vendredi 10 mars 2017

La solitude de l'écrivain de fond, Notes sur Wright Morris et l’art de la fiction - Daniel Grenier

Quand j'ai eu dix-huit ans, en 1998, c'était l'année de la mort de Wright Morris, j'ai envoyé mon premier manuscrit, un roman expérimental, chez Gallimard, à Paris. [D.G.]
Voilà un court essai qui aura fait résonné toute sorte de concept tout au long de ma lecture. J'y ai lu le lecteur passionné qui découvre l'oeuvre d'un auteur, qui l'entreprend, qui s'y fond, qui s'y identifie, qui la recherche. J'y ai reconnu ma propre attitude lorsque, dans les années 80 et encore aujourd'hui, j'explorais les multiples traces littéraires laissées par Georges Perec.
... c'est maintenant lui que je cherche quand j'entre dans une bouquinerie. C'est mon premier réflexe. J'entre et me dirige tout droit vers la lettre « M » dans le rayon de la fiction. Plus la bouquinerie est chaotique et poussiéreuse, plus j'ai l'impression que j'y trouverai une perle, un exemplaire oublié d'un de ses romans que je n'ai pas encore en ma possession... [D.G.] 
J'ai lu une réflexion sur l'art d'écrire et sur le rôle de l'écrivain, sur les aléas d'un auteur qui cherche à faire reconnaître son talent, sinon à se faire connaître, à se faire publier, à trouver un lecteur ou un lectorat. Cet auteur, c'est parfois Morris dans l’œil de Grenier, c'est parfois Grenier dans mon œil et ma lecture. Car, si Grenier aborde la question de la création dans l'acte d'écrire, je ne peux nier que cela m'a amené sur le terrain de la lecture créatrice et la notion de livre intérieur que Pierre Bayard abordait dans Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? Le livre que j'ai lu est celui que j'ai créé, par son insertion dans ma bibliothèque intérieure, par les liens que j'ai créé entre lui et ce qui me reste de mes autres lectures ou même avec l'image que j'ai de mes non-lectures. Il sera peu probable que ce livre recréé par ma lecture puisse correspondre au livre du même titre que vous avez lu et placé dans votre propre bibliothèque intérieure. Il y aura bien sûr plein de constituants partagés, mais, à la marge, la trace laissée par ce même livre aura une couleur et un son différents dans nos univers respectifs. C'est en cela que la lecture constitue pour moi un acte créatif.

Le geste d'écrire de Daniel Grenier est soutenu par ce lecteur à qui il cherche à plaire, par la sensibilité de ce lecteur et par l'image qu'il s'en fait. N'est-ce pas le fait de la plupart des romanciers?
Il est le lecteur idéal, fabulé, dont certains parlent aussi bien que le lecteur réel qui ouvrira le livre et sera charmé, envoûté par le résultat qu'il tient entre ses mains et qui lui appartient désormais. [D.G.]
Il y a quelque chose de l'artisan, en effet, chez le romancier. Plus que chez tout autre écrivain, il y a chez lui une capacité séculaire à emmagasiner, à déployer, à faire revivre et à perpétuer, comme des recettes ou des arts de vivre. [D.G.]
Cela aura été une courte lecture, bien sûr, mais une lecture génératrice de réflexions sur l'écriture comme sur la lecture.

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À propos de Grenier, sur Rives et dérives, on trouve :

Grenier
Daniel
L’année la plus longue
Grenier
Daniel
Malgré tout on rit à Saint-Henri

mardi 7 mars 2017

Logogryphe, une bibliographie de livres imaginaires - Thomas Wharton

[Archives Juillet 2008]
Au premier jour de l'imprimerie, les livres étaient couramment vendus sans reliure. [T.W.]
Ni un essai, ni un roman, l'idée de ce livre était peut-être plus séduisante que sa réalisation. En fait, la
quatrième de couverture et quelques entrevues et critiques promettaient tellement plus. J'ai aimé toutefois quelques-uns des passages, quelques-unes des idées, quelques-unes des élucubrations bibliophiles, plusieurs des livres impossibles. Je demeure sur ma faim, mais l'auteur et son imagination débridée m'ont mis en appétit de ces livres dignes de la bibliothèque de Borges.

jeudi 23 février 2017

L'écrivain national - Serge Joncour

Ce séjour promettait d'être calme. [S.J.]
Voilà une autofiction où Serge Joncour se met en scène. Invité par les libraires d'une petite municipalité de région forestière à devenir l'écrivain en résidence ayant la charge d'animer des ateliers et de livrer quelques conférences, l'auteur sera plongé dès les premiers instants dans un drame issu d'un fait divers, la disparition d'une figure locale attribuée à un couple de ses locataires d'un petit terrain en forêt. C'est le regard photographié de Doria, la partie féminine de ce couple marginal, qui fascinera l'écrivain. Il cherchera aussitôt à la rencontrer sans tenir compte des avis contraires de ses hôtes.
On est alors entraîné dans la quête de l'écrivain, une quête qui prend une allure policière et noire, mais qui constitue en un certain sens un prétexte pour porter un regard sur une société tournée sur elle-même, une communauté qui engendre ses propres ennemis et où l'auteur, enquêteur gauche et malhabile, ne semble jamais à sa place.

Au rythme de ses incursions en forêt, l'auteur nous livre ici des descriptions naturelles et humaines parfois teintées d'ironie. Il partage également ses réflexions sur le rôle de l'écrivain, sur ses interactions avec ses lecteurs et avec le monde et cela est loin d'être la partie la moins intéressante de cette agréable lecture.
[...] lire, c'est plonger au cœur d'inconnus dont on percevra la plus infime rumination de leur détresse. Lire, c'est voir le monde par mille regards, c'est toucher l'autre dans son essentiel secret, c'est la réponse providentielle à ce grand défaut que l'on a tous de n'être que soi. [S.J.] 
Faut être prudent en condamnant l'aigreur des autres, de peur d'être soi-même en train de façonner la sienne. [S.J.]
Écrire, c'est se dénoncer. [S.J.] 
[...] par chance un roman n'a pas à dire la vérité, il peut bien plus que cela. [S.J.]
[...] vivre c'est être le maître de son feuilleton. [S.J.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :


Joncour

Serge

L’idole 

12/08/2014

Joncour

Serge

Nature humaine

29/09/2020

Joncour

Serge

Repose-toi sur moi

07/08/2017

lundi 20 février 2017

Un présent infini, notes sur la mémoire et l'oubli - Rafaële Germain

Mon père est mort le 13 novembre 2015. [R.G.]
Rafaële Germain nous offre ici un court texte initiateur de profondes réflexions sur la mémoire, sur l'oubli, sur le temps, tout cela dans le contexte googlesque et wikipédien d'aujourd'hui, mais aussi dans celui plus personnel et intimiste de sa relation avec son père, le regretté journaliste et chroniqueur Georges-Hébert Germain.

Nous avons droit ainsi à un riche essai qui nous invite de façon inspirante à porter un regard posé sur une société qui vit dans une instantanéité où tout est ramené à un présent qui ne permet plus l'oubli. Et cet essai hors norme est teinté de souvenirs, de mots prononcés et de gestes simples qui appartiennent à un univers qu'on se doit de ne pas oublier.
Le monde est toujours beau pour qui sait rester curieux. Tu m'avais expliqué, et j'avais compris. [R.G.]


lundi 13 février 2017

Agénor, Agénor, Agénor et Agénor - François Barcelo

[Archives Mai 2006]
Clorimont s'arrêta à mi-chemin du sommet de la colline, s'épongea le front avec un grand mouchoir à carreaux. [F.B.]
Un grand conte que ce premier roman de Barcelo. Il date de 1981. Parfois, on ressent cette datation dans le style éclaté de Barcelo. Si les sujets traités ici relèvent de plusieurs styles, Agénor, Agénor, Agénor et Agénor  demeure tout au long du récit un véritable conte. C'est le style prédominant, transcendant. Barcelo est un fameux conteur. C'est d'ailleurs ce que je connaissais de lui. Je n'ai pas été déçu, mais je m'attendais tout-de-même à quelque chose de plus ... éclatant qu'éclaté.