dimanche 10 mai 2020

Le vol de la Joconde - Dan Franck

L’histoire commence un matin, dans les premières années du XXe siècle, à la terrasse d’un café, Dôme ou Rotonde selon l’inclinaison du soleil. [D.F.]
En 1911, la Joconde disparaît du Musée du Louvre. Un vol a été commis. La Mona Lisa ne reprendra sa place que deux ans plus tard. Dans l'intervalle, une enquête s'anime, mais l'objet de ce roman n'est pas tellement cette enquête, c'est plutôt l'impact que cela aura sur une certaine société artistique marginale de Paris. Guillaume Apollinaire, dont l'une des relations avait déjà trempé dans la disparition de statuettes ibériques qui étaient en montre au même Louvre quelques années plus tôt, craint que des soupçons soient portés sur lui, d'autant plus que, comme son ami Pablo Picasso, il est d'origine étrangère (il est né en Italie de parents polonais). S'amorce ainsi un joyeux périple dans le Paris de ce début de siècle. Les deux lurons que sont Apollinaire et Picasso visitent à tour de rôle leurs amis et connaissances du milieu et cherchent désespérément un coin où cacher leur valise contenant les deux statuettes ibériques qui avaient inspiré Picasso pour Les Demoiselles d'Avignon. On croisera ainsi le Douanier Rousseau, Alfred Jarry, Modigliani et Gertrude Stein parmi tant d'autres. On s'insèrera dans des lieux mythiques comme le Bateau-Lavoir et on se frottera avec bonheur au vécu de cette grandiloquente bohème parisienne. Voici donc un roman qui, bien qu'il soit court, s'imprègne de belle façon et avec un sourire complice dans l'imaginaire de notre bibliothèque personnelle.

Appréciation : 4/5

mercredi 29 avril 2020

Le service des manuscrits - Antoine Laurain

Marcel Proust ouvrit ses lourdes paupières pour révéler un regard bienveillant teinté d'une pointe d'ironie, comme s'il savait pourquoi elle était là. [A.L.]
Voilà un court roman qui pourrait se situer sur un axe quelconque entre le polar, le sarcasme et le conte, s'il existe. L'auteur nous plonge d'office dans le monde des éditeurs, dans l'univers où se fait les choix de ce qui sera publié ou relégué aux oubliettes au moyen d'une courte et doucereuse lettre de refus. Ici, certains lecteurs ont pour tâche de dénicher la perle, ou du moins « tenir quelque chose ». C'est dans ce milieu parfois désabusé qu'un texte de cent soixante-dix pages fait irruption accompagné d'une lettre de présentation minimaliste: « Bonjour, je m'appelle Camille Désencres, j'espère que mon texte vous plaira. Bien à vous. CD. » La première lectrice l'identifie alors tel un ouvrage à publier de toute urgence. Une deuxième lectrice confirme le verdict et Les Fleurs de sucre débute son aventure littéraire qui le mènera jusqu'à la courte liste du Prix Goncourt. Il y a un hic, personne ne sait qui est Camille Désencres qui n'a communiqué avec l'éditrice que par voie électronique.

Parallèlement, un certain nombre de crimes commis en Normandie après la publication semblent se rapprocher étrangement de ceux décrits dans Les Fleurs de sucre. Qu'en est-il? Une enquête s'engage, enquête qui n'aura pas l'heur de soutenir tout à fait l'intrigue. Disons que le côté polar du roman n'est pas sa facette la plus réussie. On passe un bon moment de lecture, mais ce n'est probablement pas la pépite attendue. Les premières pages m'avaient amené à espérer plus.

Appréciation : 3/5

samedi 25 avril 2020

Les choses humaines - Karine Tuil

La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification [...]. [K.T.]
Les temps d'aujourd'hui étant ce qu'ils sont, la société ayant attaqué à son corps défendant la question des rapports humains, les débats ayant cours sur la définition de l'agression, sur le consentement, sur le viol, Karine Tuil, en observatrice des lieux de pouvoir et du cadre sociétal dans lequel il s'exerce, nous invite à une réflexion qui n'aura pas de conclusion définitive.

Les premières pages du livre nous déconcertent. On y introduit de nombreux personnages et on ne saisit pas tout de suite les relations qui les unissent. Mais, on comprendra, par la suite, toute l'importance d'avoir élaboré et mis en place cette machinerie, car c'est sa connaissance qui nous permettra de participer comme lecteur/acteur au débat et au procès qui suivra.

On a donc un monde parfait qui tourne autour du maître (en déclin) de la scène médiatique parisienne, un être peu sympathique, imbu de lui-même vivant une double vie et cherchant toutes les occasions de multiplier les aventures. Il y a ses conjointes, celle d'antan, celle qui est officielle et celle du moment. Il y a son fils, jeune entreprenant de son époque, engagé dans des études à l'Université de Stanford. Et puis, tout tourne, le château s'écroule, ce fils, de bonne famille comme on dirait, est accusé de viol. Un viol dont la victime serait la fille de l'actuel conjoint de l'épouse officielle. On est entraîné dans les dédales des interrogatoires et du procès et on ne peut que se questionner, qu'interroger notre éthique, que plonger dans nos valeurs, arriver à une première conclusion, puis refaire un tour de réflexions, interpeler à nouveau nos perceptions, notre façon de voir les choses et remettre tout notre échafaudage en questionnement. Les choses humaines ne présente pas un cadre dogmatique, c'est un roman qui porte à réfléchir sur la perception qu'on peut avoir du pouvoir et des rapports humains sous toutes leurs formes.
Le livre de chevet d'Adam, c'était La Disparition de Georges Perec. [...] Il était convaincu que la contrainte de Perec - écrire en renonçant à l'emploi du " e " - trahissait inconsciemment la possibilité, toujours présente pour les juifs, de leur propre disparition. [K.T.]
[...] désormais, le bonheur ne s'obtenait plus que sur ordonnance. [K.T.] 
[...] avec l'âge, il était devenu maniaque, anxieux et hypocondriaque, obnubilé par l'hygiène et la peur d'être contaminé par un virus qui l'affaiblirait.  [K.T.] 
Son médecin lui avait dit lors d'une consultation qu'il devait éviter les sports violents pour ne pas se blesser - avec l'âge, les plaies cicatrisaient moins vite. C'était vrai aussi, hélas, des plaies du coeur. [K.T.] 
Appréciation : 4/5

mardi 14 avril 2020

Pas même le bruit d'un fleuve - Hélène Dorion

Combien de jours vivrons-nous? [H.D.]
La poète québécoise Hélène Dorion nous convie à une quête, une recherche de mémoire afin de trouver sa mère derrière la mer (à cette hauteur du fleuve, on peut l'appeler ainsi). Cela se fera au coeur d'un roman fait de sauts dans le temps et dans l'espace, de l'enfance à aujourd'hui, de la chambre à la mer, d'un quartier montréalais au fleuve toujours présent de Kamouraska, où le passé vient ressurgir, où les naufrages d'hier se répercutent sur les peines d'aujourd'hui. C'est en usant d'une magnifique plume poétique que l'auteure ou son alter ego Hanna nous fait voyager au travers des bribes de souvenirs, des artefacts qui ne trouvaient plus leur signification, vers un jeu de pistes qui, par la beauté des mots, la guidera vers une reconquête de sa mère Simone.

On ne peut, je crois, lire cette oeuvre sans replonger dans son propre passé et celui des nôtres, sans se questionner sur l'existence antérieure de celles et ceux qu'on a côtoyés depuis la naissance, sans tenter de revoir les liens qui nous rattachent au flux continu du temps depuis le monde d'avant. Et puis, pour ma part, je n'ai pu que me référer à un autre naufrage, une tragédie qui a eu lieu plus dans le golfe que dans l'estuaire, proche du bout du monde, des années auparavant. En 1847, un voilier arrivant de Sligo en Irlande transportait mes ascendants, les Kavanagh ou Kaveney. Le Carrick s’est abimé une nuit de tempête sur un récif un peu au sud de l’actuel phare de Cap-des-Rosiers. La charge n’est pas la même, mais cette histoire a ému toutes les générations suivantes et on peut, comme Hélène Dorion, se questionner : « [...] ne devenons-nous avec le temps que les survivants d’une multitude de naufrages ? »

On ne connaît sans doute jamais tout à fait les visages les plus proches. Ils demeurent pour nous des énigmes, malgré les années qu’on a partagées avec eux dans une intimité qui ne sera peut-être jamais recréée. Les êtres présents depuis notre naissance, ceux qui ont accompagné nos premiers pas, nos premiers mots, nos premières chutes aussi, restent des mosaïques inachevées. [H.D.]
La vie d’un artiste se construit avec le chaos, on ne fait que parler d’ombre et de lumière qui s’interpellent, de choses vivantes et inertes, réelles et imaginaires qui se répondent. [H.D.]
Les poèmes peuvent-ils nous sauver du naufrage ? Peuvent-ils souffler sur le brouillard qui a effacé l’horizon et dévoiler ces montagnes qu’on n’avait pas encore vues, dont on ne soupçonnait même pas l’existence ? [H.D.]
Antoine regarde le Majestueux, c’est ainsi qu’on appelle le fleuve, à cette hauteur, quand il se confond avec la mer et qu’on ne voit plus ses rives. [H.D.]
Arrivera-t-elle à laisser entrer suffisamment d’heures, de jours, de mois dans son cœur et dans son ventre pour que finisse par s’estomper la douleur ? [H.D.]
On croit parfois savoir l’essentiel des êtres qui nous sont proches. Il arrive qu’on souffre, et que cette souffrance ait pris naissance bien avant nous. [H.D.]

Appréciation : 4/5 

mercredi 8 avril 2020

Trois réveils - Catherine Perrin

Antoine ouvre les yeux dans le noir. Demeure parfaitement immobile, mais passe, en une fraction de seconde, de l'inconscience du sommeil à une vigilance aiguë. [C.P.] 
Catherine Perrin, claveciniste, animatrice à la radio et auteure, nous livre ici un roman sur les rapports ambigus, côté lumière et côté ombre, qu'un hautboïste entretient avec la musique. Antoine, que la musique interpelle, entrera au Conservatoire, ce laboratoire musical. C'est là qu'il découvre le hautbois et la sensualité des sons, c'est là aussi qu'il est confronté à ses démons intérieurs, à la pression, à l'inéluctable performance, au succès obligé. À travers des relations difficiles et un parcours sinueux semé de troubles bipolaires, c'est par la musique qu'Antoine s'avance, même si c'est sous une lyre dans un couloir occupé du métro de Montréal à faire danser au son de son instrument un serpent ou une poupée de chiffon. Ce roman, je ne l'ai pas reçu comme l'étalement d'un parcours organisé, mais plutôt tel un ensemble de tranches de vie toutes teintées de la musique qui émane de ses pages.
Les musiciens ont la chance de pouvoir s’aborder en disant, comme des enfants: « Veux-tu jouer avec moi? » [C.P.]
Il se sent chez lui près des anticonformistes qui ignorent l’être, occupés à composer chaque jour avec eux-mêmes et la survie. [C.P.]
Il voit se jouer sur cette affiche [...] l’histoire absurde et dévastatrice d’un jeune artiste qui perd toute confiance, simplement en mesurant qu’il n’est pas un génie. [C.P.]

Appréciation : 4/5