samedi 20 février 2021

Dehors la tempête, La vie dans les livres - Clémentine Mélois

D’abord, j’ouvre le livre en grand et je colle mon nez au milieu des pages pour les respirer.
[C.M.]

Clémentine Mélois nous ouvre sa bibliothèque intérieure. Elle nous raconte, sans autres détours, sa relation privilégiée, olfactive et passionnelle avec les livres, les ouvrages qui sentent la mer et le large, comme ceux qui s'ancrent sur sa table de chevet, ceux qui ont compté et ceux qui s'accrochent. Elle raconte comment elle aime les listes et les inventaires. Elle nous emporte dans son délire et sa verve humoristique pour aborder des anecdotes ainsi que des questions qu'on ne se posait pas à propos de ses auteurs préférés, autour des textes qu'elle préfère et des extraits qui la font vibrer. On ne peut que vibrer aussi et toute cette frénésie nous amène à porter un regard sur notre propre relation aux livres, à la lecture et à tout cet univers conceptuel qui tourne autour de la création littéraire. Dehors la tempête aura engendré de beaux moments de lecture en compagnie de cette artiste plasticienne et récente membre de l'Ouvroir de littérature potentielle qu'est Clémentine Mélois.

À la gauche du lit, près de la lampe de chevet, dans l’ordre de la pile : Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino, une édition jaunie de 1981[...] [C.M.]
On trouve là des livres depuis longtemps aimés et qu’on garde près de soi comme des grigris, des livres d’auteurs découverts récemment, des livres prêtés qu’on a oublié de rendre, des livres empruntés, des livres offerts, des livres tout juste retrouvés, des livres qu’on relit sans cesse, des livres qu’on aimerait relire, des livres auxquels on voudrait accorder une nouvelle chance, des livres qu’on aimerait lire mais qu’on ne lira jamais, des livres décidément trop compliqués, des livres décevants, des livres écrits par des amis, des livres qui nous sont tombés des mains, des livres dont on se dit qu’il faudrait tout de même les lire un jour (Quel manque de culture ! Tu ne l’as pas lu ? C’est pourtant un classique…), des livres qu’on nous a conseillés, des livres dont on a oublié pourquoi ils se trouvaient là… des livres, toutes sortes de livres sur ma table de chevet. [C.M.]

Les citations sont là pour ça, pour se tirer habilement et sans trop se mouiller, d’une situation embarrassante, quand on ne sait pas quoi dire d’autre. [C.M.]

Appréciation : 4/5 

dimanche 7 février 2021

Montaigne - Stefan Zweig

Hélas, le propre des Essais, depuis quatre siècles et demi, est que chacun y trouve ce qu’il y cherchait. [Olivier Philipponnat, En préface]

Que voilà un magnifique complément d'Un été avec Montaigne d'Antoine Compagnon que j'ai lu avec joie et curiosité il y a quelques années. Depuis ce moment, je ne rate pas une occasion de me frotter aux idées de Michel Eyquem, sieur de Montaigne (que ce soit par les écrits ou via les passionnantes émissions des Chemins de la philosophie). Je ne connaissais pas encore l'écriture de Stefan Zweig, j'ai donc trouvé là une porte d'entrée dans son oeuvre multiple et foisonnante faite d'essais, de biographies et de romans. J'y ai trouvé une écriture agréable et coulante qui encourage à persévérer dans cette exploration. Montaigne est à la fois essai, biographie et compte-rendu personnel de Zweig sur sa rencontre avec l'oeuvre du philosophe et humaniste de la Renaissance. Ma lecture m'a ouvert à un nouveau regard sur Montaigne et m'incite, par la rencontre de Zweig, à d'autres projets et découvertes en lecture.  

Il est quelques rares écrivains accessibles à tout âge et à toute époque de la vie – Homère, Shakespeare, Goethe, Balzac, Tolstoï – et d’autres qui ne dévoilent toute leur portée qu’à un certain moment. Montaigne est de ceux-là. [S.Z.]

[...] un homme du milieu, un homme du lien, tournant ses regards de tous côtés sans préjugé, dénué d’étroitesse à tous égards, un libre penseur * et un citoyen du monde *, un esprit libre et tolérant, fils et citoyen non d’une race et d’une patrie, mais citoyen du monde par-delà les pays et les époques. [S.Z.]
Ce que cherche Montaigne, c’est son moi intérieur, lequel ne doit appartenir ni à l’État, ni à la famille, ni à l’époque, ni aux circonstances, ni à l’argent, ni aux possessions matérielles, ce moi intérieur que Goethe appelait la « citadelle » et où il ne laissait pénétrer personne. [S.Z.]

Montaigne loue comme principal avantage des livres leur capacité à stimuler, par leur diversité, sa faculté de jugement. La lecture l’incite à répondre, à exprimer sa propre opinion. Ainsi prend-il l’habitude d’annoter les ouvrages, de souligner, puis d’inscrire à la fin la date à laquelle il les a lus, parfois aussi l’impression qu’il en a retirée à ce moment-là. [S.Z.]

Appréciation : 4/5

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Compagnon

Antoine

Un été avec Montaigne 

27/01/2014

Bakewell

Sarah

Comment vivre ? : une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse 

25/01/2016

dimanche 24 janvier 2021

L'avenir - Catherine Leroux

Dix jours après l’arrivée de Gloria, le voisin est tué en pleine rue. [C.L.] 

Catherine Leroux, dont j’avais apprécié les histoires anonymes de solitudes regroupées autour de la mort d’une mystérieuse Madame Victoria ou encore le style assumé dans la traduction réussie du magnifique Nous qui n’étions rien de Madeleine Thien, nous transporte ici dans un Fort Détroit imaginé, un Fort Détroit survivant et demeuré francophone, un Fort Détroit abandonné où les quelques habitants tentent de faire revivre des lieux à la dérive. C’est donc à l’intérieur de cette surprenante uchronie que Gloria, en deuil de sa fille, est à la recherche de ses petites-filles depuis disparues. Dans ce milieu violent, dur et a priori inhospitalier, Gloria va trouver une étonnante solidarité faite de bienveillance et de liberté. C’est cet équilibre parfois précaire entre la rudesse du lieu et la coopération de certains de ses occupants qui apporte à cette histoire du futur l’espace nécessaire pour qu’une subtile lumière puisse s’insérer. L’avenir, c’est aussi un regard sur le temps, sur notre rapport ambigu avec demain, sur notre perception de l’enfance et les relations intergénérationnelles. L’avenir, c’est aussi une lueur d’espoir.

La ville des révoltes, des faillites, des injustices et des balles perdues, la ville des mauvais sorts, des pyromanes, des esprits frappeurs. [C.L.]

Un mobile en disques vinyle flotte au vent ; en passant dessous, elle perçoit un subtil air de blues qui s’en échappe. [C.L.]

[...] la frénésie du doute, le supplice de l’impuissance accélèrent sa présence au monde. [C.L.]

Qu’est-ce qui disparaît lorsque meurt un ami ? [...] Une des choses qu’on perd, pense Salomon, c’est celui qu’on était avec cette personne, les parties de nous qu’elle faisait exister. Dans le cas d’un ami aussi ancien, on est également dépouillé du souvenir de ce qu’on a été. Plus personne, désormais, ne se rappelle le Salomon de vingt ans, amoureux fou, demandant à César d’être son témoin à un mariage qui n’aurait pas lieu. Plus personne ne peut décrire le garçon de treize ans qui jouait aux dés dans la rue pour payer ses leçons de musique, qui fuyait les brutes du secondaire, qui lançait des roches à la police. Plus personne ne se souvient de la tête qu’il faisait lorsqu’à cinq ans on l’avait assis pour la première fois devant un piano droit. [C.L.]

[...] pour la première fois, il a compris ce qui poussait Bègue vers les livres : la sensation de découvrir une réalité jusqu’alors impossible à concevoir mais qui, une fois saisie, s’avère présente depuis longtemps, pesant sur l’esprit comme seules les vérités qu’on ignore peuvent le faire. Les mots font apparaître les choses qui sont déjà là. [C.L.]

Appréciation 3,5/5

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Leroux

Catherine

Madame Victoria

30/10/2017

Thien

Madeleine

Nous qui n’étions rien

22/11/2019


lundi 11 janvier 2021

Cabinet de curiosités sociales - Gérald Bronner

Les cabinets de curiosités furent l'une des passions de la Renaissance. [G.B.]

Les écrits de Gérald Bronner sont toujours instructifs. Ils mettent la lumière sur diverses tournures malencontreuses de l'esprit, sur des opérations mentales fautives qui dirigent vers des conclusions erronées ou de mauvaises évaluations. Ils révèlent l'intérêt, pour contrer ces revers, de l'analyse rationnelle et de l'esprit critique. Cette fois-ci, le cabinet de curiosités sociales, comme il a bien voulu le dénommer, regroupe une série d'articles publiés ces dernières années, de courtes chroniques toujours pertinentes, mais que, parfois, on aurait voulu plus approfondies. Gérald Bronner s'est interrogé sur le quotidien de différentes façons pour y dénicher, dans la marge de la réalité, certaines étrangetés ou singularités. Les analyses de ces bizarreries illustrent le désir de l'auteur d'édifier l'esprit comme se promettaient de faire les cabinets de curiosités de la Renaissance.  On fait ici appel aux mathématiques ou aux probabilités, là on repose notre analyse sur les résultats d’expériences citées. Toujours, ce qui prime, c’est la raison, même lorsque celle-ci ne vient pas confirmer ce qu’on pourrait, dans un premier temps, être porté à conclure. Voilà un ouvrage qui incite à dépasser le cadre strict de ce que la réalité semble nous suggérer et à fonder, à cet effet, notre esprit sur la rationalité. 

Tout leur paraît assez logique a posteriori, attitude qui illustre la malicieuse remarque du célèbre physicien Niels Bohr : «La prédiction est un exercice très compliqué, spécialement lorsqu'elle concerne le futur.» [G.B.]

Tous les ventriloques qui font parler le peuple comme une marionnette paraissent oublier que la poupée a pris vie et qu'elle n'est pas prête à obéir. [G.B.]
[...] quand l'esprit cherche une solution à un mystère, il finit toujours par la trouver. Le drame étant que si elle est absurde, elle lui paraîtra toujours plus satisfaisante que le vide de sens que représente une explication fondée sur le simple hasard. [G.B.]

Les élucubrations religieuses sont de retour, on l'avait remarqué, et pas seulement en Turquie. Elles progressent partout où les esprits s'abandonnent à la lecture littérale d'un livre religieux. [G.B.]
Appréciation : 3,5/5
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Bronner

Gérald

Déchéance de rationalité

11/07/2020

Bronner

Gérald

La démocratie des crédules

30/03/2017