dimanche 24 mai 2020

Le théorème du parapluie ou L'art d'observer le monde dans le bon sens- Mickaël Launay

Les voyages en mathématiques commencent parfois dans les endroits les plus anodins. [M.L.]

Le mathématicien et « montreur de mathématiques » comme il aime se dénommer (le site Micmaths et la chaîne Youtube correspondante en témoignent)  nous fait voyager par cet ouvrage dans un monde que certains pourraient croire n'être pas à leur portée. L'extraordinaire vulgarisateur qu'est Launay saura les dédire. Il nous entraîne dans des lieux mathématiques à la limite de la physique qui sont moins fréquentés. Il nous fait réfléchir le fait que le monde semble plus multiplicatif qu'additif. Il joue avec l'infini. Il nous fait suivre les méandres des côtes et des frontières. Il nous initie à des géométries hors de l'ordinaire et nous fait voyager à la vitesse de la lumière. C'est la représentation mathématique qui nous sert de parapluie dans ce périple qui est loin d'être anodin.
Aucune théorie sur le monde n’est définitive. [M.L.]  
Le chemin vers notre connaissance du monde est si beau qu’on voudrait qu’il ne s’arrête jamais. [M.L.] 
Appréciation : 4,5/5
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Launay
Mickaël
Le grand roman des maths

mercredi 13 mai 2020

L'étrange fraternité des lecteurs solitaires - Patrick Deville

Le titre de cet ouvrage m'avait intrigué, la résonance qu'il peut avoir avec le bizarre moment que nous vivons avait titillé ma curiosité. Bien que le nom de cet auteur ne m'était pas inconnu, je ne connaissais aucune de ses oeuvres. Après coup, je me demande si cela a vraiment été une bonne chose d'en amorcer la découverte par cette plaquette hors norme. En effet, voilà ici regroupés de courts textes, lettres à des amis auteurs ou éditeurs, dont le thème très général serait le lecteur. Ce sont des textes érudits à propos des liens qui relient les auteurs entre eux et avec leurs lecteurs, fussent-ils d'une autre époque ou d'un autre lieu. Ne connaissant ni l'oeuvre antérieure de Deville, ni ses liens avec les auteurs cités, je suis probablement passé à côté de plusieurs idées sans les entrevoir. J'ai tout de même retiré quelques concepts intéressants de cette lecture.
Après tout, je lis les Anciens sous forme de traces d'encre sur des feuilles de papier assemblées en livres et tous ces objets et matériaux leur étaient inconnus aussi bien que la langue dans laquelle je les  lis, et pourtant ils sont mes contemporains le temps de la lecture. [P.D.]
Devenir lecteur est l'oeuvre d'une vie. non pas seulement lire des livres mais lire la bibliothèque, les grands morts et les contemporains, emprunter les chemins de traverse, découvrir les connexions secrètes, les souterrains cachés qui relient les textes. [P.D.] 

Appréciation : 3/5 

dimanche 10 mai 2020

Le vol de la Joconde - Dan Franck

L’histoire commence un matin, dans les premières années du XXe siècle, à la terrasse d’un café, Dôme ou Rotonde selon l’inclinaison du soleil. [D.F.]
En 1911, la Joconde disparaît du Musée du Louvre. Un vol a été commis. La Mona Lisa ne reprendra sa place que deux ans plus tard. Dans l'intervalle, une enquête s'anime, mais l'objet de ce roman n'est pas tellement cette enquête, c'est plutôt l'impact que cela aura sur une certaine société artistique marginale de Paris. Guillaume Apollinaire, dont l'une des relations avait déjà trempé dans la disparition de statuettes ibériques qui étaient en montre au même Louvre quelques années plus tôt, craint que des soupçons soient portés sur lui, d'autant plus que, comme son ami Pablo Picasso, il est d'origine étrangère (il est né en Italie de parents polonais). S'amorce ainsi un joyeux périple dans le Paris de ce début de siècle. Les deux lurons que sont Apollinaire et Picasso visitent à tour de rôle leurs amis et connaissances du milieu et cherchent désespérément un coin où cacher leur valise contenant les deux statuettes ibériques qui avaient inspiré Picasso pour Les Demoiselles d'Avignon. On croisera ainsi le Douanier Rousseau, Alfred Jarry, Modigliani et Gertrude Stein parmi tant d'autres. On s'insèrera dans des lieux mythiques comme le Bateau-Lavoir et on se frottera avec bonheur au vécu de cette grandiloquente bohème parisienne. Voici donc un roman qui, bien qu'il soit court, s'imprègne de belle façon et avec un sourire complice dans l'imaginaire de notre bibliothèque personnelle.

Appréciation : 4/5

mercredi 29 avril 2020

Le service des manuscrits - Antoine Laurain

Marcel Proust ouvrit ses lourdes paupières pour révéler un regard bienveillant teinté d'une pointe d'ironie, comme s'il savait pourquoi elle était là. [A.L.]
Voilà un court roman qui pourrait se situer sur un axe quelconque entre le polar, le sarcasme et le conte, s'il existe. L'auteur nous plonge d'office dans le monde des éditeurs, dans l'univers où se fait les choix de ce qui sera publié ou relégué aux oubliettes au moyen d'une courte et doucereuse lettre de refus. Ici, certains lecteurs ont pour tâche de dénicher la perle, ou du moins « tenir quelque chose ». C'est dans ce milieu parfois désabusé qu'un texte de cent soixante-dix pages fait irruption accompagné d'une lettre de présentation minimaliste: « Bonjour, je m'appelle Camille Désencres, j'espère que mon texte vous plaira. Bien à vous. CD. » La première lectrice l'identifie alors tel un ouvrage à publier de toute urgence. Une deuxième lectrice confirme le verdict et Les Fleurs de sucre débute son aventure littéraire qui le mènera jusqu'à la courte liste du Prix Goncourt. Il y a un hic, personne ne sait qui est Camille Désencres qui n'a communiqué avec l'éditrice que par voie électronique.

Parallèlement, un certain nombre de crimes commis en Normandie après la publication semblent se rapprocher étrangement de ceux décrits dans Les Fleurs de sucre. Qu'en est-il? Une enquête s'engage, enquête qui n'aura pas l'heur de soutenir tout à fait l'intrigue. Disons que le côté polar du roman n'est pas sa facette la plus réussie. On passe un bon moment de lecture, mais ce n'est probablement pas la pépite attendue. Les premières pages m'avaient amené à espérer plus.

Appréciation : 3/5

samedi 25 avril 2020

Les choses humaines - Karine Tuil

La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification [...]. [K.T.]
Les temps d'aujourd'hui étant ce qu'ils sont, la société ayant attaqué à son corps défendant la question des rapports humains, les débats ayant cours sur la définition de l'agression, sur le consentement, sur le viol, Karine Tuil, en observatrice des lieux de pouvoir et du cadre sociétal dans lequel il s'exerce, nous invite à une réflexion qui n'aura pas de conclusion définitive.

Les premières pages du livre nous déconcertent. On y introduit de nombreux personnages et on ne saisit pas tout de suite les relations qui les unissent. Mais, on comprendra, par la suite, toute l'importance d'avoir élaboré et mis en place cette machinerie, car c'est sa connaissance qui nous permettra de participer comme lecteur/acteur au débat et au procès qui suivra.

On a donc un monde parfait qui tourne autour du maître (en déclin) de la scène médiatique parisienne, un être peu sympathique, imbu de lui-même vivant une double vie et cherchant toutes les occasions de multiplier les aventures. Il y a ses conjointes, celle d'antan, celle qui est officielle et celle du moment. Il y a son fils, jeune entreprenant de son époque, engagé dans des études à l'Université de Stanford. Et puis, tout tourne, le château s'écroule, ce fils, de bonne famille comme on dirait, est accusé de viol. Un viol dont la victime serait la fille de l'actuel conjoint de l'épouse officielle. On est entraîné dans les dédales des interrogatoires et du procès et on ne peut que se questionner, qu'interroger notre éthique, que plonger dans nos valeurs, arriver à une première conclusion, puis refaire un tour de réflexions, interpeler à nouveau nos perceptions, notre façon de voir les choses et remettre tout notre échafaudage en questionnement. Les choses humaines ne présente pas un cadre dogmatique, c'est un roman qui porte à réfléchir sur la perception qu'on peut avoir du pouvoir et des rapports humains sous toutes leurs formes.
Le livre de chevet d'Adam, c'était La Disparition de Georges Perec. [...] Il était convaincu que la contrainte de Perec - écrire en renonçant à l'emploi du " e " - trahissait inconsciemment la possibilité, toujours présente pour les juifs, de leur propre disparition. [K.T.]
[...] désormais, le bonheur ne s'obtenait plus que sur ordonnance. [K.T.] 
[...] avec l'âge, il était devenu maniaque, anxieux et hypocondriaque, obnubilé par l'hygiène et la peur d'être contaminé par un virus qui l'affaiblirait.  [K.T.] 
Son médecin lui avait dit lors d'une consultation qu'il devait éviter les sports violents pour ne pas se blesser - avec l'âge, les plaies cicatrisaient moins vite. C'était vrai aussi, hélas, des plaies du coeur. [K.T.] 
Appréciation : 4/5