mercredi 7 juin 2023

Les dieux ont soif - Anatole France

Évariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV, s'était rendu de bon matin à l'ancienne église des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siège à l'assemblée générale de la section. [A.F.]
La période postrévolutionnaire qu'a été La Terreur ne m'était pas bien connue. Je connaissais le rôle qu'y avait joué Maximilien Robespierre, mais je ne savais rien de la dérive qui avait mené là. Bien sûr, c'est un roman, bien sûr, plusieurs des personnes qui interviennent dans ce roman demeurent des personnages fictifs, mais je crois bien qu'Anatole France a su décrire de façon particulièrement juste l'atmosphère qui a pu régner dans les ans II et III de la jeune République française. En retraçant l'évolution du jeune peintre et citoyen patriote Évariste Gamelin, autant dans son quotidien et ses amours naissantes que dans ses convictions et ses positions politiques en regard de la république, c'est toute une société qui se cherche dont Anatole France a voulu brosser le tableau. On verra la foule parisienne s'émouvoir à la mort de Marat, la place de plus en plus grande qu'occupera le tribunal révolutionnaire, l'engagement comme juré du jusqu'au-boutiste Évariste Gamelin, sa dérive, transporté par la force des événements, de convaincu qu'il était à bourreau de ses proches. On constate le déraillement des meilleurs sentiments vers des actes d'atrocité portés par la guillotine. Voici donc un magnifique roman historique dont la lecture, à toute époque, amène son lot de résonance avec l'actualité et ne manque pas de provoquer des réflexions sur le monde.
La Révolution avait dans toutes les maisons renversé la marmite. Le commun des citoyens n'avait rien à se mettre sous la dent. [A.F.]

dimanche 4 juin 2023

Ma vie d'espion - Thierry Horguelin

En ce temps-là, j'aimais vivre ma vie comme un roman d'espionnage. [T.H.]

Quelque part entre la nouvelle et le roman se situe la novella. Ici, on aurait une délicieuse novella qui se déroule dans le monde de l'art contemporain et qui se prend pour un polar ou un roman d'espionnage.  On se laisse rapidement prendre par ce jeu qu'instaure le personnage principal qui consiste à s'imaginer comme acteur d'une intrigue impliquant filatures et services secrets. Puis, les aléas du quotidien du photographe d'art viennent, au détour d'expositions hors norme, attester le jeu de rôle qu'il s'imposait. Dans des cadres totalement inusités ont lieu des manifestations artistiques relevant du domaine de l'installation, manifestations sous la gouverne d'une mystérieuse galeriste aussi éphémère dans sa présence que les œuvres qu'elle promeut sans pourtant en autoriser la photographie.

On se laisse agréablement mener par une écriture allègre faite de phrases courtes comme pourrait l'imposer l'intention de style. Voilà donc une joyeuse lecture qui me laisse découvrir un auteur dont je ne connaissais pas la plume.

Manzoni [...] pratiquait une forme de radicalité. Elle travaillait avec peu de moyens et sans souci de se faire une place sur le marché de l'art. [...] elle professait une théorie de l'effacement. Visites sur invitation seulement. Pas de catalogues. Pas de site web. Pas de page Facebook. Jamais de photos des expos, défendu, verboten. Une exposition ne devait pas laisser d'autre trace que le souvenir d'une expérience dans la mémoire de ses visiteurs. [T.H.]

mercredi 31 mai 2023

Qui de nous deux ? - Gilles Archambault

Écrire ne m’a jamais consolé de quelque peine. [G.A.]
L'écriture de Gilles Archambault émeut toujours, mais jamais autant que lorsqu'il s'insinue dans le genre autobiographique, lorsque, comme ici, son discours intimiste relate un couple, le sien, qui se voit démembrer par l'arrêt de la vie. L'écriture de cette chronique, ce journal, est la voie qu'Archambault a trouvée pour faire face à la mort de sa conjointe des cinquante dernières années. Évocation de moments heureux, tendresse partagée, amours ordinaires, sincères et durables. Archambault relate les douleurs des derniers instants, la peine et le désarroi devant l'inévitable, mais aussi les souvenirs agréables d'un parcours de vie à deux. 
Je suis essentiellement un nostalgique. [G.A.]
Voilà donc un récit d'une tranquille délicatesse où l'auteur, bien qu'il se livre à cœur ouvert, fait discrètement intervenir ses amis de toujours les livres qui l'ont touché, les écrivains qui l'ont accompagné et des souvenirs de lecture. La littérature tout entière n'est-elle pas un effort pour rendre la vie bien réelle, tel que l'affirmait Fernando Pessoa ? 
« C’est chose tendre que la vie, et aisée à troubler », écrit Montaigne. La tendresse ne nous avait pas quittés. La vie nous menaçait. [G.A.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :  

Archambault

Gilles

À peine un petit air de jazz

05/02/2018

Archambault

Gilles

En toute reconnaissance, Carnet de citations plutôt littéraires

14/04/2019

Archambault

Gilles

L’ombre légère 

29/01/2012


samedi 27 mai 2023

Les crépuscules de la Yellowstone - Louis Hamelin

Ce livre raconte la remontée d’un fleuve. [L.H.]

Que voilà un parcours intéressant, le périple de John James (Jean-Jacques) Audubon, l'auteur des magnifiques planches des Oiseaux d'Amérique, sur le Missouri et le Yellowstone, en territoire indien, en dessinant tout du long des espèces sauvages. Audubon, vieillissant, s'aventure en 1843, dans cette contrée mythique, accompagné du trappeur Étienne Provost dans l'espoir de garnir ses cahiers de dessins de quadrupèdes particuliers et d'oiseaux remarquables. Cela se fait dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. S'ils traversent des territoires indiens peu explorés, Audubon, son équipe, Provost et les chasseurs métis qui les accompagnent sont à l'affut des troupeaux de bisons. Les règles respectées dans une expédition naturaliste de l'époque sont à des années-lumière de celles d'aujourd'hui. Le contexte est plutôt celui d'un prédateur en chasse, ce qui anticipe le massacre qui suivra. Beau paradoxe. Mais, cela est magnifiquement raconté par un auteur qui, lui-même ornithologue, manifeste du respect devant le chant d'un oiseau et les lithographies réalisées par Audubon. 

D'ailleurs, on accompagne également le narrateur dans sa démarche, ses souvenirs et sa visite des mêmes terres maintenant parsemées de puits de pétrole, la destruction se poursuit. Les crépuscules de la Yellowstone est un roman à nul autre pareil. L'auteur le qualifie de western écologique, c'est aussi un regard sur l'histoire du fait français en Amérique.

Je feuillette lentement les reproductions des lithographies originales, avec le mélange de studieux respect et de dévotion admirative qui convient à la lecture d’un livre sacré. Ces oiseaux qu’il massacrait pour mieux les peindre, personne, avant lui, ne les avait rendus aussi vivants. [L.H.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]