lundi 30 décembre 2024

Ravel - Jean Echenoz

On s’en veut quelquefois de sortir de son bain. [J.E.]

Maurice Ravel sort de son bain, c'est en quelque sorte sa naissance adulte et le début d'une fiction biographique qui s'émancipe des normes à la manière de Jean Echenoz. L'écriture minimaliste, près du quotidien, près de la vie, sert le projet d'Echenoz et permet d'établir une narration des dix dernières années du parcours de Ravel, mais surtout de livrer un roman à propos d'un dandy solitaire, inquiet, fragile. De sa traversée sur le France vers les États-Unis, où il accomplira une tournée échevelée jusqu'à ses derniers moments après un malheureux accident, en passant par sa composition du Concerto pour la main gauche, dédié à Paul Wittgenstein, ou sa lutte contre l'insomnie dans sa résidence de Montfort-l'Amaury, qui est régulièrement survolée par des bandes d'oiseaux, Echenoz nous fait participer à des moments du parcours de Ravel. Cela se déroule à la fin des années 1920, qui voient naître de nouveaux mouvements culturels, tel le jazz ou les surréalistes, Echenoz n'en fait pas abstraction, même si l'essentiel de ce roman s'intéresse à l'intimité de ce grand compositeur. En sa compagnie, j'aurai passé un très bon moment de lecture.

Le ciel pur contient un soleil glacé. [J.E.]

samedi 21 décembre 2024

Lise Bissonnette, Entretiens - Pascale Ryan

Intellectuelle engagée, femme d’idées et d’action, Lise Bissonnette est à la fois observatrice, analyste et partie prenante de la société québécoise depuis près de cinquante ans.  [P.R.]

Depuis un bon moment, je me promettais de lire ce texte où Lise Bissonnette, guidée par les questions de Pascale Ryan, se raconte, fait le portrait de son parcours, et, par le fait même, raconte le Québec et fait le portrait d'un parcours intellectuel dans le Québec d'après la Révolution tranquille. Je n'aurai pas été déçu. De son Abitibi natale où sa formation souffre des reliquats de la Grande noirceur à son itinéraire professionnel au cœur de plusieurs des grandes institutions québécoises, Lise Bissonnette se livre en démontrant encore une fois toute sa passion. Elle témoigne de son attachement à l'idéal qui a fondé la transformation et la modernisation du Québec dans les années 60 et 70. Elle déplore que de grandes réalisations, comme le réseau public de l'Université du Québec, la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), le Parc olympique demeurent, encore aujourd'hui, des promesses inachevées. 


Elle raconte son initiation au journalisme, qui débute par le journalisme étudiant, notamment au Quartier Latin, qu'elle considère comme un lieu important de sa formation et de son ouverture à la culture. Elle raconte son implication à la direction du Devoir où certains de ses éditoriaux marquent encore l'histoire.


Tout au long de ces entretiens, c'est le regard de Lise Bissonnette sur la société et son analyse affûtée qui sont mis de l'avant à travers l'histoire de son engagement. 

Une bibliothèque est d’abord un lieu de culture, elle incarne la transmission du savoir dans toutes les disciplines accessibles par la lecture, elle a soutenu le développement des démocraties et incarné ailleurs la résistance aux obscurités. [L.B.]

De toutes les fonctions dont j’ai eu la charge, la création de la Grande Bibliothèque, puis de la BAnQ, a été pour moi la plus heureuse. J’ai eu la chance inouïe de faire advenir un changement très important pour l’accès des Québécois à la culture, à la connaissance et au savoir, et ce, à une époque où on n’y croyait plus, où le service public semblait avoir atteint ses limites. Nous l’avons fait plutôt bien, je pense. La trajectoire a été droite, je m’en étonne encore aujourd’hui. [L.B.] 

mercredi 4 décembre 2024

Rue Escalei - Laura Nicolae

En cet après-midi d'été 1975, une exhalaison étrange se déployait dans la rue Escalei. [L.N.]

Rue Escalei se déploie autour d'une enquête concernant un chien mort et son maître blessé et sans conscience retrouvés dans un champ à quelques pas de sa demeure dans le quartier Andronache au cœur de Bucarest. Mais, cette rue de la plus grande ville de Roumanie dans les années soixante-dix est surtout le décor d'une multiplicité d'histoires humaines, de récits de vie, de souvenirs d'un autre temps, de relations intimes ou distantes entre ses habitants du moment et ceux du passé. Entre un cordonnier retraité, ses petits-enfants en recherche d'aventures, une voyante, un aviateur ancien combattant, une grand-mère pratiquante, le conducteur de tramway, une sorcière, un apiculteur et des enquêteurs pas toujours habiles, c'est toute une trame de la vie actuelle et passée d'un territoire qui semble parfois hors du temps qui se joue entre les pages de ce texte qui, à l'image de La vie mode d'emploi, aurait pu porter le sous-titre Romans (au pluriel).

J'ai plongé dans ce premier roman et j'ai aimé écouter le jeune Andrei lire des passages de l'histoire de Bucarest à l'aviateur Stanescu, une lecture qui révèle un autre volet de la structure des liens qui unissent ces attachants personnages. 

mardi 19 novembre 2024

Roman de gare - Philibert Humm

Mon banquier ne parle que d'argent. [P.H.]

Philibert Humm, dont je n'avais encore lu aucun roman, se met en scène dans cette épopée qui débute par une discussion autour de ballons de muscadet. Pour briser le train-train, il annonce tout de go qu'il repart à l'aventure et ses comparses lui suggèrent de devenir hobo. Ce Roman de gare s'articule ainsi comme une revisitation des romans du rail américains, tel Les vagabonds du rail de London, et une transposition dans l'univers de la SNCF avec tout l'humour, l'ironie et le regard moqueur sur la société que cela suppose. Ainsi, c'est avec son pote Simon, qu'il amorcera son aventure en se dotant d'un baluchon et d'une naïveté désarmante. Son objectif ? Repérer un convoi de marchandises qui peut les accueillir clandestinement pour amorcer un parcours ferroviaire français digne d'une odyssée. C'est savoureux. Philibert Humm manie la plume avec allégresse et on ne se lasse pas de ses notes en bas de page loufoques et de ses remarques saugrenues. À lire entre deux arrêts livresques plus sérieux.

Ils n’étaient pas simplement libres ou anticonformistes. Ils étaient l’anticonformisme et la liberté. Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous. [P.H.]

Nous décidâmes de longer la grille. Toute grille a sa brèche, comme tout verrou sa faiblesse, toute rivière son gué, toute montagne son col, tout Achille son talon et toute analogie ses limites. [P.H.]

Il n’y a pas d’homme plus courageux que celui qui sait s’arrêter après une cacahuète, dit le philosophe, et je ne suis pas cet homme. [P.H.]

lundi 4 novembre 2024

L'appareil-photo - Jean-Philippe Toussaint

C’est à peu près à la même époque de ma vie, vie calme où d’ordinaire rien n’advenait, que dans mon horizon immédiat coïncidèrent deux événements qui, pris séparément, ne présentaient guère d’intérêt, et qui, considérés ensemble, n’avaient malheureusement aucun rapport entre eux. [J.P.T.]

Selon ses propres termes, Jean-Philippe Toussaint s’engage dans une forme d’écriture qu'il qualifie de littérature infinitésimaliste. On trouve dans ses romans les deux extrêmes, de l'infiniment petit, de l'infraordinaire dirait Perec, du banal, des descriptions minutieuses d'actions insignifiantes dans un décor minimaliste; mais aussi, de l'infiniment grand par la réflexion que la lecture génère, par une écriture quasi philosophique posant un regard analytique sur la pensée, s'ouvrant sur la mélancolie du passage du temps, exprimant dans un langage presque poétique toute l'angoisse du moment. J'aime l'écriture de Jean-Philippe Toussaint, j'aime me laisser porter par ses élans volubiles dans des parcours se situant entre le réel et l'imaginaire sans savoir où cela me mènera. Je termine un roman de Toussaint en ayant le sentiment d'avoir réalisé un beau voyage.

[...] mieux vaut laisser la pensée vaquer en paix à ses sereines occupations et, faisant mine de s’en désintéresser, se laisser doucement bercer par son murmure pour tendre sans bruit vers la connaissance de ce qui est. [J.P.T.]

Car qu’est-ce que penser — si ce n’est à autre chose ? C’est le cours qui est beau, oui, c’est le cours, et son murmure qui chemine hors du boucan du monde.  [J.P.T.]

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