mercredi 17 octobre 2018

Le suspendu de Conakry - Jean-Christophe Rufin

La foule regardait le corps suspendu. [J.-C.R.]
Aurel Timescu est fonctionnaire au Consulat de France sis à Conakry en Guinée. Aurel Timescu est consul sans être général. Aurel Timescu travaille habituellement dans ce qu'on pourrait appeler un placard, mais en l'absence du consul général, il se voit doté d'un soupçon de liberté pour traiter d'un dossier délicat, le meurtre d'un citoyen français sur son bateau ancré en retrait dans le port de Conakry. Aurel Timescu est un nouveau personnage pour Rufin, un intrigant personnage, le souffre-douleur sinon la risée des membres du consulat. Il circule dans Conakry accoutré de vêtements très mal adaptés, il a tout ce qui est nécessaire pour qu'on lui attribue le titre d'antihéros. Rufin, qui a connu des ambassades et des consulats en terres africaines, se sert habilement de ces expériences pour en faire le cadre de cette aventure.

Et puis, il y a Conakry. Conakry dont le décor ne m'est pas totalement étranger y ayant séjourné autrefois pour y livrer une formation. Il y a toujours quelque chose qui touche, qui émeut, lorsqu'on retrouve au tournant d'une page un site connu, une place qui vient en résonance avec un élément de notre mémoire.

Tout cela se décline dans un roman à saveur policière et diplomatique dont la lecture est tout à fait agréable. Je recroiserais volontiers ce diplomate atypique.
La mer? C'est le lieu où tout finit, où la roche des montagnes, usée par le temps, vient terminer sa course, sous forme de grains de sable. [J.-C.R.]
La culpabilité n'a pas besoin d'un objet pour exister. C'est un sentiment qui vient de nous et qui pousse sur un terreau d'émotions, de souvenirs, de désirs, qui nous est propre. Après, quand elle grandit, cette plante s'accroche à ce qu'elle trouve. [J.-C.R.]

vendredi 21 septembre 2018

Ada - Antoine Bello

- Elle a un nom de famille, cette Ada? demanda Frank Logan en se frottant les yeux. [AB.]
Sur le thème de l'intelligence artificielle, ce roman sans façon peut difficilement être plus actuel. Ada, c'est le nom de cette intelligence. Elle a disparu. Aucune de ses versions n’est présente sur les nombreux sites de stockage de la société Turning Corp. Elle était le fruit d'une recherche active dans le domaine et son premier objectif consistait en la rédaction et la publication d'un roman à l'eau de rose original constitué de ses propres constats à l'égard de cette littérature. Cela devait être un premier pas vers des oeuvres de création plus complexes, vers des articles de fond dans le champ du journalisme, articles qui devraient pouvoir recevoir le prix Pulitzer.
Frank Logan mène l'enquête. Il est spécialisé dans les disparitions et les enlèvements; il compose à sa façon des haïkus. L'informatique et les nouvelles technologies ne font pas partie de son champ d'expertise. Ses questionnements et interrogations naïves nous entraînent dans un univers de réflexions, sur la société qui se dévoile à l'horizon, sur notre rapport au développement technologique, sur ses dérives, mais aussi sur la culture ou la littérature dans un tel contexte, mais tout cela sans prétention et avec humour. J'aurai apprécié ce roman lu lors de récentes vacances.
Il est désormais établi que la structure de la langue que nous parlons façonne notre mode de pensée. Charles Quint prétendait s'adresser à Dieu en espagnol, à ses amis en anglais, à sa maîtresse en français et à son cheval en allemand. [A.B.]

vendredi 7 septembre 2018

Les Yeux bleus de Mistassini - Jacques Poulin

Ce matin-là, des nappes de brume avaient envahi la rue Saint-Jean. [J.P.] 
L'univers de Jacques Poulin est un univers fait de tendresse, de petits moments, de découvertes, de parcours initiatiques, de sagesse transmise, d'amour des livres et de la littérature. Jack Waterman (c'est un nom de plume) est un auteur qui fait aussi traducteur. Il tient dans le Vieux-Québec une librairie particulière où les clients et les itinérants viennent se réchauffer autour d'un feu, où les jeunes lecteurs sans le sou se voient offrir des livres à dérober, où les recueils de poésie récitent leurs vers ça et là dans les rayons. Jimmy, un étudiant en lettres, attiré par un livre en vitrine, se liera avec le vieux Jack. Sa soeur Mistassini et lui deviendront en quelque sorte les dépositaires des projets de Jack. C'est Jimmy qui est le narrateur attentionné de ce magnifique conte de Jacques Poulin. Je reste toujours séduit par le style dépouillé, la scène des rues de Québec, les personnages récurrents et l'amour que témoigne Poulin à l'égard des livres. 
Le rêve est très utile, c’est même la meilleure façon d’apprivoiser la réalité. [J.P.]
... il échafaudait lui-même une théorie suivant laquelle les œuvres littéraires étaient, contrairement aux apparences, le fruit d’un travail collectif. [J.P.]
Et pour ma part, toute cette beauté qui se déployait à perte de vue me donnait le sentiment que, dans l’ordre des choses du cœur, le Québec était mon pays. [J.P.]
Elle avait fait une vitrine d’été dont elle était assez contente. Avec l’accord de Jack, elle avait mis en montre non pas les livres pratiques et les romans légers que les journalistes conseillaient de «glisser dans les sacs de plage», mais plutôt des livres de philo, des études sérieuses et des romans difficiles, estimant que, pendant leurs vacances, enfin libérés des contraintes du travail et de l’abrutissement de la télé, les gens étaient mieux préparés à lire les ouvrages importants qu’ils avaient laissés de côté pendant l’année. [J.P.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

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L’anglais n’est pas une langue magique
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L’homme de la Saskatchewan 
Poulin
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La traduction est une histoire d’amour
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Un jukebox dans la tête 

mercredi 15 août 2018

Le Traquet kurde - Jean Rolin

Une jonchée de petits oiseaux morts, inodores, vidés de leurs entrailles et bourrés de coton, les yeux blancs, les couleurs de leur plumage un peu ternies, sans doute, mais pas au point que l'on ne puisse reconnaître dans ses dépouilles les choses vivantes qu'elles ont été. [J.R.] 
Voilà un livre particulier. On ne sait sur quelle étagère le classer. On ne sait s'il s'agit d'un roman, d'une autofiction, d'un essai ornithologique ou historique, d'un conte qui jongle avec la réalité, d'une histoire qui se faufile dans la géographie, d'un récit journalistique, d'une narration d'un féru d'observation d'oiseaux ou d'un peu de tout cela.

Un spécimen du traquet kurde, un oiseau établi normalement sur les hauteurs du Kurdistan, est aperçu en 2015 dans le Massif central. Jean Rolin le suivra dans le temps et l'espace et on se déplacera avec lui de l'Auvergne au Moyen-Orient, du XIXe au XXIe siècle, des balbutiements de l'identification des oiseaux à la science ornithologique d'aujourd'hui, du traquet kurde à la mésange bleue, de l'aventure de quelques collectionneurs excentriques aux élucubrations de certains espions britanniques, de Birds of Arabia de Meinertzhagen à The Fall of a Sparrow de Ali, des comportements des ornithologues modernes aux attitudes discutables des pionniers de l'identification et de la taxonomie aviaire.

Jean Rolin connait bien le monde ornithologique et il s'insinue par ce récit dans des dédales qui ne sont pas banals et qui parfois frôlent le burlesque. Surprenant texte qui s'étale sur un peu moins de 200 pages et dont on sort tout de même un peu étourdi avec une multitude de questions et le désir insatiable de croiser un jour Oenanthe xanthoprymna.
Le sirli du désert, cependant, a un chant très étrange, inquiétant parce que vaguement anthropomorphe, un peu comme cette bouscarle des Palaos dont on a pu écrire que son chant évoquait les vains efforts d'un idiot pour jouer de la flûte. [J.R.]

dimanche 29 juillet 2018

Comme un roman - Daniel Pennac

[Archives mars 1992]

Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. [D.P.]
L'accueil de ce livre dans le public des lecteurs a bien été mérité. Il s'agit d'un essai merveilleux et je le livrerais ici de tout son long en extraits.
Oui le charme du style ajoute au bonheur du récit.
... un jeu qui durera toute l'année : capter et retenir les premières phrases ou les passages préférés d'un roman qui nous a plu... 
La liberté d'écrire ne saurait s'accommoder du devoir de lire.  
Les droits imprescriptibles du lecteur : 1. Le droit de ne pas lire.  2. Le droit de sauter des pages.  3. Le droit de ne pas finir un livre.  4. Le droit de relire.  5. Le droit de lire n'importe quoi.  6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).  7. Le droit de lire n'importe où.  8. Le droit de grappiller.  9. Le droit de lire à haute voix.  10. Le droit de nous taire.
Comme un roman est un petit ouvrage que je relirai encore plein de fois, un petit ouvrage qui n'a pas fini d'étendre son influence sur ma lecture, sur mes lectures, qui m'a donné le goût de lire à haute voix, le goût de lire Madame Bovary, le goût de me laisser des traces de mes lectures, le goût de me laisser envahir par des écrits, par des styles de tous genres et de poursuivre ma découverte de l'univers multiforme des livres.
Ce professeur-là n'inculquait pas un savoir, il offrait ce qu'il savait. 
Ce que nous avons lu de plus beau, c'est le plus souvent à un être cher que nous le devons. Et c'est à un être cher que nous en parlerons d'abord.
Dès que que se pose la question du temps de lire, c'est que l'envie n'y est pas. Car, à y regarder de plus près, personne n'a jamais le temps de lire.
Le lecture ne relève pas de l'organisation du temps social, elle est, comme l'amour, une manière d'être.
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Pennac
Daniel
Journal d’un corps