lundi 12 octobre 2020

La mariée de corail - Roxanne Bouchard

Le bruit mouillé qui réveille Angel Roberts, c'est celui de l'eau qui se déchire sous le poids d'une cage qui tombe. [R.B.]

Je ne connaissais pas les écrits de Roxanne Bouchard. Je n'ai pas lu la première enquête du sergent Joaquin Moralès, Nous étions le sel de la mer, qui avait pourtant reçu une critique enthousiaste, mais j'ai été conquis par cette deuxième incursion dans l'univers gaspésien. Cette majestueuse Gaspésie est présente tout au long des pages captivantes de ce polar maritime. Elle s'immisce dans le texte par la mer, par les odeurs et les algues, par le maquereau et le homard, par les gens qui foulent son sol et naviguent ses eaux, par l'organisation de la pêche, par le parc Forillon, par la route de Rivière-au-Renard à Haldimand ou le sentier de l'Anse-aux-Amérindiens jusqu'au Bout-du-Monde. Plus qu'un décor, son charme envoutant vient magnétiser l'écriture et la mer fait miroiter à chaque fois des éclats de soleil. Il y a, bien sûr, une enquête. Elle concerne la disparition d'une capitaine de homardier, mais il y a aussi l'évolution difficile d'une relation père fils et celle de leurs couples respectifs.

C'est à un magnifique voyage que nous convie l'auteure qui nous fait vibrer au rythme des marées et de sa passion pour les gens de mer.

Le soleil étend sur la mer des copeaux d'or. [R.B.]

Il se penche sur le télescope, observe la nuit qui attend l'aube, se redresse. La Gaspésie est un pays sans trêve. [R.B.]
La veille, il a regardé les pêcheurs lancer la ligne, la rembobiner, et ce geste seul, chorégraphique, lui a paru complet en soi. Comme ces disciplines asiatiques qui consistent à répéter sans fin le même mouvement, en l’intégrant dans son corps afin de libérer l’esprit. Un taï-chi de bord de mer, pour démêler les fils noués de ses idées. [R.B.]
Le vent baisse lentement avec la fin de l'après-midi, comme fatigué par sa journée de travail à fouetter la mer, à brasser l'écume, à tenir les vagues en éveil. Moralès sent l'humidité grasse du salange sur sa peau, dans ses cheveux, contre le bas encore mouillé de son pantalon. [R.B.]
Au-delà des fenêtres, l'horizon s'étend dans la nuit, la mer éparpille les tessons lumineux de la lune comme autant de fragments insaisissables qui scintillent, illusoires, à sa surface. [R.B.]

Appréciation : 4,5/5 

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Le murmure des hakapiks

22/10/2021

mardi 29 septembre 2020

Nature humaine - Serge Joncour


Pour la première fois il se retrouvait seul dans la ferme, sans le moindre bruit de bêtes ni de qui que ce soit, pas le moindre signe de vie. [S.J.]

Avec Nature humaine, Serge Joncour nous livre un regard aiguisé sur près de 25 ans de l'histoire d'Alexandre, un jeune agriculteur du Lot, près de 25 ans de la relation difficile entre le milieu agricole et le progrès effréné des villes, près de 25 ans de luttes pour protéger la nature face aux développements anarchiques de la technologie. Cela se passe dans une communauté du Lot, cela pourrait être dans le Bas-Saint-Laurent ou dans Lanaudière, l'œil que porte Joncour sur le local et l'infime s'inscrit dans l'universel et son discours excède toutes les frontières que, par erreur, on voudrait lui imposer. Il y a Alexandre qui jongle avec ses questionnements, il y a Constanze, la militante allemande qui soutient le rêve, il y a les soeurs et la famille, la racine et les pousses qui s'en écartent, il y a Crayssac, le vieil anarchiste. Il y a, sans nul doute, une part de nostalgie dans cette histoire politique de France vue des Bertranges. Je n'ai pu m'empêcher de penser, si on ajoutait une touche de fantastique aux visées utopistes, antimilitaristes et écologistes, aux Légendes d'aujourd'hui, une série de bandes dessinées de Christin et Bilal (La croisière des oubliés, Le vaisseau de pierre et La ville qui n'existait pas), une série qui fait assurément partie de ma bibliothèque idéale de BD. Nature humaine se lit dans une tout autre tonalité, mais le lecteur que je suis n'a pas limité les images qui se créaient dans son esprit à la lecture de ce roman social.

Pour le reste, sa vie était toute tracée, son projet c'était de tenir la ferme, d'épouser les saisons, et s'il ne se plaignait d'aucun mur, il sentait naître un fossé entre le vieux monde dans lequel il vivait, et le nouveau qui s'annonçait, celui de la ville, des semenciers, des mises aux normes et des banques. [S.J.]

À la campagne, dès qu'on fait vingt kilomètres, il y en a toujours un pour vous demander d'où vous venez, à vingt kilomètres de chez soi on est déjà un étranger. [S.J.] 

- Je vais vous dire, ce décor, eh bien j'en connais tout. Tout. Cette campagne, j'y vis depuis toujours. Ces arbres là-bas, je les connais tous, rien qu'à les voir je sens celui qui flanche, celui qui se fait étouffer par le lierre, celui qui a soif, celui qui repousse les autres, alors si je me mettais à bouger moi aussi, tous ces arbres, ces bêtes, ces prés, ce jardin et ces chiens, ils feraient quoi sans moi, hein, ils feraient quoi?  [S.J.]

Appréciation : 4/5

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