Aucun message portant le libellé récit. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé récit. Afficher tous les messages

mercredi 27 mars 2019

Des vies possibles - Charif Majdalani

Il était destiné à l’érudition, raison pour laquelle il fut envoyé à Rome dès 1621. [C.M.]
Le décor, c'est celui du XVIIe siècle. On empruntera des navires, des galères ou des caravelles. On vivra différents lieux, des montagnes du Liban à Rome, de Venise à Istanbul, ou encore à Amsterdam. On se plongera littéralement dans des tableaux de l'époque. On fréquentera la science naissante. On construira une érudition fondée sur la connaissance des langues. Et tout cela, dans de courts, très courts chapitres, qui, chacun, pourraient devenir le synopsis d'un récit, la trame d'une aventure, le germe d'une odyssée. On parcourt ainsi une partie de ce siècle en accompagnant Raphaël Arbensis, de son vrai nom Roufeyil Harbini. Les vies possibles du titre, ce sont les siennes, celles déterminées par des coups de tête, par des choix irréfléchis, par des lancées de dés du dieu hasard, par des rencontres fortuites. Qu'auraient pu être ces vies si le hasard avait fait d'autres choix, si la destinée avait tourné autrement, si d'autres circonstances s'étaient présentées? Voilà les questions qui se profilent dans les réflexions de Raphaël qui nous interpelle à propos de la liberté et du libre arbitre.

Voilà une lecture qui m'aura littéralement transporté ailleurs et c'est avec joie que je l'ai laissé faire.
Il rêva peut-être de dômes rutilants, mais dut apprendre qu’une ville se vit non par en haut mais par en bas, dans les venelles et l’odeur de cuisine [...]. [C.M.]
Une force l’aurait ainsi mené sur le chemin du bien, du meilleur possible pour lui, depuis le début, une force présidant avec intelligence à la chaîne des faits qui a constitué son existence, et donc à son destin. [C.M.]
[...] seuls le hasard et la marche erratique des choses président au devenir du monde. [C.M.]
Le nécessaire, écrit-il encore, n’est chaque fois qu’un coup de dés jugé favorable a posteriori dans la suite des coups de dés à jouer dans cette partie imprévisible qu’est une existence. [C.M.]
Il aime le bruit de l’eau qui coule dans les canaux et le craquement du bois des meules dans le silence de midi. [C.M.]

lundi 18 mars 2019

La nébuleuse du crabe - Éric Chevillard

Crab, s'il avait à choisir entre la surdité et la cécité, n'hésiterait pas une seconde et deviendrait sourd sur-le-champ. [É.C.]
Écrit inclassable. Celui qui nous offre quotidiennement depuis 2007 trois petits billets, trois fragments, dans le cadre du blogue L'autofictif est un véritable spécialiste de la forme courte, du petit papier, de l'anecdote hors contexte. En 1993, Éric Chevillard sévissait déjà avec La nébuleuse du crabe. Je me suis donc plongé dans cette lecture qui, après quelques pages, m'a ramené aux belles heures de découverte de Palomar où Calvino nous offre par la pensée de monsieur Palomar quelques observations philosophiques. Mais, à bien y penser, Crab, le personnage de La nébuleuse du crabe, par son caractère flou, indéfini, multiforme, ressemble aussi à un personnage que je découvrais récemment, Plume de Michaud qui est plongé dans des aventures surréalistes, ou encore à Qfwfq des Cosmicomics toujours d'Italo Calvino, qui nous fait découvrir l'évolution de l'univers depuis le big bang par les aventures rocambolesques d'un être aussi protéiforme que Crab.

Je me suis particulièrement amusé en me perdant dans les divers petits chapitres de cette lecture.

Puis il faudra songer à revernir les baleines. [É.C.]
Crab était aussi un médiocre flûtiste. [É.C.]
Il n'y a pas deux manières d'être heureux sur cette terre. Crab en prit soudain conscience. Il faut être trompettiste de jazz. [É.C.]
Crab disposait là d'une matière fabuleuse puisque tous les livres passés et à venir s'y trouvaient fondus [...] [É.C.]
Combien de fois devra-t-il plier le ciel pour le faire tenir dans sa poche? [É.C.]

______________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi : 

Chevillard

Éric

Le désordre azerty

17/11/2021


mercredi 6 mars 2019

Je remballe ma bibliothèque, une élégie & quelques digressions - Alberto Manguel

Ma dernière bibliothèque se trouvait en France, logée dans un vieux presbytère au sud de la vallée de la Loire, au coeur d'un village paisible d'à peine dix maisons. [A.M.]
L'événement, dont on ne connait pas les détails, qui fera en sorte que cet écrivain et penseur exceptionnel remette les 35 000 livres de sa bibliothèque dans des boîtes pour leur trouver un nouveau lieu, une nouvelle alcôve, est en quelque sorte le déclencheur d'une réflexion autour de ces livres, autour de ce qu'ils évoquent, autour de la littérature, de la lecture, des expériences d'écriture. Dans un court texte, Alberto Manguel ne nous lasse pas de ses digressions où il fait référence à son expérience auprès de Borges, où il met à profit son érudition, où il raconte sa relation avec les bibliothèques, où il narre l'histoire de la bibliothèque «qui avait atteint le statut de modèle pour toutes les bibliothèques, celle d'Alexandrie», où il met en scène son rapport aux dictionnaires et aux mots.

C'est un livre de passions livré ici par un maître ès passions, un livre à placer d'office dans la pile des livres à relire.

J'avais organisé ma bibliothèque en fonction de mes exigences et préjugés personnels. Contrairement à une bibliothèque publique, la mienne n'avait pas besoin de codes communs, compréhensibles et partagés par d'autres lecteurs. Une certaine logique saugrenue en gouvernait la géographie. [A.M.]
 [...] je trouve plus facile de me souvenir d'une histoire lue une fois, voilà longtemps, que du jeune homme qui en fut le lecteur. [A.M.]
Et ici Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, un livre qui avait appartenu à l’homme d’affaires canadien Timothy Eaton et dont les pages n’avaient été coupées que jusqu’à la quatre-vingt-treizième, avec un marque-page de l’hôtel Savoy, à Londres – et qui symbolisait pour moi mon pays d’adoption : la quintessence du roman québécois, écrit par un Français, lu jusqu’à la moitié par un magnat anglo-canadien dans un aristocratique hôtel londonien. [A.M.]
Les livres ont toujours parlé pour moi et m’ont appris beaucoup de choses longtemps avant que ces choses n’arrivent matériellement dans ma vie, et la présence physique des volumes a été pour moi très proche de celle de créatures vivantes partageant ma table et mon toit. Cette intimité, cette confiance, commence dès les débuts chez les lecteurs. [A.M.]
Chaque expérience de lecture tient uniquement à son lieu et à son temps, et ne peut être dupliquée. [A.M.]
Je me souviens qu’un jour, chez un ami en Gaspésie, au Canada français, nous nous demandions si le mot névé [...] était originaire du Québec. Mon ami appela sa femme : “Chérie, dit-il, amène Bélisle à table !”, comme s’il invitait l’auteur du Dictionnaire général de la langue française au Canada, l’érudit Louis-Alexandre Bélisle en personne, à partager notre repas. Je crois qu’une telle familiarité en dit long sur la nature des relations d’un lecteur avec les dictionnaires. [A.M.]
Pensez à Noah Webster, qui fut découvert par son épouse dans les bras de la servante. “Docteur Webster, s’écria-t-elle, je suis surprise !” “Non, madame, la reprit-il. Je suis surpris. Vous êtes étonnée.” [A.M.]
En soi, un dictionnaire ressemble à un ruban de Möbius, objet auto-définissant à surface unique, concentrant et expliquant sans la revendiquer une troisième dimension narrative. [A.M.]

mercredi 15 août 2018

Le Traquet kurde - Jean Rolin

Une jonchée de petits oiseaux morts, inodores, vidés de leurs entrailles et bourrés de coton, les yeux blancs, les couleurs de leur plumage un peu ternies, sans doute, mais pas au point que l'on ne puisse reconnaître dans ses dépouilles les choses vivantes qu'elles ont été. [J.R.] 
Voilà un livre particulier. On ne sait sur quelle étagère le classer. On ne sait s'il s'agit d'un roman, d'une autofiction, d'un essai ornithologique ou historique, d'un conte qui jongle avec la réalité, d'une histoire qui se faufile dans la géographie, d'un récit journalistique, d'une narration d'un féru d'observation d'oiseaux ou d'un peu de tout cela.

Un spécimen du traquet kurde, un oiseau établi normalement sur les hauteurs du Kurdistan, est aperçu en 2015 dans le Massif central. Jean Rolin le suivra dans le temps et l'espace et on se déplacera avec lui de l'Auvergne au Moyen-Orient, du XIXe au XXIe siècle, des balbutiements de l'identification des oiseaux à la science ornithologique d'aujourd'hui, du traquet kurde à la mésange bleue, de l'aventure de quelques collectionneurs excentriques aux élucubrations de certains espions britanniques, de Birds of Arabia de Meinertzhagen à The Fall of a Sparrow de Ali, des comportements des ornithologues modernes aux attitudes discutables des pionniers de l'identification et de la taxonomie aviaire.

Jean Rolin connait bien le monde ornithologique et il s'insinue par ce récit dans des dédales qui ne sont pas banals et qui parfois frôlent le burlesque. Surprenant texte qui s'étale sur un peu moins de 200 pages et dont on sort tout de même un peu étourdi avec une multitude de questions et le désir insatiable de croiser un jour Oenanthe xanthoprymna.
Le sirli du désert, cependant, a un chant très étrange, inquiétant parce que vaguement anthropomorphe, un peu comme cette bouscarle des Palaos dont on a pu écrire que son chant évoquait les vains efforts d'un idiot pour jouer de la flûte. [J.R.]

dimanche 15 juillet 2018

La Fabrication de l'aube - Jean-François Beauchemin

Un jour, je suis mort. [J.F.B.]
Ce récit datant de 2006 ne pourrait d'aucune façon être plus personnel. Cette tranche de vie que nous narre Jean-François Beauchemin n’est ni plus ni moins qu’une expérience traumatisante. Terrassé par une grave maladie, il vivra un coma de plusieurs jours. On l'accompagne dans ses réflexions, ses émotions, son retour à la vie, son retour à l'amour, à travers ses proches et ses expériences d'écriture. Sa famille, ses parents, ses frères, sa soeur et sa conjointe occupent des places privilégiées dans ce récit. On aurait pu craindre que cette expérience de presque mort entraîne un regard larmoyant ou celui d’une victime, mais la plume de Beauchemin nous entraîne plutôt vers une renaissance, une refondation, une nouvelle aube pour son écriture.
Je remercie sans cesse l’espèce de hasard ordonné qui me fait devenir chaque jour un peu plus écrivain et me permet donc de recouvrir les choses de l’exact manteau des mots. [J.F.B.]
C'est probablement un ouvrage particulier dans l'oeuvre de Beauchemin, mais je ne suis pas déçu d'aborder cet auteur sous cet angle autobiographique et foncièrement intime. Libre à moi, maintenant, de découvrir d’autres romans qu’il a commis.
Mais le sommeil, cette petite tombe, renferme en lui-même un bijou précieux: le rêve, révélateur prodigieux de toutes nos souffrances. [J.F.B.]

Il me semble que, plus que les gens, plus que le travail, plus que les écoles, c’est le temps qui nous invente.  [J.F.B.]
C'est un livre que j'ai écrit presque malgré moi, sans doute parce que je tremble à la simple évocation des faits que j'y raconte. [J.F.B.]

lundi 9 juillet 2018

Tentative d'épuisement d'un lieu parisien - Georges Perec

Il y a beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple: une mairie, un hôtel des finances, un commissariat de police, trois cafés dont un fait tabac, un cinéma, une église [...] [G.P.]
Perec aimait les listes, il était passé maître dans ce type de description. Il faut lire (et relire) La vie mode d'emploi et on ne peut qu’en être convaincu. Cette Tentative d'épuisement d'un lieu parisien était l'un de ses projets d'écriture lié à la revue de « critique radicale » Cause commune. Perec participa de 1972 à 1974 à cette aventure qui visait « une anthropologie de l'homme contemporain » et qui se vouait à « une investigation de la vie quotidienne à tous ses niveaux ». C'est dans cette recherche de l'ordinaire et même de l’infra-ordinaire qu'il se plie à cet exercice d'écriture en s'installant à un café de la Place Saint-Sulpice pendant trois jours pour y décrire « ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages ». Le résultat est particulier et appartient à une catégorie d’ouvrages de Perec où la liste est traitée pour elle-même. Telles les 81 fiches-cuisine à l'usage des débutants ou la Tentative d'inventaire des aliments liquides et solides que j'ai ingurgités au cours de l'année mil neuf cent soixante-quatorze, ces listes constituent des exercices qui nourriront par la suite d’autres ouvrages qui s’en inspireront et les sublimeront. Je pense à Un cabinet d’amateurLa boutique obscure ou encore et toujours La vie mode d’emploi.
La date : 19 octobre 1974 (samedi) 
L'heure : 10 h 45 
Le lieu : Tabac Saint-Sulpice 
Le temps : Pluie fine, genre bruine [G.P.]
_________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Burgelin

Claude

Album Georges Perec

20/04/2022

Decout

Maxime

Cahiers Georges Perec, no 13, La Disparition, 1969-2019 : un demi-siècle de lectures

11/06/2021

Évrard

Franck

Georges Perec ou la littérature au singulier pluriel 

06/01/2015

Perec

Georges

Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

30/05/2010

Perec

Georges

Espèces d’espaces

05/06/2017

Perec

Georges

Georges Perec

16/02/2010

Perec

Georges

L’attentat de Sarajevo

05/09/2016

Perec

Georges

La vie mode d’emploi 

10/02/2016

Perec

Georges

Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

Perec

Georges

Penser / classer 

30/05/2016

Perec

Georges

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

Perec

Georges

Un homme qui dort

02/10/2016