lundi 31 juillet 2023

La salle de bain - Jean-Philippe Toussaint

Lorsque j’ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m’y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. [J.-P.T.]

Comme avec Fuir que j'avais récemment lu, l'auteur nous déstabilise. On entre dans ce roman avec l'impression qu'il nous manque une clé, puis c'est ce manque qui prend toute la place. On l'apprivoise, on apprécie le décalage. Et puis, on y trouve un humour retenu, de l'absurde fellinien, un quotidien déjanté, une philosophie du temps qui passe. Un jeune homme est allongé depuis quelques moments dans sa salle de bain alors que des peintres polonais effectuent des travaux dans l'appartement que le protagoniste partage avec sa compagne, galeriste. À l'aide de touches minimalistes, l'auteur, dans la peau du narrateur, décrit comme un spectateur de sa propre vie les aléas d'un ensemble de faits divers qui basculent dans une fuite inexpliquée vers Venise et des rencontres incongrues. Tout cela est écrit avec toute la fluidité de la plume de Jean-Philippe Toussaint qui nous entraîne ainsi dans d'agréables moments de lecture.

Des débats ont été engagés, dirait l’ambassadeur, des suggestions émises, des conclusions tirées et des programmes adoptés. Ces projets, qui ont été élaborés dans le sens de l’harmonisation des textes, visent, à travers une définition précise des études préalables, à renforcer la mise en œuvre des dispositions établies lors de la précédente réunion. Les mêmes dispositions tendent, du reste, à inspirer aux participants une programmation plus rigoureuse de leurs activités d’étude pour une meilleure maîtrise des projets, de manière à mettre en œuvre les modalités d’une amélioration de l’efficacité pratique des capacités. [J.-P.T.]

L’ancien locataire, homme distingué, regardant la bouteille, estima que c’était du très bon vin, mais nous confessa avec un rire prudent qu’il n’aimait pas le bordeaux, préférant le bourgogne. Je répondis que moi, je n’aimais pas tellement la façon dont il était habillé. Son sourire fut gêné, il rougit. Il y eut un certain froid du reste, la conversation ne reprit pas tout de suite. [J.-P.T.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi : 

Toussaint

Jean-Philippe

Fuir

14/05/2023


 

mercredi 28 juin 2023

Le monde se repliera sur toi - Jean-Simon DesRochers

Cette phrase, qu'est-ce que je disais ? Fixant la moulure du plafond, Noémie cherche les mots qu'elle vient à peine de prononcer dans un rêve. [J.-S.D.]

La théorie des Six degrés de séparation émise en 1929 se voit régulièrement réformée par l'omniprésence des réseaux sociaux. Selon certains, on en serait à un peu moins de cinq. Jean-Simon Desrochers, l'auteur, notamment, de La canicule des pauvres qui se trouve dans ma pile de livres à lire, joue de ce principe pour nous offrir un roman qu'on pourrait dire « à relais ». Chaque chapitre constitue une parcelle du monde, un regard oblique sur la société, un interstice dans le théâtre de l'humain. Puis, un personnage de cette minuscule tragicomédie en est extrait pour devenir le cœur du chapitre suivant. Et le même procédé est répété de chapitre en chapitre, de ville en ville. C'est en cela que le monde se replie sur le lecteur. Avec quelque trois tours du monde, les minuscules récits concoctés par Desrochers participent à une magnifique polyphonie qui fait intervenir près de cinquante personnages s'entrecroisant, certains plus d'une fois. La scène globale que nous dépeint Desrochers est faite de solitudes, de dépossession, de terrorisme, de bonheurs cachés, d'écologisme militant, d'espoirs menacés. Et puis, on en conclut, après ce tour de force, que le monde est bien petit.

De Paris à Zhèngzhôu, l'illusion de proximité se gère à coups de fils de cuivre, de fibre optique et de serveurs informatiques, réalité que Feng a peine à se figurer autrement qu'en appuyant sur les icônes d'un écran; grâce à une magie sans mystère, son image peut se retrouver presque n'importe où. [J.-S.D.]

 

dimanche 25 juin 2023

Crépusculaires - Stanley Péan

L'autre soir, en songe, au milieu du labyrinthe où s'amalgament le présent, le passé et l'avenir, l'homme que je suis aujourd'hui a revu le jeune homme que j'étais au moment de ma découverte de Jorge Luis Borges. [S.P.]

Stanley Péan, cet homme de radio et d'écriture, renoue avec ce genre trop peu loué que sont les nouvelles. Et il le fait, dans des formats variant de quelques lignes à quelques pages, avec toute l'expérience qu'il transporte. En peu de mots, il sait faire naître des univers étranges, mystérieux, parfois oniriques, parfois bien ancrés dans le réel, des univers qui partagent avec le titre choisi ce clair-obscur caractéristique du peintre Caravage. On rencontre des êtres éprouvés, confrontés à la perte, cherchant tout de même des raisons de continuer au-delà du départ, plus loin que la mer, dans des zones insoupçonnées. La littérature et la musique ne sont jamais loin des inspirations de l'auteur et son écriture coule entre la mort et l'espoir, entre le passé et le renouveau, entre le blues et le jazz.

Accablée par un soleil de plomb tout l'après-midi, Montréal au grand complet donnait l'impression de suffoquer dans la quête désespérée d'un peu de fraîche, d'un peu d'ombre, d'une ondée bienfaisante.  [S.P.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Péan

Stanley

De préférence la nuit

28/12/2022

Péan

Stanley

Jazzman 

19/09/2010

 

dimanche 18 juin 2023

Nous - Evgueni Zamiatine

Je ne fais ici que recopier - mot pour mot - ce que publie aujourd'hui le Journal officiel : Dans cent vingt jours, la construction de l'Intégrale sera achevée. [E.Z.]

J'étais curieux de découvrir ce roman dystopique publié en 1920. C'est en quelque sorte l'ancêtre des romans Le meilleur des mondes, 1984 ou Un bonheur insoutenable. On a accès au journal du personnage principal, D-503. Cet ingénieur et mathématicien travaille à la fabrication de L'Intégral qui sera un vaisseau spatial dont l'objectif sera un prosélytisme actif auprès des civilisations extra-terrestres pour leur faire connaître le bonheur ultime que l'État unitaire offre à ses adeptes. Mais, des rencontres fortuites placent sur le chemin de D-503 des pistes vers d'autres pensées, des sentiments inavouables pour les mondes anciens, le réveil de l'âme et un regard vers la liberté. 

Bien qu'intéressante du point de vue de l'histoire littéraire des contre-utopies, cette lecture m'a laissé un peu insatisfait. On voit l'évolution de la pensée de D-503, de la défense du monde dans lequel il vit jusqu'aux questionnements les plus aigus de cette réalité, mais la langue qu'il utilise, cette façon de donner un vernis mathématique à tous les arguments m'apparaissait trop simpliste, trop formatée et cela me faisait parfois décrocher. Il faut reconnaître toutefois qu'écrire un tel roman en 1920 dans le contexte de l'Union soviétique naissante est formidablement contestataire. 

Vous êtes destinés à soumettre au joug bienfaisant de la raison des êtres inconnus qui habitent d'autres planètes et sont peut-être encore en état de liberté primitive. S'ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. [E.Z.]

L'homme a quitté l'état de bête sauvage quand il a construit le premier mur. Il a cessé d'être un homme sauvage quand nous avons construit la Muraille verte, lorsque, grâce à elle, nous avons isolé notre monde mécanisé et parfait du monde irrationnel, informe, des arbres, des oiseaux, des animaux... [E.Z.] 

Les mathématiques - dans ma vie déboussolée le seul îlot de solidité inébranlable - ont, elles aussi, largué les amarres, sont parties à la dérive en tourbillonnant. [E.Z.] 

 

mercredi 7 juin 2023

Les dieux ont soif - Anatole France

Évariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV, s'était rendu de bon matin à l'ancienne église des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siège à l'assemblée générale de la section. [A.F.]
La période postrévolutionnaire qu'a été La Terreur ne m'était pas bien connue. Je connaissais le rôle qu'y avait joué Maximilien Robespierre, mais je ne savais rien de la dérive qui avait mené là. Bien sûr, c'est un roman, bien sûr, plusieurs des personnes qui interviennent dans ce roman demeurent des personnages fictifs, mais je crois bien qu'Anatole France a su décrire de façon particulièrement juste l'atmosphère qui a pu régner dans les ans II et III de la jeune République française. En retraçant l'évolution du jeune peintre et citoyen patriote Évariste Gamelin, autant dans son quotidien et ses amours naissantes que dans ses convictions et ses positions politiques en regard de la république, c'est toute une société qui se cherche dont Anatole France a voulu brosser le tableau. On verra la foule parisienne s'émouvoir à la mort de Marat, la place de plus en plus grande qu'occupera le tribunal révolutionnaire, l'engagement comme juré du jusqu'au-boutiste Évariste Gamelin, sa dérive, transporté par la force des événements, de convaincu qu'il était à bourreau de ses proches. On constate le déraillement des meilleurs sentiments vers des actes d'atrocité portés par la guillotine. Voici donc un magnifique roman historique dont la lecture, à toute époque, amène son lot de résonance avec l'actualité et ne manque pas de provoquer des réflexions sur le monde.
La Révolution avait dans toutes les maisons renversé la marmite. Le commun des citoyens n'avait rien à se mettre sous la dent. [A.F.]