jeudi 31 janvier 2019

La route du lilas - Éric Dupont

De toutes les obsessions terrestres, la volonté de connaître l'avenir est celle qui engendre les pratiques les plus singulières et les plus attendrissantes. [É.D.]
Éric Dupont nous avait offert le merveilleux roman La fiancée américaine qui, dans ma classification personnelle, fait ni plus ni moins maintenant partie des classiques de la littérature québécoise. Le défi était grand en proposant ce nouveau roman. Et c'est avec grâce que l'auteur a su nous plonger dans un nouvel univers de fictions, d'histoires, d'amours et de péripéties. On suit une traversée de l'Amérique qui n'est pas très banale, cette traversée qu'on fait en compagnie de trois femmes, elle se réalise au rythme de la floraison des lilas, mais aussi à travers le temps, dans le passé du Brésil, dans le futur de Notre-Dame-du Cachalot, dans les vies et les décès mis en images dans Alerte dans la ville diffusé sur TV Real, dans des passages à Paris pour l'enterrement de Simone de Beauvoir, à Vienne et à Laxenbourg où une archiduchesse élève un perroquet amazonien. Et puis, Dupont nous offre une intertextualité qu'on s'amuse à reconnaître. On croise des personnages et des situations qui avaient déjà pris forme dans d'autres univers créés par l'auteur et cela fait naître une étincelle de complicité entre le lecteur et l'oeuvre. Je ne peux que constater que je me suis laissé mené allègrement dans le délire de ce chroniqueur de l'imaginaire qu'est Éric Dupont et cela est totalement sans regret.
Car derrière les slogans pacifistes et les appels à la camaraderie se cachent souvent, au sein même des organisations militantes, une violence à peine voilée et une prédilection inquiétante pour l’autoritarisme et la hiérarchie. [É.D.]

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Sur Rives et dérives, on peut lire :

Dupont
Éric
La fiancée américaine 
Dupont
Éric
La logeuse, roman tragique

mardi 8 janvier 2019

Du bon usage des étoiles - Dominique Fortier

Le soleil brillait en ce 19 mai 1845 alors que l'Erebus et le Terror s'apprêtaient à appareiller de Greenhythe, leurs reflets tremblant sur les eaux verdâtres du port où flottaient guirlandes, poignées de riz et petits poisons morts. [D.F.]
C'est donc tout d'abord l'aventure de ces deux bateaux et des 133 hommes qui sont à leur bord dans une expédition dirigée par Sir John Franklin que nous narre brillamment l'auteure Dominique Fortier. C'est cette recherche périlleuse du passage du Nord-Ouest qui s'étale sur les mers du Nord au travers les icebergs et les glaces jusqu'à ce que celles-ci prennent toute la place, toute la vie. On en prend connaissance par le journal de Francis Crozier qui pilote le Terror. La vie à bord, les relations entre les hommes, les espoirs, les craintes et la faim nous sont exposés, nous sont livrés.
Nous avançons au milieu d’une carte blanche, dessinant le paysage comme si nous l’inventions au fur et à mesure, traçant le plus fidèlement possible les baies, les anses, les caps, nommant les montagnes et les rivières. […] Avant nous, le paysage grandiose fait de glace et de ciel n’existait pas; nous le tirons du néant où il ne retournera jamais, car désormais il a un nom. [D.F.]
Parallèlement, ces hommes ont conservé des attaches avec la société victorienne qui a commandité leur périple. C'est donc aussi un roman d'amour, dans les pensées de Francis Crozier pour Lady Sophia qui, elle-même, va de réception en réception dans une communauté qui se cherche, mais aussi dans les pensées de Lady Jane Franklin pour son mari explorateur.

C'est un livre dense, un livre qui possède plusieurs facettes et plusieurs angles de lecture. Voilà ce qui fait sa richesse et sa lecture une aventure dont il ne fallait pas se soustraire. J'ai adoré m'y plonger.

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Sur Rives et dérives, on trouver aussi :

Fortier

Dominique

Au péril de la mer

04/01/2017

Fortier

Dominique

Les larmes de saint Laurent

01/04/2020

Fortier

Dominique

Les villes de papier

16/08/2020

mardi 11 décembre 2018

L'occupation des jours - Annie Perreault

Des herbes folles. Des blocs de béton. Un bout de trottoir crevassé. [A.P.]
L’œil d'Annie Perreault se porte sur ce qui l'entoure, sur de petits espaces, sur la façon de les occuper, sur des faits sans importance, sur l'infraordinaire comme l'appelait Perec qu'elle cite d'ailleurs en exergue. Cet œil, c'est souvent un regard esseulé, sur ce qu'Annie Perreault nomme des terrains vagues. L'occupation des jours se présente comme un assemblage en courtepointe de nouvelles mettant en lumière tamisée de minuscules univers où des personnages vivent leur ennui, leur solitude, leur échec, leur manière d'occuper l'espace et les jours qui s'y déroulent. C'est ainsi par une approche de l'intime que l'auteure nous soumet sa vision de la condition humaine. Voilà un recueil qui m'a séduit.
J'étais en couple, je voyais quelqu'un en cachette. En diagonale de son appartement, il y avait une cabine téléphonique. [A.P.]
De semaine en semaine, elle reviendrait souvent vérifier l'avancement du chantier. Elle se tiendrait droite sur le trottoir, passerait de longs moments à caresser son annulaire dénudé, à regarder l'eau boueuse s'accumuler dans les fondations. [A.P.]
Je cours à la poursuite de quelque chose qui m'échappe, qui ne peut pas exister peut-être, je cherche mes mots, mon histoire à inventer, l'avenir comme un terrain vague. [A.P.] 

samedi 10 novembre 2018

Manikanetish - Naomi Fontaine

Revenir est la fatalité. Dans ce petit village, cette nature épineuse, sablonneuse, imaginée de toutes pièces depuis mon enfance, immuables souvenirs. [N.F.]
Manikanetish est le récit d'une étrangère parmi les siens, une étrangère qui, à force de patience, arrive à s'inscrire dans le quotidien des jeunes êtres qu'elle cherche à accompagner. Yammie, cette enseignante tout juste diplômée et pleine de bonne volonté, apprend autant que ses élèves. Elle cherche et se cherche; elle construit tout au long de cette première année scolaire, un réseau, un ensemble de fils pour communiquer avec ses élèves, pour tenter de les saisir, pour tenter de devenir un élément positif dans cette année marquée. Le décor, c'est celui de Petite Marguerite (Manikanetish), l'établissement scolaire d'une réserve indienne de la Côte-Nord du Québec, dans le monde des Innus. Le récit se déroule notamment à l'aide d'une suite de portraits, de petits récits de vie, de moments de résilience. Un projet un peu fou deviendra en conclusion le moteur auquel les uns et les autres se sont accrochés pour aller plus loin. Naomi Fontaine nous décrit cette aventure à l'aide d'une plume simple et juste.

mercredi 31 octobre 2018

L'attrape-coeurs - Jerome David Salinger

Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout. [J.-D.S.]
Je me vois encore séduit par un roman d'apprentissage. Je m'aperçois que ce type de roman est beaucoup plus courant que je ne pouvais le croire. En fait, cette période où l'on sort de l'adolescence, où on s'aventure dans le monde adulte avec ses surprises, ses découvertes, ce monde à assimiler, ce contact avec les autres et avec la vie est une période qui dévoile toute sa richesse dans l'imaginaire des auteurs. Les lecteurs, dont je suis, aiment se replonger dans cette faille temporelle malgré les années. Voilà toute la magie de la littérature, s'insérer dans une autre vie, revivre par personnage interposé des sentiments ou faire, par ce même artifice, de nouvelles expériences dans un cadre qui n'aura jamais été le nôtre. Ici, ce sera quelques jours d'errements à New York de Holden Caufield, un adolescent qui vient d'être expulsé de son collège et qui tarde avant d'affronter ses parents. Il vivra là quelques expériences, il fera quelques rencontres pas toujours heureuses et il exprimera son mal-être dans son cri et sa déprime. Même si le cadre se situe dans les États-Unis d'Amérique quelque part au début des années cinquante, on ne peut que se percevoir en partie dans ce mythique Attrape-coeurs, dans cet ado idéaliste, mais sans projet.
Le type de la Navy et moi on s'est servis de l'«Enchanté d'avoir fait votre connaissance». Un truc qui me tue. Je suis toujours à dire «Enchanté d'avoir fait votre connaissance» à des gens que j'avais pas le moindre désir de connaître. C'est comme ça qu'il faut fonctionner si on veut rester en vie. [J.-D.S.]