lundi 4 janvier 2021

L'île du point Nemo - Jean-Marie Blas de Roblès

Le Tigre à droite, désormais invisible, à gauche les hauteurs pelées des monts Gordiens ; entre les deux, la plaine ressemblait à un désert fourmillant de carabes à reflets d'or. [J.M.B.de R.]

Voilà une oeuvre qui secoue, un roman-route multiforme où l'on suit, au travers une multitude de mises en abyme, les instigateurs d’une odyssée incomparable qui mêle le baroque, le feuilleton, les aventures policières et les clins d’œil littéraires, une œuvre picaresque truffée de références jouissives, un conte ayant pour décor un univers qu'on pourrait croire de Jules Verne ou de Conan Doyle. 

Quelle n'a pas été ma surprise de reconnaître au tournant d'une page un personnage issu d'une lecture récente? 

Cette merveille était la propriété de Lady MacRae, veuve de Lord Duncan MacRae, seigneur de Kintail, autrement dit d'une certaine Madame Chauchat qui ne devrait pas être totalement effacée de vos souvenirs, si je ne m'abuse. - Chauchat, Clawdia Chauchat? murmura Canterel. - Elle-même, dit Holmes en sortant un cigare de son gilet. [J.M.B.de R.]

Clawdia Chauchat n'est autre que l'incarnation du désir de Hans Castorp, le protagoniste de La montagne magique de Thomas Mann. Ce sont entre autres choses l'érotisme contenu et la volupté de Clawdia Chauchat qui retiennent Castorp dans un sanatorium alpin où il était venu visiter son cousin. Si La montagne magique n'avait pas pris place sur ma table de chevet au cours des derniers mois, probablement que je n'aurais jamais suspecté cette intertextualité. Combien de citations, d'allusions ou de références n'ont pas pu attirer mon attention, leurs sources n'appartenant pas à mon bagage ? La forme abracadabrantesque du texte permet en effet d'en dissimuler un impressionnant nombre.

Ce roman à tiroirs fondé sur le pouvoir absolu de l'imaginaire est écrit dans une langue pleine de charme. On se trouve plongés dans un univers temporel ayant des points communs à la fois avec le XIXe siècle du Tour du monde en 80 jours qu'avec une ère technologique proche de notre réalité tout en étant dans sa marge. Deux narrations s'entrechoquent et s'imbriquent admirablement, celle de la quête pour retrouver un diamant volé qui entraîne certains protagonistes autour de la planète jusqu'à cette île nommée île du point Nemo, et celle qui concerne une usine de liseuses électroniques où on maintient une tradition de lecture à voix haute prenant sa source dans les manufactures de cigares cubains. 

Roman d'aventures extrêmes, il prend toute son envolée dans l'imaginaire si, en l'ouvrant, on accepte d'être transporté hors de la réalité dans un voyage loufoque, ironique comportant plus qu'à son tour des réflexions qui nous incitent à porter un regard renouvelé sur la réalité et même sur la littérature.

À ce point du récit, la voix s'arrête, aussitôt remplacée dans les haut-parleurs par une petite musique d'ameublement, de celles qui augmentent la production de lait dans les étables.  [J.M.B.de R.]
Si je ne craignais pas la contradiction des termes, je parlerais d'une logique de l'irrationnel, un processus mental dont je me suis aperçu qu'il tirait de la marge, des rencontres aléatoires, et en quelque sorte de la poésie pure, la magie de son fonctionnement. [J.M.B.de R.]

Les Anarchistes épistémologues marchaient avec les Voltairiens du dernier Jour, mais aussi avec les Libres Penseurs mongols, les Antithéistes du Kampuchéa démocratique, les Suppôts de Babeuf, le Renouveau marxiste de l'Oural, les Outrés du Nord, les Engoués du Sud, les Autonomes du Gai Savoir, les Commandos de l'Apostasie, les Fouriéristes de l'Attraction passionnée. [J.M.B.de R.] 

- Allons, mon cher, dit le docteur Mardrus en levant la tête de son carnet, je vous ai connu plus de ténacité. Il n'existe aucun fleuve que la mer ne finisse par absorber. La réalité vous résiste? Soyez encore plus réel qu'elle ne l'est, c'est le secret de la réussite. [J.M.B.de R.] 

Le mystère de la femme découpée en morceaux reste entier, mais il semble bien qu'elle menait une double vie. [J.M.B.de R.] 

Appréciation : 4/5 


________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Roblès

Jean-Marie Blas de

Ce qu’ici-bas nous sommes

26/02/2021

Roblès

Jean-Marie Blas de

Là où les tigres sont chez eux

24/09/2021

lundi 21 décembre 2020

Le goût du vrai - Étienne Klein

Le contexte a fait en sorte que des discours scientifiques et anti-scientifiques se présentent à nous presque quotidiennement. S'entremêlent alors des faits vérifiés et des pseudo-vérités, des canulars et des interprétations excessives, des idées et des opinions dans un univers médiatique où le relativisme semble avoir gagné du terrain.
Aujourd’hui, la tendance à avoir un avis non éclairé sur tout, et à le répandre largement, me semble gagner en puissance. Dans son sillage, elle distille l’idée que la science, surtout lorsqu’elle devient dérangeante, ne relève que d’une croyance parmi d’autres. [E.K.]
C'est dans ce magma de couverture diverse que la parole d'Étienne Klein s'est présentée avec cette plaquette où rationalité, connaissances et vérités scientifiques sont interpellées alors que les circonstances, trop souvent, les bafouent. J'ai donc lu avec beaucoup d'intérêt Le goût du vrai de cet auteur, animateur, physicien, vulgarisateur et philosophe des sciences que j'aime à écouter dans La conversation scientifique sur France-Culture. J'ai retrouvé là des idées pertinentes sur la perception et la place que la société accorde à la science, sur les relations entre science, réalité et vérité scientifique. L'auteur conclue qu'il n'est pas souhaitable de renouer avec le scientisme, mais, dans la situation actuelle où la nature se rappelle à nous avec force, il propose plutôt de faire appel à nouveau à la rationalité tout en la refondant et en remettant en question le relativisme ambiant. 

Voilà donc un essai qui, bien que court, est tout à fait percutant.
La science prend souvent l’intuition à contre-pied, contredit presque toujours le bon sens et n’a que faire de la bureaucratie des apparences. [E.K.]
Quiconque a fréquenté d’un peu près les questions scientifiques le sait: il y a un « érotisme des problèmes ». [E.K.]
[...] comme me le dit un jour Jean-Marc Lévy-Leblond, fort des observations astronomiques qu’il réalise chaque été avec ses petits-enfants, voir les satellites de Jupiter où les anneaux de Saturne grâce à un petit télescope est autrement plus excitant que d’en apprendre l’existence dans un manuel, même illustré de beaux clichés. Car c’est alors un écho de l’émerveillement de Galilée que l’on sent pénétrer en soi, comme une intraveineuse. [E.K.]

Appréciation : 5/5 

dimanche 6 décembre 2020

Toutes les histoires d'amour ont été racontées, sauf une - Tonino Benacquista

Depuis sa disparition, Léo me manque. [T.B.]

Benacquista nous surprend toujours par la diversité de ses écrits. Cette fois-ci, il nous ouvre simultanément les portes de plusieurs univers, des univers que découvre Léo qui, en mal de vivre, s'est cloitré pour s'offrir des séries télé en mode rafale. Ce roman, c'est donc l'histoire de Léo et celle du narrateur qui a constaté sa disparition. Ce sont également les histoires des séries à l'intérieur de l'histoire, c'est l'histoire d'Harold à qui on a donné le défi d'écrire la plus belle histoire d'amour, c'est aussi l'histoire d'une multitude de personnages qu'on découvre l'un après l'autre à chaque fois par un épisode d'une série dont on ne verra jamais l'entièreté. On se laisse envahir dans le creux de ces aventures en ne sachant plus toujours ce qui relève de la réalité et de la fiction, ou plutôt en ne sachant plus à quel niveau de fiction nous nous sommes engagés. Évidemment, cette lecture d'une réalité trouble rappelle par quelques éléments le mémorable Saga et on ne s'en plaint pas. Cela aura été une agréable expérience que de se perdre dans toutes ces aventures. Je crois qu'il faut accepter de s'abandonner à l'auteur et affirmer comme Lena à Harold :

Parce que celui qui consent à s'embarquer dans ton récit, Harold, voyage en confiance. Il s'est débarrassé de ses bagages, ses références, ses croyances, ses idéaux, il est prêt à bouleverser ses certitudes en attendant que soit tenue la promesse que tu lui as faite de paysages inédits et de destinations secrètes. [T.B.]

_____

[...] il se contente d'appuyer une seule fois sur le déclencheur, ou pas du tout, car selon lui il y a bien plus de raisons de ne pas prendre une photo que de la prendre. [T.B.]

La comédie humaine est une farce bouleversante qui se renouvelle chaque jour. [T.B.]
Car que nous reste-t-il dans l'arsenal de la raison pour repousser l'épouvantable spectre du mauvais hasard sinon l'idée de destin? [T.B.]

Appréciation : 3,5/5
___________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Benacquista

Tonino

Homo erectus 

05/09/2011

Benacquista

Tonino

Romanesque

31/01/2017