiré de ce personnage sombre et ambigu qu'aura été Alexandre Alexandrovitch Alekhine.

Alekhine ne semblait admettre aucune différence entre les guerres napoléoniennes qui avaient redessiné l'Europe et ses combats sur l'échiquier. Quand Alekhine parlait, Lupi avait l'impression que le jeu comptait autant que l'histoire réelle. L'influence dont Alekhine se sentait doté dépassait l'échiquier et le seul enjeu des tournois. Elle agissait directement sur le monde et sur les hommes. Par l'effet d'une sorte de confusion ancrée dans son esprit, les échecs n'étaient plus la métaphore d'une bataille, mais la bataille elle-même. [A.L.]

Staline tenait à jour des listes d'hommes à abattre, dressait des listes de bourreaux pour les abattre, puis des listes de bourreaux pour abattre les bourreaux, et ainsi de suite... [A.L.]