mercredi 16 mai 2018

1144 livres - Jean Berthier

Je suis né le jour de ma naissance. [J.B.]
Abandonné par sa mère dès sa naissance, le narrateur n'aura jamais cherché à la connaître. Adopté par un couple aimant, il aura fait sa vie dans les livres comme bibliothécaire. Et puis..., sa mère biologique renaît anonymement par le legs d'un ensemble de boîtes ne contenant ni plus ni moins que 1144 livres. Quel est ce message? Est-ce un message? Est-ce une façon qui permettra au narrateur de connaître une partie de son passé ou celui de sa mère?
Ma mère, comme dans un conte cruel pour enfants, s'était transformée en livres. Plus rien ne subsistait d'elle que ces innombrables pages serrées les unes contre les autres. C'était son faire-part de décès. [J.B.]
Hommage au livre et à la lecture, c'est, en même temps, un regard intime sur la relation qu'entretient le narrateur avec une bibliothèque qui n'est pas la sienne, avec un ensemble de livres où il cherche un fil, un lien, une piste qui expliquerait quelque chose de sa filiation inconnue.
Hélas! Je n'étais plus le lecteur d'un roman auquel j'étais prêt à souscrire; j'étais le protagoniste d'une histoire à laquelle je ne voulais pas croire. [J.B.]
... ce monde où, par extraordinaire, j'étais tous les personnages et celui qui les regardait vivre. [J.B.] 
On fait des livres le sanctuaire de la mémoire; mais ils sont tout autant le puits sans fond de l'oubli. [J.B.] 
Arpenter la bibliothèque d'un autre, c'est traverser un pays dont on connaît la langue mais dont l'étrangeté grandit à mesure qu'on y pénètre.  [J.B.]
Aussi fait-il imaginer le lecteur comme l'homme paradoxal par excellence qui ne peut combler sa curiosité de la vie qu'en s'en détournant. [J.B.]
C'est à une belle réflexion sur la lecture que nous convie Jean Berthier dans ce premier roman. Par ma propre lecture de ce court roman, j'ai pris part à cette réflexion et j'en sors heureux.
J'ouvris un livre et j'embarquai. [J.B.]

lundi 30 avril 2018

Histoire des sciences - Yves Gingras

L'histoire s'écrit toujours au présent, et l'histoire des sciences ne fait pas exception. [Y.G.]
Yves Gingras nous offre ici un court ouvrage (c'est la contrainte de la collection Que sais-je?), une synthèse où il tente de dégager les moments marquants de l'évolution de la science, moments tirés de trois grandes périodes où il présentera, pour chacune, les grandes théories ainsi que le cadre géographique, démographique et institutionnel dans lequel se sont développées ces recherches.

La première période est celle des sciences anciennes caractérisées par la tradition scientifique grecque (Aristote, Euclide, Archimède,  Galien, ...) et dont le cadre conceptuel s'est maintenu tout au long du Moyen Âge et même au-delà. Cette période va de 500 av. J.-C. à 1600 apr. J.-C.

La deuxième période, de 1500 à 1800 s'intitule Le renouvellement des sciences et couvre à la fois la Renaissance et la révolution scientifique. C'est le développement des sciences modernes qui devient le thème de ce chapitre et l'arrivée des instruments scientifiques n'est pas étrangère à ce développement.

Enfin, Gingras aborde une troisième période débutant en 1800. C'est une période de quantification, de mathématisation, d'éclatement des spécialités, d'une organisation plus systématique d'encadrement de la recherche, mais aussi d'applications industrielles de la science.

Évidemment, sur moins de 130 pages, nous ne sommes pas ici devant une oeuvre qui se voudrait encyclopédique, c'est plutôt un tableau général de l'histoire des sciences dont les moments forts et les tendances à mettre en évidence sont choisis par un historien hors pair dont l'oeil critique est apprécié.

Yves Gingras se permet, à son habitude dans ce type d'ouvrage, de mettre la table en se situant à l'intérieur d'une histoire de l'histoire des sciences et ce chapitre Histoire et usages de l'histoire des sciences en ouverture du livre est loin d'être le moins intéressant.

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Sur Rives et dérives, j'ai aussi commenté :

Gingras
Yves
L’impossible dialogue, Sciences et religions 
Gingras
Yves
Les dérives de l’évaluation de la recherche 
Gingras
Yves
Sociologie des sciences 

dimanche 29 avril 2018

Oncle Petros et la conjecture de Goldbach - Apostolos Doxiadis

[Archives - Mai 2001]
Toute famille possède sa brebis galeuse. [AD.]
Voilà un roman où se profile l'aventure d'un mathématicien dans sa recherche éperdue de la démonstration d'une conjecture, celle de Goldbach qui affirme que «tout nombre entier pair supérieur à 3 peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers». Derrière ce simple énoncé, qu'on peut facilement vérifier pour de petits nombres, se profile l'un des plus vieux problèmes non résolus de la théorie des nombres. 

Voilà un roman sur l'aventure du neveu du premier qui tente de comprendre la démarche de cet oncle un peu fou. C'est également un roman où se mêlent allègrement fiction et réalité, humour et satire, théorie des nombres, quête et enquête, curiosité et obsession, énigme et émerveillement, un roman où Hardy, Littlewood, Ramanujan et Gödel croisent l'oncle Petros dans son parcours à l'intérieur de l'univers mathématique. Bien écrit, il s'agit là d'un livre pour celles et ceux que la recherche mathématique intrigue, un roman pour appréhender cet état d'esprit un peu particulier qui motive celui ou celle qui s'adonne à la recherche mathématique.


Datant de 1742, la conjecture de Goldbach reste encore aujourd'hui à démontrer.


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Du même auteur, sur Rives et dérives, on trouve :

Doxiadis
Apostolos
Logicomix 

vendredi 20 avril 2018

Ör - Auður Ava Ólafsdóttir

Je sais bien que j'ai l'air ridicule, tout nu, mais je me déshabille quand même. [A.A.O]
Jonas Ebeneser est islandais. Désemparé, il se décrit ainsi:
Bientôt 49 ans sexe masculin Divorcé Hétérosexuel Sans envergure Sans vie sexuelle Habile de ses mains [A.A.O.] 
La vie a laissé sur lui ses cicatrices, ses blessures. Sa femme l'a quitté, sa fille n'est pas vraiment de lui, sa mère a perdu ses esprits. Il ne se trouve plus d'utilité. Ses 49 ans lui pèsent. Il n'a d'autres projets que de mettre fin à son existence. Mais comment ce faire?

Il ferme tout, vide son appartement, se débarrasse de ses biens, à l'exception de son coffre à outils (il possède ce côté bricoleur qui aura empêché que je m'y identifie), et en emportant ce dernier, quitte vers un pays où la guerre sévissait il n'y a pas si longtemps, un pays où la probabilité que la mort se présente à lui sans avis préalable est significativement grande. Il erre ainsi dans ce nouvel univers et, armé de sa perceuse, contribuera à une reconstruction de ce monde voué à la dérive. Entre quelques bricolages et quelques rencontres, Jonas retrouve quelque chose en lui et ce sentiment de vouloir en finir avec la vie devient moins urgent. L'auteure, par son regard poétique sur cet homme, ses tourments et son évolution introspective, nous offre paix et résilience dans une description précise et juste d'instants du quotidien, de petits moments qui transcendent la vie et tracent une voie vers le bonheur.
Pour rejoindre la voiture, nous avons pris un raccourci en traversant une aire de nidification de sternes arctiques. Des milliers de sternes arctiques. [A.A.O.] 
Puis le monde ralentit et rétrécit jusqu'à la taille d'une minuscule pupille, juste avant qu'il ne s'éteigne, avant que je ne m'éteigne. [A.A.O.]  
Tout n'advient pas dans le bon ordre.  [A.A.O.] 
Tout peut advenir. Même ce à quoi on ne s'attendait pas. [A.A.O.]  

dimanche 15 avril 2018

Underground Railroad - Colson Withehead

La première fois que Caesar proposa à Cora de s'enfuir vers le Nord, elle dit non. [C.W.] 

Il est difficile de décrire ce que j’ai ressenti lors de cette lecture. Je me suis plongé assez rapidement et assez intensément dans ce monde inimaginable de l’esclavage des États du Sud, monde que je connaissais de façon trop théorique. Cela aura constitué une prise de conscience, un regard plus senti sur une réalité qui ne m’était pas étrangère, mais qui ne s‘incarnait pas de façon aussi vive qu’en accompagnant, touché et bouleversé, Cora dans son odyssée, dans sa fuite, dans sa soif d’une autre vie. J’ai descendu moi aussi dans ce tunnel métaphorique où loge le chemin de fer clandestin et où le réel bouscule l’imaginaire. J’y ai suivi, haletant, la jeune Cora et Caesar quittant la Géorgie vers la Caroline du Sud et du Nord et plusieurs états, fuyant un chasseur d’esclaves, cherchant une autre vie. La littérature, par son rappel d’un passé si proche de nous et par l’écho qu’il projette dans l‘aujourd’hui, contribue, il me semble, à un éveil nécessaire, à une mémoire en action. Voilà un roman fort, un roman américain essentiel.
Le maître répétait souvent que la seule chose qui soit plus dangereuse qu'un nègre avec un fusil, leur dit-il, c'était un nègre avec un livre. [C.W.]